L’ancien Directeur général de la Caisse Autonome d’Amortissement, Gilles Guerard a entretenu les journalistes du quotidien L’économiste du Bénin sur deux sujets d’intérêt général. Il s’agit de la pression fiscale et de la dette publique. En se prononçant sur les deux notions, il a exposé la situation au Bénin, dans d’autres pays de l’UEMOA et dans le monde. Découvrez ici l’intégralité des échanges.
L’économiste du Bénin: Qu’est-ce que la pression fiscale ?
Gilles Guerard : La pression fiscale est d’abord un déterminant de l’endettement. Il ne faut pas confondre la pression fiscale et le taux d’imposition moyen que les gens appellent aussi pression fiscale. La pression fiscale est un amplificateur ; mais sans contrepartie directe auprès des ménages et entreprises. Cet indicateur pourrait prendre en compte aussi les cotisations sociales, cela dépend de ce qui veut être mesuré. En général, ce sont les recettes fiscales divisées par le PIB. Le PIB, c’est la création de valeurs, des recettes générées à l’intérieur du Pays. Cela donne un taux qui permet de comparer les économies ou l’évolution des économies des différents pays, la performance économique, et de pouvoir mettre en place des politiques de développement.
La pression fiscale n’était pas un élément préoccupant. Pendant longtemps, depuis les années 60-70, les partenaires au développement se sont focalisés notamment sur le transfert de fonds, l’aide publique au développement, et les transferts de la diaspora pour financer l’économie. Cela a atteint ses limites, surtout au niveau mondial où les exigences devenaient de plus en plus importantes. Ainsi, tout le monde a commencé à s’intéresser à la pression fiscale. Comment les Etats peuvent générer des ressources à l’interne pour pouvoir amorcer leur propre développement ?
Il faut d’abord retenir que la pression fiscale est liée à la fois au niveau de développement et au niveau de revenu des populations. Il y a une corrélation positive entre la pression fiscale et le revenu par habitant : plus le revenu par habitant augmente, plus la pression fiscale augmente ; plus le revenu par habitant augmente, plus la population a des exigences en matière de services publics et les exigences deviennent de plus en plus fortes pour pouvoir financer ces services publics demandés. Les Etats sont donc amenés à identifier les voies et moyens pour pouvoir augmenter la collecte des ressources internes et donc à définir un angle de politique par rapport à cela. Et cela devient intéressant parce que les Etats sont amenés à regarder plus leurs politiques de collecte de ressources internes que d’aller rechercher des ressources externes auprès des partenaires sous forme d’aides publiques au développement. Etant donné que l’Etat doit mettre en place une politique de développement pour financer les besoins croissants des populations, cela implique la mise en place des politiques pour une augmentation des ressources internes.
Pendant longtemps, les recettes douanières ont été supérieures aux recettes fiscales. Même au Bénin, entre 1960 et 2016, les recettes douanières ont été supérieures aux recettes internes. Ce n’est qu’en 2017 et 2018 qu’il y a eu une inversion où les recettes fiscales sont devenues plus importantes. La recette fiscale est influencée par quatre facteurs : l’ouverture de l’économie, les secteurs d’activités, le niveau d’Urbanisation ou l’informel et la transparence budgétaire. Le premier facteur qu’est l’ouverture de l’économie entraine la baisse tarifaire des recettes douanières. C’est la raison pour laquelle les Etats devraient chercher d’autres ressources pour pouvoir compenser les recettes douanières. Les Etats ont dû commencer par une mobilisation accrue des recettes intérieures. C’est pour cela que les gens ont commencé par s’intéresser à la pression fiscale. Concernant le deuxième facteur, l’assiette fiscale est très réduite parce que le Bénin a une économie où le secteur agricole est très important en plus d’un secteur informel très considérable. Dans les pays où le secteur agricole est élevé, les recettes internes sont forcément plus faibles : des produits qui ne sont pas taxés ni directement ni indirectement, or le secteur agricole représente 30 à 40% du PIB. Il y a toute une partie de l’économie qui échappe à la collecte des impôts. En effet, le Bénin connait des densités très faibles au niveau des populations. Comme les populations sont éparpillées sur toute l’étendue du territoire, il est difficile d’aller collecter des impôts parce qu’il faut avoir les structures et autres pour le faire.
