Entretien avec l’expert en tourisme Guy Johnson
« L’impact économique du tourisme est trop puissant »
Le secteur du tourisme constitue une manne capable d’ouvrir des portes d’horizons économiques importants au Bénin. Pour en débattre, nous avons tendu le micro à un homme qui a fait toute sa carrière dans le secteur. Expert international en tourisme durable et digital, ancien directeur de cabinet, ancien secrétaire général du ministère, ancien conseiller technique de ministres du tourismedu Bénin et représentant de l’Afrique au comité de programme de l’Organisation mondiale du tourisme de 2007 à 2015, notre invité est égalementexpert de la conférence des Nations-unies pour le commerce et le développement. Il y pilote un programme de tourisme électronique qu’il a conçu. Il a pour nom,Guy Johnson.
L’économiste : Quelles sont les différentes formes de tourisme qui existent?
Quand vous dites les formes de tourisme, on a souvent tendance à présenter le tourisme historique, culturel, d’affaires, de congrès, sportif… Finalement, pour moi, tout est touristique à la fin.Tout ce qui justifie un déplacement et qui permet de faire rentrer de l’argent soit dans un hôtel, un restaurant, les transports et qui diffuse l’argent dans l’économie, moi j’appelle tout ça, tourisme. Donc par exemple quand les béninois aiment bien aller aux cérémonies funéraires dans des contrées, ils font du tourisme. Tous les déplacements au-delà d’une journée et moins d’un an constituent du tourisme.
On parle de tourisme national et international. Quelle est la différence ?
Le tourisme national, c’est le tourisme que font les nationaux. C’est-à-dire quand les nationaux se déplacent à l’intérieur du pays pour découvrir le pays.Maintenant quand quelqu’un quitte son pays pour aller dans un autre, s’il va dans la région comme le Togo, le Burkina, etc, on parlera de tourisme régional ; mais s’il va à l’international donc on va parler de tourisme international.
Quelles sont les formes de tourisme pratiquées au Bénin ?
Nous entrons dans la définition classique et mondiale du tourisme. Mais cette définition, pour moi, est limitée. Parce que très souvent, même au niveau de l’Organisation mondiale du tourisme, on n’a pas les statistiques sur le tourisme intérieur c’est-à-dire le tourisme national, celui que l’on fait à l’intérieur des pays. On ne mesure que le tourisme international, c’est-à-dire les gens qui bougent d’un pays à l’autre. Et les statistiques de l’Organisation mondiale du tourisme vous disent que les flux touristiques nationaux sont dix fois plus importants. Cela veut dire que l’impact économique du tourisme est sous-évalué faute d’outilsstatiques de mesure. Faute d’une évolution approfondie dans la recherche sur le secteur pour cerner tous ses contours et ses effets socioéconomiques.
Quelles ont les différentes catégories de tourisme ?
Il y a trois grandes catégories. Il y a le tourisme d’affaires, le tourisme d’agrément et le tourisme de congrès ou réunion. Ça c’est grossomodo. Mais en omettant, évidemment,dans le tourisme d’agrément on met tous les autres mais tout ne s’encadre pas forcément dedans. Les gens qui viennent au Bénin pour raisons de santé par exemple ne sont pas des touristes d’agrément.
Quels sont les secteurs d’activés qui sont impactés par le secteur du tourisme ?
Le tourisme, moi je l’appelle l’autre nom du développement. C’est tous les autres secteurs qui y sont rattachés. Par exemple je prends le Programme d’action du gouvernement. Il y est notifié que le gouvernement a sept projets phares à développer dans sept communes. Le gouvernement dit qu’il met 650 milliards (NDLR, FCFA) dedans. Ça c’est l’approche du gouvernement par rapport au tourisme. Maisquand moi je parle du tourismec’est tout le PAG qui est moi, ma politique de développement touristique. Pourquoi ? Je prends le volet énergétique du PAG. Qui aimerait aller dans un hôtel oùil n’y a pas d’énergie ? Est-ce qu’on peut accéder aux sites touristiques s’il n’y a pas de routes ? On construit beaucoup d’hôtels dans des environnements inaccessibles. La route est liée au tourisme. L’environnement, l’assainissement, sont également liés au tourisme.
Maintenant on a du personnel pas formé dans des hôtels. L’éducation est donc liée au tourisme. La recherche est liée au tourisme. Le commerce également. Parce que nous avons voulu faire un projet qu’on appelle ‘’La route des pêches ‘’ dont j’étais l’initiateur. Avec l’appui de mon ministre à l’époque. On s’est dit qu’on va construire 2000 chambres d’hôtels le long de la route entre Cotonou et Ouidah. Imaginez l’impact sur le commerce. Il faut acheter du fer, du bois, du ciment, etc. Sans oublier toute la main d’œuvre. Maintenant quand on a construit, il faut équiper, décorer.
Le tourisme a un impact incroyable sur le commerce. Sur l’industrie aussi. Sur l’artisanat, n’en parlons pas. Parce que si on veut les différents corps de métiers d’artisanat travaillent dans la construction de ces 2.000 chambres d’hôtels par exemple. Le tourisme est donc le secteur le plus transversal que je connaisse. Il touche à tous les autres secteurs.
