L’ancien Ambassadeur du Bénin près la Turquie, Moïse Kérékou, a été honoré le 14 mars 2019 dans l’antre du département économique de la République de France. Quelques semaines après cette brillante distinction, notre rédaction s’est rapprochée de l’écrivain pour connaître des tenants et aboutissants de cette reconnaissance internationale.
L’économiste : Le 14 mars 2019, vous avez reçu le prix du livre économique de la francophonie dans la catégorie mention spéciale du Forum francophone des affaires avec votre ouvrage ‘’Union africaine et processus d’intégration’’ lors de la cérémonie de remise du Prix Turgot à Bercy. Quelles sont les impressions qui vous ont animé après cette distinction ?
Moïse Kérékou : C’est deux impressions. D’abord un sentiment de fierté. Pour avoir honoré le Bénin devant un parterre de personnalités du ghotta financier ou de la finance en France. Bercy, c’est le ministère de l’Economie et des finances.
Deuxièmement c’est un sentiment de peine. Peine parce que le livre est écrit par un africain que je suis et traite d’un sujet africain et est destiné d’abord aux africains. Malheureusement, c’est comme si je prêchais dans le désert. Puisque ce n’est que des années après que des européens et non des africains reconnaissent l’auteur et célèbrent l’ouvrage.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire cet ouvrage ?
C’est un sujet de recherches. J’ai fait des recherches dans le cadre de la soutenance d’un master en sciences politiques et le sujet que j’avais choisis était l’intégration africaine. C’est deux années après, en 2009, qu’une première maison d’édition en Allemagne, docteur Verlag Muller, m’a contacté pour la première publication. Et cette dernière est en anglais et ce n’est qu’ensuite que sous la supervision du professeur John Igué que j’ai fait la traduction en français et que les éditions ‘’L’harmattan’’ ont accepté de publier cela.
Quels sont les objectifs que vous poursuiviez en rédigeant cet ouvrage ?
Les objectifs de cet ouvrage sont différents de ceux de la recherche. Nous n’allons pas nous appesantir sur les objectifs de la recherche parce que c’est déjà dépassé. J’ai dû modifier également les lignes pour le conformer à la littérature française et au public profane. Donc on peut dire que le premier objectif, c’est d’apporter une solution à la problématique de l’intégration africaine dont le processus est largement en retard comparé aux attentes. Et le deuxième objectif c’est de susciter l’engouement auprès des populations à la base qui semblent ne pas comprendre que ce phénomène-là, l’intégration,est intimement lié à leur développement.
Que gagne le lecteur à parcourir cet ouvrage ?
Le lecteur peut comprendre les différentes étapes du processus d’intégration économique. C’est la libre circulation des biens et des personnes, c’est l’union douanière, c’est le marché commun, c’est l’union économique et monétaire. Donc, il peut, à travers une lecture se dire mais, si nous voulons une monnaie commune nous devons suivre ces différentes étapes. Il ne s’agit donc pas de se lever et de dire : nous voulons une monnaie africaine. Cela ne marchera pas. Ils ne pourront d’ailleurs jamais le faire de cette manière.
Ce que le lecteur peut aussi gagner c’est de se dire que la question d’intégration économique, d’union africaine, n’est pas une question uniquement réservée aux dirigeants. Etant donné que le lecteur de cet ouvrage est un citoyen de son Etat, il peut, à travers des actions de lobbying, influencer la décision des dirigeants en sa faveur. Un exemple, quand nous prenons la première étape de l’intégration économique : la libre circulation des biens et des personnes. Est-ce que c’est effectif aujourd’hui ? Ce n’est pas du tout effectif. Il suffit d’aller à la frontière de Sèmè-Kraké entre le Bénin et le Nigéria ou celle d’Afflaou entre le Ghana et le Togo pour se rendre compte que ce n’est pas effectif. Pourquoi ? Il me faut un visa pour aller en Guinée équatoriale ou en Angola alors que nous sommestous africains. Et donc, sans cette prise de conscience, cette connaissance de sa capacité, il va toujours penser en voyant les sommets, étant donné que c’est aussi un sujet complexe, que c’est une affaire de dirigeants, de politiciens. Non ! Il doit y prendre une part active. Nous devons ramener la question de l’intégration au plus bas niveau : l’intégration par le peuple.