L’urbanisation peut entraîner une augmentation des recettes mais il peut également entraîner le développement de l’informel. Le quatrième point concerne la transparence budgétaire. Si un pays a des politiques budgétaires transparentes, il remonte contre la corruption et atteint l’efficacité administrative dans la collecte des impôts ; et quand cette collecte des impôts augmente, elle est d’autant plus acceptée par la population quand il y a un impact social sur leur environnement. Si le gouvernement a une politique efficace de services publics, de santé, d’école, etc., il faut accepter de s’identifier pour collecter dans le secteur primaire, le secteur secondaire. Ainsi, on peut facilement imposer à l’Etat, la transparence budgétaire. Donc ce sont les déterminants de la pression fiscale.
Quel est le taux de la pression fiscale acceptable ?
Dans les pays industrialisés où l’administration est beaucoup plus efficace dans la collecte des impôts, la pression fiscale est autour de 30% à 50% à peu près. La France est à un taux de 48%. Dans certains pays, les Etats Unis sont à 27% et l’Allemagne à 38%. Leur économie est capable de cerner l’assiette fiscale, identifier le revenu des personnes imposables, avoir une matière qui puisse collecter. En Afrique subsaharienne, le taux est autour de 20% contrairement aux pays occidentaux. La moyenne, c’est l’objectif idéal par rapport à la structure des économies africaines.
Est-ce qu’il y a eu une norme ou un seuil de pression fiscale?
La norme, c’est de prendre le taux moyen des pays à économie similaire dans sa région. L’UEMOA par exemple a une norme, un objectif de 19% qui est un objectif que les pays de l’UEMOA doivent atteindre. Certains sont au-delà et d’autres sont en deçà. La norme, c’est le taux moyen pour que tous les pays avancent de la même manière. Beaucoup de pays sont en deçà de cet objectif. Puisque le pays a un l’objectif, il évalue les déterminants et met en place les politiques pour atteindre cet objectif. C’est possible avec la rigueur de travail. Seul le Sénégal est à 21% ; le Burkina est à 14%, le Togo était entre 18% et 19%. Lorsque le PIB n’a pas subi de rebasage depuis 15 ans, il y a un déphasage du PIB. C’est ce qui s’est passé au Bénin où le rebasage du PIB a été effectué. Cela a permis de faire un bond de PIB important mais la pression fiscale chute : c’est la réalité de la collecte. Le PIB est évalué annuellement pour mesurer la croissance économique du pays. A un moment donné, il faut faire un recensement global de l’économie pour savoir ce qui manque et la part de chacun. Au Bénin, c’était à 14%, mais c’est retombé à 8% récemment.
Avec tout ce que payent les contribuables ?
Il faudrait que les gens ne confondent pas la pression fiscale et le taux d’imposition moyen (56%) qui est très élevé au Bénin. C’est le taux d’imposition moyen des entreprises. Cela prend en compte les différents impôts auxquels sont assujetties les entreprises. La pression fiscale, c’est la collecte des ressources par rapport au PIB. Et cette pression fiscale est une donnée macroéconomique qui est déterminée par les quatre éléments sur lesquels doivent porter des politiques.
Qu’est-ce le taux d’ouverture commerciale ?
Le taux d’ouverture commerciale est un élément important. Plus le pays est ouvert, plus sa douane doit baisser et il faut trouver les éléments pour compenser cette baisse. C’est un phénomène qui a commencé dans les années 80, 90 où les occidentaux ont poussé à la baisse des droits de douane pour faciliter le libre échange des marchandises dans le monde et rendre l’achat de bien moins cher. C’est dire que plus les droits de douane baissent, plus le pays est ouvert au monde et c’est cela qui signifie le taux d’ouverture commerciale. Mais la conséquence est que, si le pays ne dispose pas d’une industrie, il importe beaucoup donc il faut protéger des secteurs industriels pour pouvoir favoriser un développement industriel. Or, pendant des années, les pays africains ont été obligés d’ouvrir les frontières sans restriction ; ce qui fait que des produits se sont déversés en masse.
