(Un arrangement à risques)
Avec le nouveau code pénal voté au parlement béninois le 05 juin 2018, le requiem de l’essence frelatée ou de contrebande se trouve prononcer. Une loi qui pourrait faire jubiler nombre de concitoyens, parce que les dégâts liés à ce commerce illicite seront conjugués au passé. Mais c’est sans compter avec l’insuffisance voire l’inexistence de station service dans certaines régions du pays et la kyrielle de chômeurs que pourrait engendrer la disparition de cette activité qui emploient plusieurs centaines de béninois.
Encore du conformisme? Une loi de plus ? En tout cas tout porte à croire, car, une fois encore, on semble avoir permuté de place à la charrue et aux bœufs. Sans aucune mesure à la base, l’Assemblée nationale vient de jeter un pavé dans la mare du commerce de l’essence frelatée communément dite Kpayo. Si le kpayo a pendant longtemps résisté à sa disparition, l’Assemblée Nationale à la faveur du nouveau Code pénal entend prononcer son requiem. Et C’est l’article 929 dudit code qui le stipule : « le commerce des carburants, notamment : essence super, essence tourisme, pétrole, mélange deux temps ainsi que celui des lubrifiants aux abords des rues, dans les agglomérations, et tout endroit autre que les dépôts et installations de la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers ou des distributeurs agréés sont rigoureusement prohibés ». Et pour cause, les parlementaires entendent venir à bout des nombreux drames liés à la vente de ce type de carburant. Et dans la suite dudit code et précisément en son article 930, des peines d’emprisonnement et une amende d’au moins 100.000 Fcfa attendent les contrevenants. Mais vu la couverture du territoire national en station service, l’opportunité de cette loi et la suite à lui réserver laisse bien perplexe. Car, le parlement a carrément laissé la proie pour l’ombre. Plutôt que d’attaquer le mal par la racine, en travaillant d’abord à une couverture suffisante du territoire nationale en station service, elle a préféré passé directement à l’offensive. Et pourtant, une telle mesure ne connaitrait véritablement de succès que quand, le client aura le choix. Mais tel n’est pas encore le cas, du moins, dans la majorité des localités béninoises.
Entre inexistence, insuffisance et rupture permanente
Incendies, morts, problèmes écologiques, destructions massives, des manques à gagner pour l’Etat et la liste n’est pas exhaustive. C’est donc une lapalissade, le complot de l’essence de contrebande contre le Bénin, sa population, son environnement et son économie. Mais à y voire de prêt, les acteurs n’ont toujours pas le choix. En effet, plusieurs communes voire régions au Bénin ne disposent même pas d’une seule station service. Même dans la ville capitale, Porto-Novo, les stations services se comptent au bout des doigts. A Cotonou, ville métropolitaine, l’expérience issue des nombreuses luttes sporadiques déclenchées au fléau témoigne bien de l’insuffisance de station service, l’attente en file indienne au niveau de chaque station, en attente de s’approvisionner en carburant. Et le plus souvent, nombreux finissent par s’aligner en vain, car, à côté de cette affluence, cohabite, le risque de fréquente rupture compte tenu de l’inadéquation offre-demande. Dans un cas de rupture du produit, il faut tout de même attendre plusieurs jours avant que la station ne reprenne la distribution, le mode d’approvisionnement étant aussi des moins aisés. Et pendant ce temps, l’essence frelatée dite ‘’kpayo’’ reste l’ultime recours des clients. Sans attente, tracasseries et à moindre coût, les abonnés du kpayo mènent paisiblement leur vie. La rupture, dirait-on, ne se constate presque jamais ici, car, à chaque 100 mètres surtout dans la métropole, chacun est à faire son commerce et sans grand moyens. Mais s’en est fait d’eux maintenant. Ils devront expressément se reconvertir si tant est que cette décision doit s’appliquer, même si l’aménagement de la vallée de l’Ouemé annoncé pour les accueillir, n’est encore effectif que dans les rêves. En attendant donc le projet de reconversion, l’Assemblée nationale a choisi de passer la charrue avant les bœufs cette, et les conséquences comme dans il en est du déguerpissement, sont aussi aux aguets.
Un nouveau lit dressé à la pauvreté
Aussitôt promulguée, le nouveau Code de procédure pénal sonnera le glas du Kpayo. Mais que deviendront-ils, sachant que certains, depuis plusieurs décennies ne vivent que de cette activité sinon même en son héritiers. C’est le cas de Yèkini MoukaÏla, vendeur d’essence frelatée à Porto-Novo qui confie être né dans l’activité. A l’en croire, la scolarité de tous ses frères et de ses progénitures, est la résultante de ce commerce ‘’dit illicite’’. ‘’Même en fréquentant, nous aidons nos parents dans la vente de l’essence’’. Outre, lui, deux autres de ses frères y évoluent et en vivent avec leur famille. Pour aller plus loin, il explique qu’il en est de même de plusieurs autres commerçants informels du produit surtout à Porto-Novo. Dès lors, estime-t-il, c’est livré plusieurs béninois à la rue que de supprimer ce secteur qui pour lui, « absorbe, un taux non négligeable de chômeurs et de sans emplois ». A propos de l’idée de reconversion, Oscar Djidonou, un autre vendeur ne partage guère cette thèse car, assène-t-il, « on ne se lève pas un jour pour aller à la terre », ou expliquer qu’il ne s’y est pas préparé et n’y est pas formé. Mais que deviendront toutes ces milliers de commerçants de kpayo si cette lois venait à être promulgué ? Le Bénin s’avancerait-elle vers une nouvelle crise sociale avec tous ses corolaires ; insécurité, famine, sous développement, mévente et autres ? Ne feraient-on pas mieux en formalisant et en révolutionnant le commerce du kpayo, telle l’idée de sous groupe ou filiale de gestion de sociétés de stations services plutôt que d’en finir d’emblée ? C’est là une interrogation qui doit préoccuper les dirigeants en marge des nombreux risques.
Bidossessi WANOU