Que représente cette distinction pour vous, vu qu’elle justifie l’adage selon lequel nul n’est prophète chez soi ?
On peut même ajouter un autre dicton qui dit que lorsque vous voulez cacher quelque chose à un africain, il faut le mettre dans un livre. Ça va de pair avec ce dicton qui dit que nul n’est prophète chez soi. Pour moi, c’est que de l’extérieur, on peut impacter l’intérieur. De l’extérieur, on peut briser les murs intérieurs. Et, à travers cette distinction, je pense qu’on va mieux m’écouter et que je ne vais plus désormais prêcher dans le désert. La preuve c’est que je suis dans vos locaux.
Il y a déjà 12 ans que vous avez travaillé sur la problématique, huit ans que le public africain, le plus concerné, est informé de l’existence de cette réflexion sans jamais l’adopter. Et seulement un an pour que le public français l’adopte et la célèbre. Comment comprendre que ce soit l’occident qui reconnaisse les mérites du béninois qui est en vous et non vos compatriotes?
Cela est dû à deux choses. La première, c’est que l’occident a une culture littéraire. Ce qui n’est pas le cas de l’africain en général et du béninois en particulierqui a une culture orale. Donc quand vous écrivez ici, ce n’est pas sûr qu’on vous lise alors qu’à l’extérieur on vous lit. Lorsque vous allez en occident, en France par exemple, les journaux se vendent très bien. Et dans les rues, devant les cafés, dans les métros, les bus, vous voyez toujours les retraités ou ceux qui ont un petit temps libre, avec leur journal. Toujours. C’est frappant. Ce n’est pas le cas de l’africain. Le journal ‘’L’économiste du Bénin’’, votre quotidien, en France, sera un journal très connu, très apprécié, parce que vous avez une cible donnée et vous faites quelque chose de particulier. Différent des autres. Ça, les occidentaux aiment ça. Nous en Afrique, ce n’est pas évident. Je suis sûr que vous allez vous peiner pour vendre et pour faire comprendre votre concept. Ça, c’est la première chose.
La deuxième chose c’est parce que nous n’avions pas des institutions fortes en Afrique. Nous sommes en plein processus de démocratisation. Et j’ai eu la chance, parmi les membres du jury, d’avoir des institutionnalistes. Des gens qui croient en la construction continentale. Jean-Claude Trichet était là, Michel Camdessus était là. Ç’est des institutionnalistes européens. Et il me semble que la manière dont je fais le lien entre la politique et l’économie, la manière dont je défends le modèle institutionnaliste de l’Union africaine qui est basée sur le modèle institutionnaliste de l’Union européenne, il me semble que c’est ça qui leur a plu. Sans peut-être ce petit appât-là, certainement que mon livre serait passé aux oubliettes.
Que faut-il faire pour remédier à la ‘’pauvreté mentale’’ comme vous l’appelez ? Au niveau des dirigeants, des jeunes et de tout le peuple. Quels sont les comportements à développer pour mettre un terme à ce mal ?
Il faut d’abord comprendre le nouveau concept que je développe. Sinon, aller aux solutions, beaucoup ne comprendraient pas. Je voudrais d’abord dire que quand je parle de ‘’pauvreté mentale’’ ce n’est pas une insulte. Ce n’est pas la même chose que ‘’intellectuel taré’’. Parce que les journalistes m’ont fait ce reproche plusieurs fois.
