Face aux handicaps dressés sur leurs chemins, les femmes se mettent en association pour se faire entendre. C’est le cas du réseau Youth women for action (YWA-Sénégal), réseau des jeunes filles et jeunes femmes leaders du Sénégal, créé en 2013 pour défendre la cause des jeunes filles et des jeunes femmes. Au détour d’une conférence régionale à laquelle elle prend part, sa présidente, Nene Maricou Rocha, s’est prêtée à nos questions. Elle a renseigné sur son combat, la contribution du gouvernement sénégalais et exprimé ses attentes envers la communauté internationale.
L’économiste : Quelles sont les activités que vous menez au sein d’YWA-Sénégal ?
C’est une association qui regroupe des jeunes filles et des jeunes femmes leaders qui sont issues de différentes associations et organisations de jeunesse au Sénégal. Alors, on les a réunies pour développer en elles le leadership participatif, c’est-à-dire qu’elles puissent participer à tout ce qui est processus de développement tels que les politiques et programmes aux niveaux national et international. C’est-à-dire les mécanismes internationaux. Donc c’est un peu plus impliquer les jeunes dans le développement. Parce qu’on a senti un besoin qui était là.
Dans le milieu associatif, on voyait très rarement les jeunes filles devant. On voyait très rarement les jeunes femmes porter le leadership et se battre sur des questions. Alors on s’est dit aujourd’hui, on va se regrouper en tant que jeunes et nous allons porter nous-mêmes la voix de nos sœurs qui sont dans nos communautés, de nos sœurs qui vivent dans les zones les plus reculées et qui ont besoin qu’on porte leurs voix pour parler aux dirigeants, à la société et aux différents partenaires techniques et financiers pour qu‘on puisse accentuer les financements dédiés à la jeunesse sur la défense des intérêts de la jeune fille et de la jeune femme. Car celles-ci sont confrontées à d’innombrables dangers qui handicapent fortement leur développement personnel. Pour ne citer que quelques-uns, je parlerai de mutilation génitaleféminine, de mariage précoce et de grossesse non désirée. Donc il y a un problème reproductif qui est là et qui empêche l’épanouissement de la jeune fille. Avant qu’on en vienne au problème d’autonomisation des femmes il faut qu’elles puissent suivre des formations à terme. Et pour qu’il en soit ainsi, il faut que ces femmes puissent être épargnées des affres de la mutilation génitale, du mariage forcé et d’une grossesse précoce. C’est après tout ce processus que les femmes peuvent avoir un parcours professionnel et participer au développement de leur pays. Donc on veut régler les problèmes que vivent nos sœurs.
Quel bilan faites-vous de vos activités ?
Nous avons créé l’association depuis 2013. Pour le moment nous avons un bilan, positif. Parce que chaque année, nous arrivons à former des filles, à aller dans les zones les plus reculées pour renforcer les capacités des jeunes filles et jeunes femmes. L’année 2018, nous avons eu à mener des activités de formation sur les questions de mutilation génitale féminine. On a formé des jeunes filles parce qu’on veut qu’elles soient des relais du changement. On a formé plus de 120 jeunes filles leaders. On a eu six ateliers de capacitation de 72 heures. Dans chacune des ateliers, il y a 62 filles qui ont été formées. Après cette formation, ces jeunes filles sont devenues nos relais au sein de leurs communautés diverses.
De même, nous menons beaucoup de campagnes de mobilisation sociale via les réseaux sociaux. On utilise ces canaux pour communiquer avec la jeunesse, créer des débats entre les jeunes de la sous-région pour avoir leurs avis et aussi partager nos expériences avec eux sur les questions liées au leadership féminin. Parce que les problèmes qui existent au Sénégal peuvent se retrouver au Bénin, en Guinée. C’est pourquoi nous ne nous limitons pas au Sénégal.
Par exemple nous travaillons avec un jeune béninois, Jonas, qui a une plateforme sur le mariage d’enfants. Donc il nous arrive de faire un parallèle des activités pour porter la voix des jeunes filles.