Dans les pays où les secteurs informel et agricole sont importants, il y a très peu de recettes fiscales. Ainsi, il faut se focaliser sur les secteurs industriels. Il y a des pays qui ont des revenus pétroliers et miniers très importants. Ces pays négligent la collecte des impôts intérieurs. Dans ces pays les gens ne payent pas les impôts. Le taux de pression fiscale est faible. Le taux est à 6% au Nigéria. Les gens ne payent pas d’impôts et la TVA au Nigéria. Ils sont très dépendants des revenus pétroliers. Maintenant, il faut mesurer les efforts que l’Etat fait pour pouvoir améliorer sa pression fiscale. Le premier effort, c’est d’identifier les secteurs imposables et d’élargir l’assiette parce qu’on ne peut pas rester concentré sur un nombre restreint d’entreprises et les personnes qui paient les impôts. Pour élargir l’assiette, il faut diminuer l’informel. Pour cela, il faut tracer les activités. Ensuite, il y a la Tva qui n’était pas très importante 10 ans en arrière mais qui devient une ressource importante dans les Etats. Au Bénin, depuis 3 ans, les recettes de TVA ont une croissance exponentielle parce qu’avec la digitalisation et les terminaux des factures normalisées, la fraude diminue totalement parce que plus personne ne peut y échapper. La recette existait mais allait dans la poche des acteurs. Donc, rien qu’en luttant contre la fraude et la corruption, la pression fiscale augmente. Ainsi, l’Etat donne les moyens de s’autofinancer et de devenir indépendant de l’aide extérieure. Il vaut mieux pouvoir compter sur les propres forces du pays. Cette pression fiscale a un effet direct sur le taux d’endettement. En effet, le taux d’endettement implique la capacité à s’endetter qui, à son tour, dépend de la capacité à rembourser. C’est la pression fiscale qui détermine la capacité à rembourser la dette du pays. Si l’Etat fait monter le PIB et ne fait pas monter la collecte de ressources internes, le taux de pression fiscale se dégrade. C’est pour cela qu’il devient urgent et déterminant d’augmenter les recettes internes. En matière de taux d’endettement, le Bénin est autour de 48%. Or le taux au niveau de l’UEMOA est de 70%. En considérant tous les déterminants de la dette, le Bénin a une capacité jusqu’à 60%. Mais si on atteint ce seuil, ce sera tendu au niveau de la gestion de la trésorerie, notamment pour faire face au paiement des salaires, à l’investissement public… Quand le pays a un taux d’endettement de 30 ou 35%, le pays peut facilement faire face à ses échéances sans aucune difficulté. L’idéal est de rester en deçà des 50%. Le Bénin, ces dernières années, a changé la structure de sa dette. Les dettes sont réparties entre dettes externes et dettes internes. La dette interne, c’est des dettes en monnaie locale, la dette en CFA. Les créances sur les entreprises ne sont pas des dettes, c’est plutôt un engagement qui doit être payé en 3 mois ou 6 mois. Quand ça dépasse 6 mois, ça devient un impayé. La dette c’est le fait d’aller souscrire un emprunt auprès d’un tiers (auprès des banques, auprès des marchés) sur une durée définie avec des conditions. La dette est un acte positif. Les dettes auprès de la BAD, BOAD, Banque mondiale etc., sont des dettes extérieures à la zone UEMOA. Le Bénin a commencé depuis 3 ans, des émissions obligataires. Ce qui n’existait pas auparavant. Ce sont les emprunts sur le marché international de l’eurobond qui commencent par représenter une partie importante des engagements.
La dette intérieure du Bénin est à 1500 milliards alors que sa dette extérieure (bilatérale, multilatérale, commerciale, eurobond) est d’environ 3250 milliards. Le total de la dette fait 4849 milliards avec un taux d’endettement de 49,3%. Donc en matière de dette publique, le Bénin est à 38% en Euro et 31% en CFA. Pratiquement 60% de la dette publique béninoise est en dette extérieure parce qu’il y a eu des eurobonds avec des maturités plus longues et des taux plus bas. Ce qui fait que la charge de la dette est réduite. L’élément important, c’est la charge de la dette : quand il y a des maturités plus longues, l’Etat a plus de facilité à rembourser dans le temps.
