La pandémie du coronavirus impacte négativement les activités économiques du monde y compris celles de l’Afrique et dont le Bénin. Pour répondre à cette préoccupation, Yacine Bio Tchané, Economiste et Associée-gérante du cabinet T-Ventures, présente dans une étude Intitulée «L’impératif des mesures de relance économique est de soulager l’informel et de proposer des produits plus adaptés aux PME/PMI». Quelles formes de mesures d’accompagnement du gouvernement pour soulager les opérateurs économiques, tous secteurs confondues selon Yacine Bio Tchané affectés par la pandémie ?
Depuis cinq mois que le premier cas d’infection du Covid-19 a été déclaré en Chine, la pandémie a évolué de manière relativement bénigne au Bénin toutefois avec une recrudescence au cours des derniers jours au point d’atteindre un pic de 319 personnes infectées dont 255 sont sous traitement, 62 sont guéries et 02 sont décédées (10 mai 2020).
Il est indéniable que notre nation subit des dommages économiques de la crise et que la population pour la plupart, en est affectée notamment dû à des pertes de revenus ou au pire des cas à des pertes d’emplois ou à des arrêts d’activités. Le 12 avril 2020, quelques jours après la mise en place par le gouvernement, du cordon sanitaire autour de 12 communes, notre cabinet partageait les résultats d’un sondage auprès de 155 PME/PMI à Cotonou et Abomey-Calavi sur les effets de la pandémie Covid-19 sur leurs activités. Le constat était le suivant : 9 entreprises sur 10 sont affectées par la pandémie tous secteurs d’activités confondus. Ce sont notamment une baisse de la clientèle, des contrats et prestations/évènements suspendus, ou la difficulté d’importer et d’exporter. Ces entreprises sont ainsi confrontées à des difficultés de trésorerie, à un arrêt de la production et en l’occurrence à la mise à pied d’employés, et enfin à une baisse significative de leur chiffre d’affaires. Enfin, plus de deux-tiers des entreprises ont une durée de survie de moins de 60 jours en cas de non perception de recettes.
Un mois après, à la veille de la levée partielle du cordon sanitaire, notamment pour la reprise des classes, le cabinet a renouvelé un sondage auprès de 160 PME/PMI tous secteurs confondus en activités à Cotonou et Abomey-Calavi pour apprécier leur résilience face à la crise et recueillir leurs attentes sur l’assistance du gouvernement promise par le Ministre de l’économie et des finances lors de sa sortie médiatique du 26 avril 2020 sur l’ORTB. Les résultats du sondage se présentent comme suit.
Profil des entreprises
Les répondants détiennent principalement des Etablissements (55%) et des Sarl (41%). Près de la moitié (48%) est en activités depuis 6 à 10 ans tandis mais près de 33% ont moins de 5 ans d’âge. La majorité (74%) compte 1 à 10 employés comparativement à 17% qui emploient 10 à 20 personnes et, 9% qui en emploient plus de 20. Seuls 23% des répondants ont un crédit en cours auprès d’une institution financière.
Effets du Covid-19 sur les activités des PME/PMI et mesures de survie
Les trois principales manifestations des effets de la crise sur les activités des PME/PMI restent la baisse de clientèle ou de fréquentation (50%), le report ou la suspension de contrats/d’évènements (25%) et la difficulté d’importer/d’exporter (14%). A cet effet, 43% des répondants affirment avoir vu leur chiffre d’affaires en baisse de 25% à 50% tandis que 41% ont perdu plus de la moitié voire la totalité de leur chiffre d’affaires (50% à 100%) et, 6%, plus de 100%. Toutefois, 9% des PME/PMI ont connu une hausse de leurs chiffres d’affaires.
Par conséquent, le ralentissement des activités économiques a entraîné la mise au repos du personnel de 63% des PME/PMI : plus précisément, près de 3 entreprises sur 4 (74%) ont licencié entre 1 et 5 personnes et, 15% entre 6 et 10 employés. Par ailleurs, 23% des entreprises ont volontairement arrêté leurs activités depuis le début de la pandémie tandis que presque le double (44%) anticipe de fermer définitivement, faute de moyens au cours du prochain mois.
A cet effet, les PME/PMI ont ajusté leurs perspectives de telle sorte que 31% ont suspendu tout futur recrutement, 20% ont reporté des investissements, 15% se gardent de lancer une nouvelle offre de produits. En revanche, 13% ont poursuivi leur plan d’activités initial sans aucun changement. Les PME/PMI ont vite compris qu’elles devaient prendre des initiatives en interne afin de se maintenir en activité à flot. La plupart d’entre elles ont priorisé la fidélisation de leur clientèle (42%), la sécurisation de leur trésorerie (21%), la diversification de leur offre de produits (18%) et le maintien des emplois des salariés (9%). Par ailleurs, près de deux-tiers d’entre elles ont pris des mesures pour rendre leurs produits ou services plus accessibles tels que, la réduction de leurs prix (24%), diverses promotions (15%), la vente des produits en ligne (13%), la gratuité de la livraison ou, d’autres services (9%).
Enfin, concernant les échéances fiscales, 73% des répondants ont affirmé être en mesure de payer leurs impôts dont 30% d’entre eux ne pourraient payer qu’une partie du montant dû.
Assistance reçue
Les PME/PMI n’ont jusque-là reçu aucune assistance d’une quelconque institution, maintenant le cap tant bien que mal. Au regard d’une baisse significative de revenus, la moitié de celles ayant un crédit en cours se trouve dans l’incapacité de payer ses traites mensuelles. Seules quelques-unes (3%) des débiteurs ont bénéficié de conseils de leur banque afin de mettre en place des mesures facilitant le paiement de ces mensualités.