Deuxièmement, c’est que nos pays africains doivent être considérés comme des pays malades. Mais des malades qui ont vu passer plusieurs médecins à blouse blanche. Aujourd’hui, ils ne croient plus. Les européens sont passés, les américains sont passés, les institutions sont passées avec le FMI et la Banque mondiale ; les ONG, associations et fondations sont passées. Nous nous sommes beaucoup endettés avec des prêts. Donc on n’y croit plus et on se demande si le développement est possible. Il y a matière à faire de la pédagogie. Donc je m’inscris dans une démarche pédagogique, dans le manifeste de la relève. Je démontre que la pauvreté est un virus qui a été fabriqué et inoculé dans le système humain africain par les colons de l’époque. A l’instar d’un virus informatique, ce virus s’est propagé dans le système humain et a pris possession de son centre de commandement, le cerveau. De là où il se nourrit et mène la bataille. Ce virus dispose de deux armes de destruction massive: le sous-développement mental et le mal-développement mental à l’instar de la sous-nutrition et de la malnutrition dans le domaine alimentaire.
Sous-développement mental parce que durant toute cette période esclavagiste, l’homme blanc n’a pas voulu que l’homme noir étudie. Et de génération en génération, par manque d’éducation, de réflexion et de connaissance, nous sommes devenus malheureusement ignorants avec physiologiquement des naissances avec un cerveau atrophié. A la fin de la traite négrière, le vent de la liberté a soufflé parce que cela a coïncidé avec la révolution industrielle où on n’avait plus besoin de mille hommes pour une plantation agricole parce qu’une seule machine pouvait effectuer le travail de mille hommes. Ce n’était plus l’homme qui était favorisé mais c’était la machine. Mais est-ce que pour autant il faut donner la liberté à ces peuples-là ? Non. Parce qu’au-delà des ressources humaines, ils disposent aussi de ressources minières. L’Afrique est un scandale géologique. Ils se sont dits, ok. Ils veulent une éducation, nous allons la leur donner. Nous allons très vite la leur donner. Mais nous allons leur donner une éducation qui réponde à nous nos exigences de développement, nous les hommes blancs, et non à leurs exigences de développement, les hommes noirs. Donc nous sommes passés au fil du temps, dusous-développement mental à un mal-développement mental. Un cerveau qui n’est plus sous-développé, qui est développé suite à l’éducation, la connaissance qu’on lui donne et qui suit un faux chemin. Qui suit un chemin qui n’est pas son propre chemin, qui n’est pas basé sur sa culture. Aucune nation ne peut se développer en portant le masque d’autrui. Et les exemples que je donne du sous-développement mental, c’est dans nos villages. Des analphabètes qui sont peut-être plus intuitifs et intelligents quenous, mais incapables de transformer l’environnement à leur avantage. La nuit, ils n’ont pas l’électricité. Ils ne peuvent même pas vous fabriquer une bougie ou une allumette. Pourtant ils ont du bois et ils ont le soleil qui peut donner l’énergie solaire. Sous-développement mental. Cette incapacité à transformer notre environnementà notre avantage.
L’exemple du mal-développement mental que je donne c’est le cadre qui est bon dans son domaine, qui est intelligent, bon même sur le plan continental et reconnu comme le meilleur. Les PTF viennent et lui donnent de l’argent pour faire 100 forages d’eau. Il en fait 80 et c’est en ce moment qu’il se dit que le reste de l’argent, prévu pour les 20 derniers forages d’eau, c’est pour moi. Et de nouvelles idées commencent à fleurir. C’est le moment d’envoyer aussi mes enfants aller étudier aux Etats-Unis, en France. Ah, mais je peux prendre une deuxième ou une troisième femme ; je peux construire un immeuble à louer ; je peux acheter des parcelles. Vous voyez ? Comment est-ce qu’on qualifie ce mental-là qui est pourtant bien formé. Qui est peut-être l’un des meilleurs de la sous-région. C’est un mental mal développé. Donc, vous voyez, ça n’a rien à voir avec les concepts d’intelligence. C’est dans cet ordre d’idées qu’il faut comprendre le concept de ‘’pauvreté mentale’’ que j’aborde.Et une fois qu’on comprend cette pédagogie-là, la solution automatiquement saute à l’œil. Un vieux sage africain a dit qu’un enfant qu’on éduque est un homme qu’on gagne. Mandela aussi a dit : « l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ».