Le Bénin a payé par anticipation sa dette et cela a suscité beaucoup de commentaires…
Le paiement anticipé permet de faire des économies car, il réduit la charge de la dette. Le Bénin l’a récemment fait mais ce n’est pas la première fois.
En 2018 l’Etat avait reprofilé la dette et fait un emprunt en Euro auprès d’une institution financière qui avait servi à rembourser les banques commerciales locales et certains titres obligataires sur le marché pour 250 milliards. Les titres ou les prêts commerciaux auprès de ces banques locales étaient à des taux de 8,5% qui avaient été faits sous les gouvernements précédents : c’était exorbitant. Depuis 2016, le Benin emprunte autour de 6%, ce qui permet d’avoir une différentielle de 2% dans la même monnaie. Maintenant lorsque l’Etat emprunte à l’extérieur, il a moins de 2%, ce qui fait une différentielle de 6 à 7%.
Le Bénin n’a pas 100 milliards dans un compte, aucun pays ne l’a (dans son compte). C’est la capacité d’un pays à faire rentrer l’argent qui lui donne cette capacité à emprunter. Au niveau de la trésorerie, le point se fait de façon hebdomadaire et mensuelle par rapport à la disponibilité de ce qui est rentré.
Quand l’Etat réalise le modèle qui permet de calculer la soutenabilité de la dette, il projette la dette sur les 25-30 ans avec les charges et intérêts et fait les prévisions macroéconomiques, le taux de croissance, etc. Ensuite, il va prendre un nouvel emprunt et fait des simulations pour voir ce que cela va donner au niveau du taux d’endettement dans 7-10 ans etc. Les partenaires peuvent estimer que cette dette n’est pas bonne pour le pays, et peut refuser de prêter à l’Etat.
Payer plus tôt la dette ne cause pas de dommages à l’emprunteur ?
Le marché financier est ouvert, c’est concurrentiel. Si quelqu’un veut prêter à 2% alors que d’autres veulent rester à 8%, il est libre de rester à 8% si d’autres sont prêts à venir les chercher. Il n’y a aucune obligation. Maintenant, c’est vrai que les banques qui ont prêté à 8% se sont retrouvées avec plus de liquidités. Les banques commerciales ont beaucoup de ressources financières.
Quels sont les objectifs des injections de liquidités hebdomadaires de la BCEAO dans l’Union ?
Cela permet aux banques d’avoir de la liquidité pour faire face à certains engagements.
Pourquoi les échéances sont souvent courtes et non longues?
De façon générale, c’est par rapport à la structure économique des pays qui n’ont pas de ressources à long terme. Quand ces pays font une émission, il faut adapter la maturité par rapport à la capacité des gens qui veulent les financer. Dans certains pays, ils ne vont pas au-delà de 01 an ou 03 mois-06 mois. Parce que les gens n’ont pas confiance et se disent qu’ils vont déposer leur argent auprès d’un Etat pendant 05-06 ans, alors qu’ils ne savent pas ce qui va se passer. Ils préfèrent donner 3 mois ou 6 mois à 1 an à l’Etat parce qu’il va être prêt à reprendre ses ressources. Donc il y a la perception de l’économie du pays, la culture des investisseurs. Ça, c’est une opinion personnelle, il y a certaines populations qui sont orientées sur le commerce. Elles préfèrent faire tourner leurs fonds et faire de plus-values et recommencer. Elles n’ont pas une vision à moyen et long termes parce que c’est un problème culturel, éducatif, etc., c’est pourquoi il n’y a pas beaucoup d’industries. Dans une entreprise industrielle il faut investir sur 5-10-15 ans et plus. Mais si un investisseur a 1 milliard FCFA et le met dans une opération de commerce rapide, il gagne 200 millions FCFA ; pourquoi faut-il choisir de l’investir dans une industrie alors que dans 10 ans il n’est pas sûr de gagner ces 200 millions ? Compte tenu des expériences des uns et des autres dans les différents pays, les épargnants hésitent à bloquer leurs capitaux sur du moyen et du long terme. Cette façon de raisonner se retrouve au niveau des investissements sur le marché financier.
