La politique économique du Bénin, 59 années après les indépendances accueillies avec ferveur, tarde à porter des fruits qui conduisent au développement. Pis, les signaux sont au rouge en matière de chômage et les nombreuses stratégies ourdies n’ont pas encore convaincues. Diplômé de la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), consultant en management des organisations civiles, Jules Mahuwhlenmi Madjro, est le directeur général du cabinet ’Essiel’’. A travers cette interview, il se penche sur le projet annoncé par le chef de l’Etat, le président Talon, de procéder à l’insertion professionnelle de 2000 jeunes chaque année et sur la politique économique du Bénin.
Le gouvernement a annoncé l’insertion de 2000 jeunes chaque année. Cette stratégie pourrait-elle se révéler payante, à votre avis ?
Il y a beaucoup de points qui nécessitent des éclaircissements dans le cadre de ce projet. Nous attendons les responsables des structures en charge de l’emploi des jeunes, l’ANPE et le Fnpeej, pour nous en dire davantage sur les détails de ce projet. Mais il y a une réflexion que je me suis permise. Le DG ANPE a récemment annoncé que la structure dispose d’une base de données de plus de 5.000 personnes qui sont accompagnées sur le chemin de l’auto-emploi. Alors quand le gouvernement annonce un recrutement de 2000 jeunes au sein des administrations publique et privée, cela peut se révéler être une source de démotivation pour ceux qui sont orientés vers l’auto-emploi. Ceux-ci peuvent être tentés d’abandonner leurs entreprises pour travailler dans l’administration.
Le Bénin compte 546 arrondissements. On aura moins de quatre jeunes par arrondissement. Ce qui revient à moins d’un jeune par quartier. Comment seront-ils alors sélectionnés ? Quels résultats peut-on attendre de ce projet ? C’est une très bonne volonté de pallier le manque d’emploi mais c’est à nous économistes d’évaluer la portée économique et la rentabilité de ce projet et d’en informer l’opinion publique et les décideurs afin qu’ils puissent en prendre compte pour une amélioration au profit de la jeunesse béninoise.
Le gouvernement accentue ses efforts dans la promotion de l’emploi mais une grande majorité des entreprises créées ne survit pas. Est-ce la politique de l’emploi qui est à mettre en doute ou la compétence des jeunes ?
L’emploi découle de la stratégie de développement des entreprises. Dans un pays en voie de développement comme le Bénin, l’Etat ne peut pas accentuer son énergie sur la création d’entreprises. Il faut une stratégie claire, précise et efficace pour accompagner les entrepreneurs dans le développement de leurs affaires. Il ne sert à rien de pousser les jeunes à créer des entreprises si c’est pour qu’ils mettent la clé sous la porte quelques mois plus tard et recommencent à zéro. Il faut accompagner les promoteurs d’entreprises dans la gestion de ces entreprises. Leur apporter des solutions. C’est plus facile de créer une entreprise que de la faire grandir.
Le Bénin vient de célébrer 59 années d’indépendance. Quel regard portez-vous sur sa situation économique ?
Après 59 années passées à gérer le Bénin, les dirigeants de ce pays, n’ont pas pu nous doter d’un système économique viable et durable capable de nous amener à tutoyer le développement. Cela n’est pas dû à un manque de volonté de la part de ces illustres hommes qui se sont succédés à la tête de notre pays. Mais le vrai problème réside dans un manque de méthodologie et de stratégie efficaces de gestion et de travail. La preuve, après 59 années d’autonomie de gestion des affaires du Bénin, nous en sommes encore à nous demander quoi faire pour sortir des griffes du sous-développement. Je ne veux en aucun cas jeter la pierre à quelqu’un. Mais si nos dirigeants avaient fait ce qu’il fallait, nul doute que nous ne serions pas encore à cette étape.
Aujourd’hui, le Bénin doit avoir un plan de développement économique durable. Et si cela existe déjà, cela ne doit pas rester dans les tiroirs. Cela doit être divulgué, vulgarisé. Pour que tout jeune qui veut entreprendre puisse savoir dans quel secteur investir et quoi en attendre. Quand on continue d’inciter les jeunes à investir dans l’entrepreneuriat sans être en mesure de leur dire quels sont les meilleurs secteurs, comment investir et surtout comment gérer et pour quel résultats à court, moyen et long terme, c’est qu’il y a encore du pain sur la planche.
Après 59 années d’indépendance, la situation économique du Bénin n’est pas reluisante. La croissance économique tend à se stabiliser depuis quelques années mais en 59 ans, nous avons manqué d’évolution.
Qu’est-ce qui justifie, selon vous, les contreperformances accomplies par l’économie béninoise ? Le manque de compétences ou de politiques de développement assez bien élaborées ?
Dans les années 60-70, l’Etat avait envoyé des citoyens à l’étranger pour se faire former en occident. Mais à leur retour, il n’y avait pas eu une main forte pour les maintenir sous l’autorité de l’Etat pour travailler d’abord pour l’intérêt supérieur de la nation. Ils étaient revenus en chefs, avec des intérêts particuliers. C’est un peu ce qui a continué jusqu’à ce jour. Il faut cette autorité régalienne de l’Etat qui plane sur l’ensemble de l’administration du Béni afin qu’il y ait une stratégie bien élaborée par l’exécutif qui puisse être mise en œuvre par tout un chacun. De cette manière, nous constituerons tous les pièces d’un même puzzle et travaillerons pour l’atteinte d’un objectif commun. Au lieu d’assister à ce que nous voyons où chacun prêche pour sa paroisse. Aucun développement ne se fait sans un élan national de solidarité.
Les compétences existent au Bénin. Mais c’est leur management qui fait défaut. Le béninois est bon pris individuellement et à l’étranger. Mais il perd de son efficacité quand il est dans un ensemble sur le plan local. C’est là que la nécessité d’une main forte revient sur le tapis.
Encadré
Le cabinet ‘’Essiel’’ en question
Le nom ’’Essiel’’ signifie ma confiance est en Dieu tout-puissant. Le cabinet a été créé pour répondre à des questions d’ordre managériales au sein des organisations civiles et religieuses. Ses activités sont la formation, le renforcement de capacités, la communication sur les activités des organisations civiles telles que les entreprises et les ONG et aussi des organisations religieuses. Les agents du cabinet accompagnent les organisations dans leur restructuration, à la mise en place des projets pour l’atteinte de leurs objectifs et la mise en place des organes de gestion adéquats pour l’atteinte de leurs objectifs.