La solution réside d’une part dans l’éducation mais d’autre part dans les valeurs morales que nous semblons délaisser aujourd’hui parce que justement, nous ne faisonsplus de notre culture un élément pour le développement.
Vous étiez Ambassadeur plénipotentiaire du Bénin près la Turquie. Quelle comparaison pouvez-vous faire entre l’état d’esprit du jeune européen et du jeune béninois sur le plan de la défense de l’intérêt général ?
C’est diamétralement opposé. D’ailleurs, le ‘’Manifeste de la relève’’ s’en inspire. Pour moi c’est un legs que je laisse à la jeunesse. Tout ce que j’ai écrit dans ce manifeste vient de cette expérience que j’ai vécue dans les pays tantôt occidentauxtantôt asiatiques. J’en suis arrivé aux conclusions suivantes. Un, le développement n’est pas l’apanage des économistes. La preuve, nous avons eu les meilleurs économistes qui ont géré ce pays et qui ont une renommée internationale. Deux, ce n’est pas une question de finances. Nous avions été bombardés de beaucoup de ressources financières après la conférence nationale des forces vives de la nation, nous continuons d’en recevoir, l’Etat s’endette aussi. Ce n’est pas également une question de ressources, parce que chaque pays aussi petit soit-il dispose de ressources humaines et minières. C’est pour ça que je dis que c’est à travers les expériences accumulées dans des pays que j’ai visités comme la Turquie que je dis que c’est une question de mental, d’état d’esprit. Figurez-vous que la Turquie n’a aucune ressource minière, comme ses voisins, l’Iran et l’Irak qui ont du pétrole. Mais la Turquie est la 17ème puissance économique du monde. L’Arabie saoudite qui est la première puissance pétrolière du monde n’y figure même pas. Donc c’est au niveau de l’état d’esprit, de la prédisposition mentale que tout le jeu du développement se passe. Vous avez beau avoir des richesses, des ressources pétrolières, si votre mental est corrompu, vous ne pouvez rien faire avec cela. Mais vous pouvez être pauvre comme les dragons de l’Asie,Singapour, Corée du sud, sans aucune ressource. Mais si vous avez un mental de développement, vous irez vers le développement. Les philosophes, scientifiques et spiritualistes nous enseignent que c’est l’idée qui crée la matière. L’idée pauvre va générer une matière, un environnement pauvre. L’idée riche va générer un environnement, une matière riche.
Or, il me semble que pour plusieurs raisons, l’africain en général et le béninois en particulier semble développer des idées pauvres. Des idées de pauvreté. Ce qui est tragi-comique au Bénin, c’est que nous avons un mental à faire le mal. Ce qu’on appelle la ‘’béninoiserie’’. Ce que je décris dans le manifeste comme cette lentille à mi-chemin des autoroutes du sous-développement mental et du mal-développement mental et qui accentue la pauvreté. C’est comme une lentille qui capte les rayons solaires et les projette en un endroit. Cette ‘’béninoiserie’’ accentue la pauvreté dans notre environnement. Et le virus se nourrit des radiationsde cette pauvreté car, il semble que le béninois aime voir son prochainlorsqu’il souffre. Il est content de ça, il est heureux.Intellectuellement parlant, on parle de nivellement par le bas. Mais terre à terre, c’est ça.
L’européen n’aime pas voir son prochain souffrir. D’où il développe un sentiment de solidarité. Les européens sont plus solidaires que les africains. Cet état d’esprit-là, c’est ça qui fait développer et non celui qui souhaite le malheur à son prochain.
