Le développement durable de l’Afrique passe par une bonne inclusion financière. A travers une interview accordée au quotidien ‘’L’économiste du Bénin’’, le spécialiste de Business diplomatie, actuellement en fonction au Fonds de développement des Nations-Unies (Fenu) en tant que conseiller régional pour l’Afrique de l’ouest et du centre, avec compétence sur 24 pays, Mathieu Soglonou, aborde le sujet avec nous. Après avoir décortiqué le terme ‘’inclusion financière’’ il a fait l’état des lieux, renseigné sur les perspectives et confié ses appréciations sur sa contribution à l’économie africaine.
L’économiste : Comment peut-on définir la finance inclusive ?
Mathieu Soglonou : C’est cette approche qui consiste à rendre les services financiers disponibles aux populations où qu’elles se trouvent en s’appuyant sur les acteurs traditionnels tels que les banques, les institutions de microfinance, les compagnies d’assurance, les opérateurs de téléphonie mobile ou même des réseaux de marchands pour pouvoir fournir des services de crédit, ; d’épargne, d’assurance, de micro assurance, de transfert de payement… Tout cela aux populations dans le cadre de leurs affaires.
Quand dit-on qu’elle est responsable ?
Elle est responsable lorsqu’elle se préoccupe de l’impact qu’elle produit sur les clients. A savoir sa rentabilité. Quand elle se veut une finance qui propose des ressources compatibles aux capacités et besoin des clients.
Quelles sont les dissemblances et ressemblances entre la finance inclusive et la microfinance ?
La microfinance est contenue dans la finance inclusive. Elle est seulement composée des services d’épargne et de crédit, quelques fois des formations. Alors que la finance inclusive comprend non seulement l’épargne, le crédit et les formations mais aussi les opérations de transfert, de payement, des assurances et autres. La finance inclusive a un champ d’actions beaucoup plus large que la microfinance. Les acteurs ne sont pas les mêmes non plus. Ceux de la microfinance sont constitués par les structures de microfinance et ceux de la finance inclusive sont composés des structures de microfinance, des banques, des compagnies d’assurances, les opérateurs de téléphonie mobile, et autres.
Quel est l’état des lieux de l’inclusion financière en Afrique ?
L’inclusion financière fait des progrès en Afrique. Globalement, environ plus d’un tiers d’africains a un compte bancaire aujourd’hui. Quand on prend les aspects crédit et épargne, seulement deux africains sur dix ont des comptes épargne. Malheureusement, environ un africain sur dix a accès au crédit. La moyenne au niveau de l’Afrique est inférieure à celle au niveau mondial. Donc il y a encore du travail à faire pour montrer le vrai visage de l’inclusion financière en Afrique.
Quels sont les points clés pour accélérer l’inclusion financière en Afrique ?
Il faut travailler sur le cadre règlementaire pour qu’il y ait une multitude d’acteurs pour pouvoir mettre en place les instruments. Il faut travailler sur les infrastructures de payement pour faciliter par exemple l’interopérabilité. Pour qu’un abonné d’un réseau de téléphonie mobile X puisse transférer de l’argent à celui qui est sur un réseau Y.
Il faut développer l’internet, la télécommunication. Aujourd’hui, la téléphonie mobile est un instrument important de payement. Pour faciliter l’inclusion financière.
Quels sont les handicaps que rencontre l’inclusion financière en Afrique ?
Globalement, l’inclusion financière rencontre quelques défis en Afrique. Parmi ces derniers, on peut citer : la faible éducation des populations. Nous ne sommes pas éduqués dans la gestion de nos revenus. Nous n’arrivons pas à planifier assez. Donc, il faut éduquer la population à planifier ses revenus et dépenses pour pouvoir mieux épargner et mieux investir. On épargne aussi des fois, mais pas nécessairement pour investir. Donc ça c’est un premier élément.
Le deuxième élément, c’est le défi des infrastructures dont je viens de parler. Il y a également le fait que la variété des institutions financières installées en Afrique est limitative dans certains pays. Des banques aujourd’hui sont des banques d’affaires, universelles, donc elles n’arrivent pas à faire suffisamment de crédit aux paysans, pêcheurs, agriculteurs, éleveurs… Il y a un travail à faire sur la gamme des acteurs qui constituent le paysage de l’inclusion financière en Afrique.
Quelles sont les perspectives de l’inclusion financière en Afrique ?