Quelle est la corrélation entre pression fiscale et le revenu par habitant ?
Le revenu par habitant, c’est le PIB par habitant. Face aux exigences des populations (notamment un bon système de santé, une éducation de qualité, etc..), l’Etat doit trouver les ressources pour satisfaire ces besoins parce qu’elles produisent des richesses pour le pays. L’état va trouver ces ressources à travers, la pression fiscale. Donc, il faut mobiliser plus de ressources intérieures pour financer les besoins de ses populations qui augmentent. C’est une corrélation positive attestée par des études. Par exemple, quand la production agricole augmente, les revenus des agriculteurs augmentent et recherche à envoyer leurs enfants à l’école. Les demandes pour l’école deviennent plus importantes. Qu’est-ce que l’Etat fait ? Il doit rechercher des ressources pour financer les écoles, les cantines, recruter des professeurs. Il faut augmente la collecte des impôts. Si l’Etat veut promouvoir la paix sociale, il doit satisfaire ces besoins.
Pourquoi le Bénin ne pourrait pas suivre l’exemple du Japon qui priorise la dette intérieure ?
L’Etat ne peut pas opter pour la dette intérieure si le pays n’a pas de revenus intérieur stables suffisants pour l’épargne. Il faut que les habitants épargnent et investissent dans leur pays. Il n’existe pas d’épargne significative dans les économies de la région. L’épargne qui finance la dette intérieure, ce sont les cotisations sociales : c’est l’autre moyen de se financer. Le Bénin a une très bonne base de cotisation sociale, parce que la CNSS est une des premières Caisses Nationales de Sécurité Sociales de la sous-région, même en Afrique, en matière de collecte de ressources. Elle a bien investi, elle a été bien gérée et ça peut servir de levier d’investissements. Avant, la CNSS investissait seulement dans les bons de trésor et les obligations aussi bien en interne que dans la sous-région. Maintenant, on les oriente plus vers la Caisse des Dépôts et Consignations qui gère 40% des ressources pour venir financer les investissements internes. Ainsi, ils vont financer 2145 logements sociaux, le marché de Kouhounou. Le Bénin n’aura pas besoin de rechercher les fonds à l’extérieur.
Quel lien y a-t-il entre les impôts et la pression fiscale ?
Il y a un lien, puisque ce sont les impôts qui deviennent des recettes fiscales et constitue un élément de calcul de la pression fiscale. Mais c’est deux mesures différentes. Il y a le fait de mesurer à quoi est assujettie une entreprise. Elle va payer la TVA, la patente, l’impôt sur les salaires, l’impôt sur le revenu des sociétés et autres. C’est tout ça qui fait la charge fiscale d’une entreprise.
Pourquoi les produits fabriqués au Bénin coûtent plus cher que ceux importés ?
Oui parce que le Bénin a des facteurs de production aux coûts élevés. Il y a par exemple une énergie qui coûte cher, la fiscalité, la fraude ; il n’y a pas les matières premières, donc il faut s’industrialiser par rapport aux matières premières disponibles. Et pour cette ouverture des frontières, l’Afrique a baissé les tarifs douaniers et les Etats étaient obligés d’aller chercher des compensations parfois pour financer leur budget. Et beaucoup de pays africains dépendent des recettes douanières. Même si au Bénin, le paradigme a changé, les recettes internes ont dépassé largement les recettes douanières, ça n’a pas été le cas jusqu’en 2017. Depuis les indépendances, on dépendait des recettes douanières. C’est très facile, grâce à la frontière, l’Etat peut facilement taxer. Il a fallu arrêter la fraude à la douane parce que beaucoup importaient mais ne payaient pas de taxes extérieures. Non seulement, ils sous-payaient mais il y avait des sociétés fictives qui importaient et qui avaient des chiffres d’affaires de plusieurs milliards mais étaient inconnues aux impôts. Il y a des sociétés avec plusieurs milliards de chiffre d’affaires qui n’ont jamais payé d’impôt. Et il est impossible de savoir que cette société existe : en fait, la société sert seulement à importer des marchandises qui disparaissent entre autres dans des entrepôts d’autres sociétés sur place. Ces sociétés vendent, mais ne vont jamais payer les impôts intérieurs. Ils ne sont pas prêts à payer l’impôt sur les sociétés, la TVA etc. parce que ces marchandises n’existent pas. C’est le nettoyage de la base IFU qui a permis de stopper cette fraude, de fusionner la base de données des impôts et des douanes. Quand leurs bases ont été fusionnées, ça a permis de sortir les IFU fictifs.