Avant le forum francophone des affaires, l’ancien médiateur de la République du Bénin, le professeur Albert Tévoédjrè et le centre Théophania, ont honoré votre plume. C’est quand même la preuve de ce que vos mérites sont reconnus au Bénin. N’est-ce pas suffisant ? Que faut-il faire d’autre pour valoriser pleinement les talents du Bénin dans tous les secteurs ?
Je voudrais remercier le professeur Tévoédjrè pour cette distinction et lui témoigner toute mon admiration et mes respects. Parce que c’est un homme qui est certes, physiquement touché mais dont la fraîcheur des idées n’a pas variée. C’est un sentiment de satisfaction que j’ai lorsque des anciens m’honorent de telle sorte. Pour moi, c’est la preuve qu’il faut faire mieux ou plus. On dit que ce que les anciens vont chantant, les jeunes le vont fredonnant. C’est une distinction pour la paix. C’est une énorme responsabilité qui est désormais posée sur mes frêles épaules pour faire la promotion de la paix partout où besoin sera. Au Bénin, en Afrique et dans le monde. Par conséquent, c’est avec beaucoup de sérieux que j’aborde cette mission-là. Et je me réjouis que concomitamment à cela mon livre ait été reconnu. Ce qui me donnera plus une dimension, une envergure internationale afin de mieux faire la promotion de la paix.
Dans votre discours, le 14 mars 2019 à Bercy, vous aviez salué la décision du président français, Emmanuel Macron, de restituer des biens historiques au Bénin. Sous quel signe pouvez-vous placerce geste historique ?
C’est sous le signe du renouveau des relations entre la France et ses colonies d’antan, aujourd’hui Etats francophones. Mais aussi un renouveau dans les relations entre l’Europe et l’Afrique. C’est vrai que c’est le gouvernement béninois qui a fait la première démarche. Mais le Bénin n’est pas le seul pays qui a été privé de ses biens. C’est vrai que le président Emmanuel Macron est le premier chef d’Etat européen à approuver la restitution de biens historiques mais la France n’était pas le seul pays colon en Afrique. Nous parlons de millions d’objets dispersés et répartis entre pratiquement tous les pays européens. C’est pour ça que j’ai également parlé de la nouvelle économie qui pourrait être créée. Et de nouveaux champs d’inventions communes porteuses de croissance pour la France et l’Europe et porteuses de valeur ajoutée pour les pays francophones et l’Afrique.
Quel regard jetez-vous sur la gouvernance économique du Bénin ?
Je pense que dans la gouvernance économique actuelle, il y a des points forts et des points faibles, comme dans toute gouvernance d’ailleurs. J’apprécie et je salue la rigueur au niveau de la gestion de la finance publique. La lutte implacable contre la corruption et la modernisation de l’administration. Toutefois, il me semble qu’au niveau de la distribution de la richesse, il y a un petit souci. Parce qu’il me semble quela prospérité créée par la croissance économique, car on nous parle d’un taux de 7% environs, n’est pas partagée. Donc il faille revoir les mécanismes de distribution de cette richesse.
Que pensez-vous de la gouvernance économique de l’Afrique ?
Le continent africain est le continent le plus prometteur.Il y a certains pays qui ont déjà des taux de croissance de 8, 9 et 10% comme le Ghana et le Rwanda. L’Afrique du sud fait partie des pays ‘’Brics’’ et depuis l’année passée, le Nigéria, voisin du Bénin, est la première puissance économique en Afrique. Je voudrais saluer les efforts de gouvernance de tous les pays africains qui ont commencé avec le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, qui est un mécanisme original, tropical, propre aux pays africains. Toutefois, la gouvernance n’est pas encore ce que nous attendons d’elle. Elle n’est pas une gouvernanceà l’image de celle que nous voyons en Europe sous le contrôle des peuples. C’est ce que je déplore. Je déplore que nos peuples, nos institutions parlementaires, n’aient pas suffisamment de moyens pour contrôlerles actions gouvernementales.Et donc, il faut nécessairement renforcer la démocratie ; renforcer les institutions de contre-pouvoir ; renforcer la souveraineté du peuple afin qu’une pression puisse être exercée au niveau de l’exécutif et que la gouvernance économique devienne une réalité.