Les perspectives sont bonnes. Quand vous prenez un pays comme le Kenya aujourd’hui, il était le premier pays au niveau mondial à introduire le payement par téléphonie mobile. Et cela a dopé l’économie locale d’environ 10% par rapport au PIB. Aujourd’hui, les payements par téléphonie mobile sont en train d’être adoptés en Afrique. C’est l’un des rares domaines où l’Afrique est précurseur au niveau mondial.
Si on adopte la finance inclusive en adoptant de plus en plus les nouvelles technologies, ce que certains appellent la finance digitale, les perspectives sont bonnes.
Quels sont les atouts dont dispose l’Afrique pour réussir son inclusion financière ?
L’Afrique a beaucoup d’atouts. D’abord les populations africaines sont habituées, depuis longtemps, à la petite épargne qu’on appelle les tontines au Bénin. Ensuite, nous avons la culture du travail en coopérative. Enfin, nous avons la confiance au niveau des groupements et associations. Les femmes, par exemple, sont organisées et peuvent compter les unes sur les autres. C’est des atouts importants. Ce qui reste c’est de pouvoir établir un pont entre le secteur informel, en Afrique, et les institutions financières. On peut utiliser la technologie pour cela. La base est là, les leviers sont là, alors il faut juste la connexion.
Le Fonds d’équipement des Nations unies (Fenu) contribue à l’accomplissement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) dans les pays les moins avancés. Son action est fondée sur des approches innovatrices de gouvernance locale et de microfinance. Pouvez-vous nous citer quelques réalisations de ce fonds au Bénin et en Afrique ?
Le Fonds d’équipement des Nations unies est présent au Bénin depuis 1981. A ce jour, il a injecté plus de 25 millions de dollars dans l’économie béninoise sous forme de dons. En termes de grandes réalisations, j’aimerais citer : c’est le premier bailleur de fonds à soutenir le Fonds d’appui au développement des communes (Fadec) et à mettre ses ressources pour dire qu’il faut appuyer les communes de manière collective. Et nous avons commencé avec une assistance technique. Aujourd’hui, le Fadec est devenu l’instrument par excellence que les bailleurs de fonds utilisent pour appuyer les communes au Bénin.
Le Fonds d’équipement des Nations unies accompagne les collectivités locales à travers un programme qui consiste à travailler sur l’atténuation liée aux changements climatiques dans les départements de l’Atacora et de la Donga.
Le Fonds d’équipement des Nations unies a été également le précurseur de la finance digitale au Bénin en accompagnant tout ce qui est opérateur qui utilise la finance digitale au Bénin : les banques, les opérateurs de téléphonie mobile, les assurances… à pouvoir s’insérer dans la finance digitale. Et nous sommes fiers de vous annoncer que nous accompagnons désormais le secteur privé béninois. Nous avons accompagné au niveau d’Azovè, un entrepreneur qui fait la transformation de l’arachide.
La promotion de la bancarisation dans les PMA peut-elle avoir un impact sur l’inclusion financière ?
Bien sûr. Si on crée des conditions pour que les gens n’aient plus peur d’aller dans les banques, si les frais d’ouverture et de tenue de compte sont réduits et les conditions pour accéder à un compte bancaire sont allégées. Aujourd’hui, la bancarisation est un puissant instrument pour faire développer l’inclusion financière. Je crois que les autorités y travaillent.
Que peuvent faire les Etats africains pour inciter les banques à plus de flexibilité dans l’accord des crédits ?
Je comprends par votre question que vous voulez qu’il y ait plus de crédits à l’économie. Dans ce domaine, les Etats africains pourraient faire l’effort de revoir la structuration, la classification des banques. Ce n’est pas seulement au niveau africain, parce qu’il y a des accords internationaux, Bale 1, Bale 2, Bale 3, qui donnent les normes que les banques doivent respecter. Donc, c’est limitatif. Mais je pense que les Etats africains peuvent créer des banques spécialisées. Aujourd’hui c’est important d’aller vers les banques spécialisées qui sont adaptées à notre économie en Afrique. On a besoin des banques agricoles, d’investissement, des banques qui accompagnent les entreprises, des institutions de crédit capital risque qui financent l’économie. Dans les pays développés c’est les banques spécialisées qui ont financé le développement de l’économie. Les infrastructures et les banques d’affaires sont venues se greffer là-dessus. Mais dans nos Etats, la plupart des banques sont des banques d’affaires. Il faut des banques pour construire pour que les autres viennent se greffer dessus. C’est là où le travail va se faire.
Que pensez-vous de la future monnaie unique, Eco ? Quels sont ses avantages ?