Quels impacts, les actions menées par l’association YWA-Sénégal ont-elles eu sur la société sénégalaise ?
Nous avons noté le changement de comportements et l’engagement des jeunes filles. Nous faisons partie des premiers réseaux à installer le club des jeunes filles au Sénégal. Aujourd’hui, nous voyons l’avancée des clubs des jeunes filles. On commence à voir l’impact que nous avons. On est venu, on a créé un club et après le club s’est propagé et on en crée partout dans les villes, dans les quartiers et les villages. Donc ça contribue au leadership des jeunes filles. Comme impact aussi, ça contribue au changement de comportements des jeunes filles. Parce que ces jeunes filles arrivent à communiquer avec leurs paires qui sont des jeunes filles qui sont sur place. On arrive à empêcher des grossesses non désirées grâce à nos actions sur le sujet. Donc comme impact nous avons le changement de comportements, l’engagement à ne pas tomber enceinte, la maîtrise du corps et la connaissance des droits des jeunes filles.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Il y en a beaucoup. La mobilisation des ressources financières est un vrai handicap. Nous sommes de la société civile, nous n’attendons pas nos partenaires avant de planifier des actions et nous les réalisons qu’ils nous accompagnent ou pas. Mais, pour dire vrai, si nous recevons des appuis financiers cela nous facilitera encore plus le travail. Surtout la mise en œuvre de nos projets et l’aspect logistique aussi. Parce que si vous décidez d’aller mener des actions dans une zone reculée, il vous faut avoir un véhicule.
Si vous voulez faire des caravanes comme on l’a fait au Sénégal il faut avoir les supports qu’il faut. Supports communicationnel, logistique et tout pour pouvoir mener à bien votre mission. Donc on n’a pas de difficultés à nous faire entendre, et les résultats sont là pour l’attester. Notre réelle difficulté c’est de pouvoir dérouler toutes les activités que nous voulons dans les zones les plus reculées.
Quel regard portez-vous sur le leadership féminin en Afrique ?
Les jeunes filles et les jeunes femmes commencent à s’affirmer au niveau de l’Afrique de l’ouest. Tout récemment, on a eu à créer une plateforme des organisations de la société civile jeunes féministes de l’Afrique de l’ouest francophone. Donc ça regroupe toutes les jeunes filles qui sont leaders dans une seule plateforme. Et on a une alliance qu’on a créée aussi au Nigéria. Elle regroupe des jeunes féministes qui sont dans le plaidoyer et dans l’obtention et le respect des droits des jeunes filles.
Déjà, même le système des nations-unies nous prend en compte. Aujourd’hui, au niveau des États-Unis, il y a le CSW, une rencontre qui statue sur les conditions des femmes. Dans ces rencontres on implique les jeunes filles africaines. Donc, je peux dire que le leadership féminin commence à s’affirmer. Moi je peux donner l’exemple de beaucoup de femmes leaders dans plusieurs pays. Déjà on a Djénaba de la Mauritanie, on a Hadja Idrissa de la Guinée, on a Adama Dicko du Mali. Vraiment le leadership féminin africain est en train de s’affirmer et le féminisme jeune est en train de s’affirmer.
Parlant de féminisme, quelle corrélation entre leadership féminin et féminisme ? Une certaine forme pourrait-elle créer des confusions ?
Le leadership féminin c’est l’affirmation de la jeune femme. C’est-à-dire qu’elle puisse se dire que : « je suis jeune et j’ai un leadership, je dois m’affirmer dans tout ce que je fais ». Le féminisme quant à lui, est tout ce qui a rapport avec le plaidoyer de la cause de la fille. La défense pour le respect des droits des filles. Au fait, ceux qui ne s’identifient pas au féminisme, c’est parce qu’ils ne le connaissent pas. On peut être activiste, on peut être humaniste, on peut aussi être féministe. Il y a des hommes féministes. On en a beaucoup. Un homme féministe c’est un homme qui se bat pour défendre la cause, les droits des femmes. Cet homme se bat pour zéro mariage précoce, zéro mutilation génitale, zéro grossesse en milieu scolaire.