Dans mon ouvrage ‘’Union africaine et processus d’intégration’’, si vous permettez cette digression, j’insiste beaucoup sur la gouvernance économique comme levier et facteur incontournable de développement. Tant que la bonne gouvernance qui va de pair avec les bonnes pratiques ne sera pas effective, surtout en matière de gestion saine des finances et des ressources publiques, nous n’aurons jamais le développement.
Que pensez-vous du processus de création de la monnaie unique pour remplacer le franc CFA ?
Je voudrais déjà vous dire que ça ne marchera pas. Comme le passeport unique n’a jamais marché.Comme la suppression des visas n’a jamais marché. Et comme la zone de libre-échange n’a jamais marché. C’est de bons souhaits. Mais si vous regardez bien au sein des institutions de l’Union africaineet de nos dirigeants, ils émettent des vœux pieux mais ils programment leurs réalisations pour les prochaines décennies. Pour ne pas justement être là au moment où ces réalisations seront effectives pour ne pas en porter la responsabilité. Je suis sûrque pour cette monnaie unique, ils vont reporter à 25 ans. Ils vont dire, comme ils l’ont fait au temps des communautés économiques régionales en 1975, on a dit dans 25 ans, en l’an 2000 et autres échéances, nous voulons avoir ceci et cela. Je suis sûr qu’ils vont dire nous voulons une monnaie unique dans 25 ans. Parce qu’ils ne seront plus là en ce moment. Et c’est une occasion pour eux de dire, on a abouti à une bonne résolution, c’est une bonne conclusion. Puis, ils reprennent leurs avions et ils vont dans leurs capitales. Ça c’est faire la politique de l’autruche. J’ai dit dans mon ouvrage que l’intégration économique est une science. Elle va au-delà de la simple coopération et de la simple diplomatie et que les africains n’ont pas encore cernés les contours sémantiques, idéologiques et théoriques de l’intégration. Lorsque vous regardez bien, l’euro est la dernière étape d’une bonne intégration économique qui commence par : un, la libre circulation des biens et des personnes ; deux, l’union douanière ; trois, le marché commun ; quatre, la communauté économique européenne. Ce n’est que quand on a un marché commun que vous acceptez de ne plus utiliser votre monnaie. Mais tant que vous n’avez pas un marché commun et vous pensez que c’est en créant une monnaie unique que vous allez faire la libre circulation des biens et des personnes, l’union douanière et autres, vous vous trompez. Donc pour moi, ça ne marchera pas. On peut se donner rendez-vous dans 10 ans et vous verrez que nous n’avons pas cette monnaie.
Un appel à lancer ?
Je voudrais appeler d’abord les dirigeants à faire de la question de l’intégration économique une priorité dans leur agenda. Parce que face à la machine de la globalisation, face à cette broyeuse qui n’épargne personne, la seule solution c’est l’intégration, s’unir. La sagesse populaire dit, c’est l’union qui fait la force. Nous devons intégrer nos économies et trouver des champs et des domaines d’invention communs pour faire face aux grands de ce monde.
Mon deuxième appel s’adresse à la jeunesse. Afin qu’elle change de mentalité. Qu’elle revienne aux valeurs morales et aux vertus. Un autre concept que j’utilise est le ‘’renouveau mental’’. Il ne s’agit pas d’une transformation mentale. C’est tout une régénération mentale. C’est vers ça qu’il faudrait aller si nous voulons aborder avec beaucoup de foi et d’espoir le futur dans ce monde en plein tumulte et face à toutes les difficultés qui nous assaillent. Si nous ne faisons pas cette transformation intérieure, si nous ne changeons pas nos paradigmes, si nous ne prédisposons pas notre état intérieur vers le bien, le beau et le bon, nous aurons toutes les difficultés à nous en sortir.
Interview réalisée par Nafiou OGOUCHOLA