Besoin d’assistance
Pendant la durée du cordon sanitaire, la situation des PME/PMI s’est dégradée de telle sorte que 84% d’entre elles demandent à présent une assistance du gouvernement (comparé à 72% le mois passé), surtout que 80% estiment ne pas disposer suffisamment de trésorerie pour survivre au cours des 3 prochains mois.
Cette assistance est suggérée sous forme de : moratoire sur les obligations fiscales et de la CNSS jusqu’au 30 juin 2020 (38%), accès à un fonds de roulement pour couvrir 3 à 6 mois d’activités (21%), accès à du capital pour diversifier leurs activités (17%), paiement des arriérés dus par l’Etat (12%) et l’obtention d’une garantie par l’Etat (11%).
Bien que les appels d’assistance aient été lancés depuis le début de la crise par les PME/PMI, les effets de la crise se ressentent plus dans le quotidien des opérateurs économiques si bien qu’ils implorent une quelconque assistance au gouvernement qui leur serait la plus bénéfique au cours du prochain mois (86%).
Critères et canal d’octroi d’assistance
A l’issue du premier sondage, notre cabinet proposait dix mesures socio-économiques pour le plan de riposte économique du gouvernement. Ces mesures sont fondées sur le précepte qu’il faut donner une bouffée d’oxygène aux entreprises et aux populations tout en leur permettant de poursuivre leurs activités commerciales dans la plus grande sécurité sanitaire.
Cette bouffée d’oxygène représente un message fort aux citoyens habitués à être livrés à leur sort : en cas de crise, l’Etat compatit à vos difficultés et est prêt à soulager une partie des entreprises tous secteurs confondus et de la population. Elle sera d’autant plus symbolique qu’elle s’alignera avec la perception des citoyens sur la capacité financière de l’Etat, notamment après réception de divers dons et appuis internationaux, à mettre la main à la poche. En effet, 84% des répondants estiment que le gouvernement a les moyens financiers d’assister les PME/PMI et dans une certaine mesure, gardent espoir qu’il prendra des mesures d’accompagnement en leur faveur (66%).
Des mesures sociales ne voudront certainement pas dire qu’elles sont universelles et que tout citoyen et entreprise en ont droit ou en sont éligibles. Ainsi, il conviendrait que l’Etat définisse des critères d’éligibilité et les canaux d’octroi les plus appropriés.
Critère de choix des bénéficiaires
Concernant les entreprises, il faut impérativement éviter un afflux de faillites. Il s’agit de soutenir celles qui ont été résilientes au cours de ces dernières années, qui comptent plusieurs employés, et qui contribuent aux finances publiques à travers diverses mesures leur permettant de gagner du temps et de disposer de la trésorerie nécessaire pour pivoter durant et après la crise. Les répondants ont décliné trois types de critères d’éligibilité pour obtenir une assistance du gouvernement, à savoir : être à jour dans les déclarations au 31/12/2019 (55%), avoir perdu plus de 35% de son chiffre d’affaires (28%), ou avoir fermé une unité de production (7%). En matière de forme d’assistance, ils ont également une forte préférence pour l’accès à des crédits à taux préférentiel (51%), la mise à disposition d’une garantie de l’Etat (28%) et la prise de participation de l’Etat dans les entreprises (9%).
Par ailleurs, notre économie est majoritairement informelle. Jusque-là, les différentes études sur les effets de la pandémie sur les PME/PMI au Bénin de même que l’approche mesurée du gouvernement par le biais de recensement des différents corps de métiers ne concernent que celles qui sont formellement enregistrées. Or, les opérateurs informels sont majoritaires et stimulent l’activité économique. Notre cabinet suggère une allocation forfaitaire d’un montant de 40 000 FCFA correspondant au SMIG à un quota de personnes tout secteur d’activités confondues. Il est important de noter que les opérateurs informels incluent les populations les plus pauvres et vulnérables.
Canal d’octroi des subventions
De prime abord, moins de la moitié des répondants (49%) estime que le gouvernement sera équitable et transparent dans son assistance aux PME/PMI contre 36% qui estiment qu’il le sera partiellement et, 14% qui pensent qu’il ne le sera pas du tout. Il est ainsi important que le gouvernement poursuive sa communication régulière lors de l’annonce et de l’octroi des mesures.
Pour les entreprises, il ne faut surtout pas opter pour les mêmes critères rigides en vigueur, notamment via le canal des banques, qui ne contribueront qu’à exclure la majorité des entreprises concernées et auront l’effet inverse de l’objectif recherché, à savoir, maintenir les entreprises en activité.
Par ailleurs, les antécédents des programmes dédiés aux PME (Fonds, Agence, etc.) ont prouvé leurs limites et dysfonctionnements de telle sorte qu’il conviendrait d’innover en créant un fonds d’urgence qui servirait de véhicule afin d’une part de faire des prises de participation minoritaires ou d’octroyer des subventions selon la taille des entreprises ; et d’autre part, de faciliter la mise en place de garanties.
Pour les informels/populations, l’envoi dans le porte-monnaie électronique s’inscrit dans la ligne droite de l’ambition du gouvernement pour une nation digitalisée.
La crise économique présente une opportunité pour le gouvernement de renforcer son rôle dans le soutien des PME/PMI et de repenser la fiscalité du secteur informel.
Par Yacine Bio Tchané, Economiste et Associée-gérante du cabinet T-Ventures