La monnaie unique de la CEDEAO est un rêve que tout le monde attend depuis longtemps. Parce que cela permet aux peuples d’échanger, de faire des transactions sans difficultés. Cela facilite l’intégration régionale, à mon avis, parce qu’aujourd’hui, l’Afrique commerce plus avec le reste du monde qu’avec elle-même.
En matière de limites, c’est peut-être le fait qu’il faut expliquer davantage aux populations ce qu’est fondamentalement la monnaie ‘’Eco’’. Il y a aujourd’hui beaucoup de supputations. C’est important que tout soit expliqué aux populations pour les rassurer parce que la monnaie c’est la confiance. S’il n’y a pas la confiance en cette monnaie, elle ne peut pas prendre. Il faut sensibiliser.
Que pensez-vous du fait que l’Eco s’alignera sur la parité fixe entre le franc CFA et l’euro ?
Il faut reconnaître que la zone CFA a eu le privilège pendant longtemps de bénéficier de la parité fixe par rapport à la monnaie euro. Les autres zones monétaires de l’Afrique n’ont pas connu ce développement. Donc ils sont déjà habitués à des monnaies flexibles.
Les populations ne connaissent pas la différence entre les deux possibilités. C’est la peur de l’inconnu.
Quels sont les avantages et inconvénients de la monnaie fixe et celle flexible ?
L’avantage d’une parité fixe permet de transférer les ressources et les capitaux. Cela permet à quelqu’un qui est dans la zone euro de venir investir ici et de savoir qu’il va rapatrier ses fonds sans perdre de la valeur. L’inconvénient c’est que cela peut maintenir nos économies artificiellement dans un état où on pense nos économies sont fortes. Il faut voir si à terme, comment faire ce mixte entre la monnaie flexible et celle à parité fixe. Parce que la monnaie à parité fixe conduit à la paresse. Parce qu’il n’y a pas de risque.
La monnaie flexible a cet avantage qu’elle s’arrime, dans certains pays, à la réalité de l’économie. Le Cedi ghanéen par exemple est une monnaie flexible qui est dévaluée et réévaluée suivant l’évolution de l’économie ghanéenne. Et les ghanéens ont fait l’effort de reconstruire leur économie. Le président Nigérian, quand il est venu au pouvoir, il a dû dévaluer le Naira pur ajuster l’économie. Cela a créé un tollé mais cela a relancé la production locale.
L’inconvénient de la monnaie flexible c’est que vous ne savez pas quand on va faire une dévaluation, quand le taux de change va changer… Et vous êtes obligé de gérer l’incertitude. Mais quand on est dans l’incertitude on travaille plus.
Quels sont les enjeux économiques de l’Afrique à l’horizon 2030 ?
A l’horizon 2030, c’est les ODD. Quand on voit la tendance des ODD aujourd’hui, on dit que si rien n’est fait il y aura plus de pauvres en Afrique en 2030 qu’il n’y en a aujourd’hui, plus de gens qui sont affamés qu’aujourd’hui. Cela veut dire qu’il faut travailler. Les principaux facteurs du travail c’est la terre, c’est le capital financier, c’est les ressources humaines.
Il est dit que dans les années 2030-2050 la population mondiale sera d’environ 9 milliards et en 2100, on sera à 11,2 milliards de personnes. Il y aura plus de nigérians sur la terre que d’américains. Et il y aura deux humains sur cinq qui seront des africains. La question est de savoir quelle sera la qualité de ces africains ?
L’enjeu pour le Bénin c’est de savoir quel type de citoyens nous aurons en 2030, 2050 et 2100 ?
Quelle peut être la contribution de la Zlecaf à l’inclusion financière ?
Il faut que la Zlecaf puisse faciliter les télépaiements pour que celui qui vend ses produits à un acheteur situé dans un autre pays puisse être payé automatiquement. Aujourd’hui les télépaiements se font entre certains pays de l’Afrique. Mais il faut que la Zlecaf en arrive là. Je crois des efforts sont faits par les dirigeants africains.
La Zlecaf va contribuer à accélérer l’inclusion financière. Et cette dernière est un élément qui va servir à booster les échanges.
Avez-vous une préoccupation particulière à aborder ?
Je tiens à féliciter le journal l’économiste. C’est important ce que vous faites. Je pense qu’on peut réfléchir pour voir dans quelle mesure ce journal peut contribuer à une meilleure éducation financière des populations. Ce sera une contribution noble mais combien importante pour le développement de l’inclusion financière en Afrique.