Par contre ceux qui ne s’identifient pas au féminisme, je crois que c’est parce qu’ils n’ont pas assez d’informations sur le féminisme. Peut-être, on a des aînés qui nous ont devancées et qui ont une autre vision du féminisme ou peut-être montrées autre chose du féminisme. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a des femmes qui ne s’identifient pas au féminisme. Mais je pense que connaître le sens propre du féminisme ça pousse à s’engager parce que c’est se battre sur toutes les questions qui sont en rapport avec le leadership féminin, avec l’affirmation et le respect des droits des jeunes femmes et des filles.
Quel est l’accompagnement de l’Etat sénégalais pour la promotion du leadership féminin ?
On a des avancées au Sénégal. Le gouvernement du Sénégal nous appuie beaucoup à travers le ministère de la Femme, de la famille, du genre et de la protection de l’enfant. A travers ce ministère, nous arrivons à nous retrouver. Parce qu’il y a des divisions et des directions qui prennent en compte spécifiquement les besoins des jeunes filles et des jeunes femmes. Je tire un chapeau au ministère de la Femme. Et aux ministères de la Jeunesse et de l’éducation aussi. Nous avons l’appui du gouvernement du Sénégal qui essaie de nous mettre en avant, de nous impliquer dans tout ce qui est planification des projets et programmes qui nous concernent.
Les acteurs non étatiques aussi font pareil. Ils font le plaidoyer du leadership féminin. Ce qui a fait qu’aujourd’hui le gouvernement commence à ouvrir les yeux et à se rendre compte que les jeunes ont du potentiel et qu’il faut régler leurs problèmes pour les aider à s’épanouir. Les besoins des jeunes filles c’est quoi ? C’est les former, les accompagner, leur faire bénéficier des formations pour qu’elles soient autonomes. Mais nous en demandons plus. Donc nous attendons la contribution des autres ministères, en dehors des trois qui nous soutiennent actuellement. Cela nous fera réaliser encore plus de projets pour le bonheur des jeunes filles et jeunes femmes du Sénégal et d’Afrique. Nous pourrons ainsi faire de la question du leadership féminin et de la défense des droits des jeunes filles et jeunes femmes une priorité.
Quel regard la société sénégalaise jette-elle sur le leadership féminin ?
Pour le moment ça va. Heureusement on s’adresse à une communauté que nous connaissons. Ce que nous essayons de faire c’est impliquer la communauté. Moi je suis issue d’une communauté pauvre, donc je viens vers cette communauté quand je veux faire ma communication. Le fait que j’implique mes sœurs qui sont dans cette communauté fait que je suis comprise par la société. Cette communication à la base est très importante. Raison pour laquelle nous sommes compris pour le moment par la population et j’espère que ça va continuer pour qu’on puisse régler beaucoup de problèmes.
Avez-vous un appel à lancer ?
C’est de demander à l’Etat (ndlr : sénégalais) de se tourner plus vers les jeunes filles. De prendre les préoccupations des jeunes filles comme axes prioritaires dans leurs interventions. Et les impliquer dans tout ce qui est politique et programme. Car, nous sommes le nœud de la société, nous pouvons régler beaucoup de choses.
Lancer un appel aux partenaires techniques et financiers du système des Nations-Unies de tourner la tête vers les organisations de jeunes. Nous participons aux panels de haut niveau mais l’autre paire de manche c’est de pouvoir descendre les ressources pour que les organisations puissent être vraiment dans la mise en œuvre de leurs projets. Je lance un appel à l’Unicef, l’UNFPA, l’Onu Sida, Plan international et toutes les agences du système des Nations-Unies. Qu’elles fassent confiance aux jeunes et accordent plus d’intérêt aux organisations de jeunes en Afrique et de les impliquer dans la mise en œuvre des divers programmes car ce sont ces jeunes-là qui sont dans la communauté, en contact avec leurs paires. La clé du changement, c’est nous. Venez vers nous, aidez-nous à changer la donne.