Les sociologues l’appellent fuite des cerveaux et les économistes le décrivent comme fuite du capital humain. Si les uns fustigent cette hémorragie intellectuelle, d’autres réaffirment que c’est une aubaine pour les migrants, leurs familles et l’économie de leurs pays.
Issa SIKITI DA SILVA
Au Bénin, environ 4 800 béninois qualifiés avaient quitté le pays à destination de l’Europe (75%) et l’Amérique (25%), selon un rapport de2008 publié par Brookings Institution, qui toutefois révèle que le taux de fuite du capital humainen Afrique subsaharienne et au Bénin est de 43% et 53%, respectivement.Le nombre de migrants africains titulaires d’un diplôme du supérieur qui ont émigré à l’étranger au cours des cinq dernières années était estimé à 450 000 entre 2010 et 2011, selon l’OCDE.Et au moins sept personnes sur dix hautement qualifiées vivant à Cotonou ont exprimé leur désir de quitter le pays, selon une enquête menée par ce journal.
« Je fais ce boulot depuis six ans mais lesdifférences salariales et les conditions précaires de travail vont me forcer à aller loin de ce pays. En plus, je suis déjà dans la trentaine et je pense qu’il faut que je me positionne vite avant qu’il ne soit tard », a déclaré Richard.
Contre toute attente, la fuite des cerveaux présente de multiples avantages tant pour les migrants eux-mêmes, leurs familles et l’économie de leurs pays respectifs sur plusieurs points :
Transferts d’argent
Les transferts d’argent venant de la diaspora sont une source importante à la fois pour le Produit intérieur brut (PIB) de plusieurs pays et leurs familles qui en dépendent pour leur survie mensuelle. L’argent envoyé par la diaspora en Afrique est passée de 42 milliards en 2017 à 45 milliards en 2018, selon la Banque mondiale. La diaspora béninoise a envoyé 202,4 milliards FCFA en 2018 contre 107,25 milliards FCFA en 2017.Dans un Bénin oùla pauvreté ne cesse de s’accentuer, une somme pareille représente une manne pour de nombreuses familles démunies.
« L’argent qu’il nous envoie de temps en temps représente cinq fois le Smig du Benin. Ça nous aide beaucoup pour, entre autres, acheter les médicaments pour maman et renforcer notre petit commerce et aussi payer les frais scolaires pour les autres. Il est comme notre messie. Imaginez notre sort dans cette famille pauvre s’il n’avait pas quitté ce pays », affirme une femme dont le frèretravaille en Europe.
Apport au PIB
A part l’aide que l’argent de la diaspora procure aux familles, ces millions de dollars représententdes parts substantielles des produits intérieurs bruts (PIB) de nombreux pays africains. Les envois de fonds peuvent contribuer à réduire la pauvreté et à faire croître les économies, affirment les experts.
Dans d’autres pays comme le Liberia, les Comores, la Gambie et le Lesothocet argent représente jusqu’à 20% ou plus du PIB. Au Sénégal et au Cap-Vert, la manne de la diaspora navigue entre 12 and 15% et à peu près 4% au Bénin, tandis que le PIB du Togo voisin bénéficie d’à peu près 10% de cet argent. En 2004, l’argent envoyé par la diaspora béninoise avait représenté 17% de l’aide au développement et 8% du total des exportations du pays.
Nouvelles idées et leadership
« L’exposition à des idées extérieures est elle-même un moteur de croissance. Avoir une partie importante de la population à l’étranger signifie que ceux qui sont restés au pays pourront en bénéficier à travers des flux d’informations, soit à travers des visites, des discussions, avec ceux qui ont vécu à l’étranger. Et souvent ceux qui retournent apportent de nouvelles idées pour aider à développer leurs communautés et sociétés respectives », soulignent William Easterly et Yaw Nyarko, les auteurs d’un rapport de Brookings Institution intitulé ‘’Is the brain drain good for Africa?’’.
Les pays peuvent aussi profiter de la qualité de la gouvernance et du leadership et l’augmentation du rendement de l’éducation et toutesorte de contribution positive qu’ils devraient apporter s’ils decidaient de retourner pour travailler dans leurs pays.
Cataclysme à long terme
Malgré les avantages de la fuite des cerveaux analysés ci-dessus, la migration qualifiée présente toutefois certains risques à la fois pour les pays d’accueil et les pays d’origines des migrants. D’un côté, la main-d’œuvre qualifiée importée contribue à la croissance et au développement économiques et apporte un passé et des expériences qui font souvent défaut dans les pays d’accueil », a écrit Anne-Christine Roisin dans un article intitulé ‘’La fuite des cerveaux : Défis et opportunités pour le développement’’.
D’autre part, la migration peut engendrer une montée de la xénophobie car les migrants qualifiés pourraient être accusés de ‘’voler’’ les emplois des locaux, d’engendrer la criminalité et l’insécurité, selon une étude de l’OIM. Pour les pays des migrants, le manque de main-d’œuvre dans certains secteurs économiques clés peut créer une détérioration dans les domaines sociaux et économiques vitaux du pays, poursuit Anne-Christine Roisin.