Peut- on dire aujourd’hui qu’il n’y a plus de fraude ?
Certes, il y en a mais cela devient difficile car avec la digitalisation de l’économie, tout est cerné. Par exemple, acheter aujourd’hui sans obtenir la facture normalisée, ne permet pas à l’acheteur d’enregistrer cette opération dans sa comptabilité et récupérer la TVA. En effet, le service des impôts va rejeter une facture simple ; il faut qu’elle soit normalisée pour être enregistrée directement dans le système. Maintenant, si le vendeur lui-même ne fait pas la facture normalisée, il ne peut récupérer la TVA qu’il a payée à la douane lors de l’approvisionnement auprès de son fournisseur. Et s’il a importé 100% des marchandises et que ça ne se reflète pas dans son chiffre d’affaires, ou il n’a ni déclaré la marchandise, ni le chiffre d’affaires, il est difficile de savoir d’où les marchandises viennent. Par conséquent, les entreprises ont intérêt, même en tant qu’individu à exiger la facture normalisée. Au-delà de la conscience citoyenne, c’est pour leur propre intérêt économique. Donc en tant que citoyen, chef d’entreprise et personne individuelle, il faut exiger la facture normalisée afin d’en profiter. Celui qui n’exige pas la facture normalisée, joue contre lui-même.
Mais le gros souci, ce sont les petits artisans du coin, un électricien, un menuisier, un mécanicien qui va payer une pièce à côté ou vient faire une prestation, ce n’est pas évident…
Oui mais il est possible de le faire en ligne par l’entreprise ou l’individu qui n’a pas la machine. Et puis, au lieu de faire avec la catégorie des vendeurs qui facturent moins cher sans pouvoir permettre de récupérer la TVA, il vaut mieux acheter auprès d’une structure formelle capable de facturer un peu plus cher à cause de la TVA, afin de pouvoir la récupérer. Collaborer avec une entreprise régulière pour ses services est bénéfique. Par exemple, à la banque, il est demandé de respecter la règlementation. Les entreprises les plus performantes sont celles qui respectent la règlementation. Pourquoi ? Il y a des banques qui arrivent à faire des taux de rentabilité de 15% en respectant la règlementation dans le pays, payer les impôts, de bons salaires, etc. Dans le même temps, d’autres entreprises qui exercent dans le même pays ne paient pas les impôts parce qu’elles estiment qu’elles ne s’en sortent pas en le faisant. Cela montre clairement qu’elles ne veulent pas payer les impôts. Pourquoi les banques qui sont les secteurs les plus règlementés, les plus surveillés au monde au point où elles ne peuvent même pas mettre une virgule de côté ? Pourtant elles arrivent à être rentables.
Elles ne manquent pas de frauder non plus ?
Certains diront qu’elles fraudent mais elles font plutôt de l’optimisation fiscale. Elles sont tellement contrôlées, chaque année ; ce n’est pas comme les entreprises classiques où c’est tous les trois ans. Le reste, ce sont des idées reçues. Elles discutent point par point avec les services des impôts. La DGI les redresse, et elles contestent jusqu’à compréhension et clarification. Mais ce n’est pour autant qu’elles vont truquer, ce n’est pas sur le chiffre d’affaires qu’elles vont cacher des choses, c’est beaucoup plus subtil, c’est sur des interprétations.
Que direz-vous pour conclure ?
Merci à tous ceux qui ont participé aux échanges. Il est important de savoir davantage sur la pression fiscale, ses déterminants et la dette publique.
La rédaction