Même l’agriculture est directement impactée par le tourisme. Par exemple, au Bénin, nous disons que nous n’avons pas encore atteint l’autosuffisance alimentaire. La France reçoit 85 millions de touristes par an. Donc plus que sa population. Alors imaginons que nous maintenant nous devons recevoir autant de touristes que nous avons de populations. Ca fait environs dix millions de touristes. Aujourd’hui on est à 200.000. Et de temps en temps, quand d’autres nationalités, gabonaiset autres venaient acheter le gari ici, on prenait des mesures pour dire qu’il faut l’interdire. Car s’ils achetaient tout, la famine va sortir. Cela s’était passé, il ya plusieurs années. Mais cette situation traduit le fait que nous ne soyons pas prêts à nourrir dix millions de touristes. Pour le faire, il faut une agriculture encore plus performante que celle que nous avons aujourd’hui pour nous permettre de couvrir nos propres besoins dans un premier temps et ceux des dix millions de touristes dans un second temps. Il se dégage de cet exemple que l’impact économique du tourisme est trop puissant.
Quels sont les atouts dont dispose le secteur touristique béninois ?
Le secteur touristique béninois dispose de trop d’atouts. C’est déjà ce que le PAG veut valoriser. Le gouvernement a prévu de couvrir un peu le territoire national avec des infrastructures comme ceux qui sont prévus à Ouidah, Ganvié, Abomey, Porto-Novo, et ainsi de suite. Donc, il y a déjà beaucoup d’ambition. Moi j’ai travaillé 30 ans, c’est la plus grosse ambition que j’aie vue. Et pourtant, cette ambition ne couvre pas encore les potentialités du secteur du tourisme. Parce que cette ambition couvre huit communes sur 77. Alors pendant qu’on est en train de faire développer le tourisme dans ces huit communes là, et les 69 restantes ? C’est pour ça que moi j’ai mis au point un programme que j’ai fait valider à l’Organisation mondiale du tourisme, par tous les ministres du tourisme de l’Uemoa,les experts du tourisme de la CEDEAO… C’est passé en conseil des ministres au Bénin depuis 2009 mais ce programme n’est pas accompagné malheureusement. Sinon la solution au développement du tourismesur le continent africain existe déjà au Bénin depuis 2008 où ça a été adopté par les ministres africains du tourisme et en 2009 où ça a été adopté par tous les ministres du tourisme du monde. Sur ma proposition. J’avais un schéma pour valoriser toutes ces potentialités-là. Tous les bailleurs de fonds adhèrent à ça. Le ministère du tourisme a signé un accord avec le Pnud. Malheureusement, on n’a pas pu faire ce qu’il fallait faire. Il y a quatre agences des Nations-unies qui se sont impliquées dans ce projet. Mon objectif c’était d’impliquer toutes les 34. Pour amener l’argent et l’expertise au Bénin. Si vous avez de l’argent et de l’expertise, qu’est-ce qu’il vous faut encore en dehors de votre volonté ? Voilà ce qui a manqué.Donc au Bénin, on fait semblant, on parle beaucoup mais on n’a pas de volonté sérieuse pour faire avancer les choses. Aujourd’hui il y a une volonté politique évidente. Maintenant il faut que le pays accompagne cette volonté politique. Parce qu’elle est suffisamment forte pour faire avancer les choses.
Quel est l’effectif des touristes qui foulent le sol béninois chaque année ?
Les statistiques soutiennentà peu près 200.000 touristes. Ontourne autour chaque fois, on va et on vient autour de ce chiffre alors qu’on n’a pas toujours très bien collectés et traités les données. Alors quand on n’a pas de statistiques sérieuses, est-ce qu’on peut planifier quelque chose sérieusement ?
Quelles sont les destinations de provenance des touristes qui viennent au Bénin ?
Les touristes qui viennent au Bénin sont en majorité des touristes d’affaires. Le volume est entre 60 et 70 %. Certaines statistiques vont même jusqu’à 80 %. C’est ceux qui viennent chercher des opportunités d’affaires simplement. Mais voilà que notre économie n’est pas très performante. C’est donc pour ça que le volume n’est pas très important. En général, on catégorise. Parce que c’est des voisins du Nigéria, Côte d’ivoire, Cameroun, etc.
Maintenant il y a aussi le tourisme d’agrément. Vous avez la France, historiquement et avec nos relations qui vient en tête et les béninois de l’extérieur qui reviennent au pays qu’on comptabilise un peu dans la catégorie de ceux qui viennent pour raisons familiales, etc.
Au Bénin, quelles sont les destinations les plus visitées par les touristes ?
On peut dire que c’est celles que le gouvernement est en train d’essayer de réhabiliter. Donc Ouidah déjà. Mais ce n’est pas grand-chose. Vous avez à peu près entre 25.000 et 30.000 personnes qui vont à Ouidah par an, selon les statistiques. L’île de Gorée qui est moins pourvue que Ouidahest plus visitée. Il y a sept bateaux de 350 personnes qui y vont par jour dans la bonne saison. Donc en deux semaines, l’île de Gorée peut enregistrer des statistiques autour du milliard, dans la bonne saison. Parce que les sénégalais travaillent sérieusementpour faire le marketing de leur destination.
Quels sont éléments qui permettent de quantifier la contribution du tourisme à l’économie ?
Il y a deux indicateurs principaux. Les arrivées et les dépenses. Voilà les deux indicateurs principaux au niveau international. Maintenant, il y a beaucoup d’autres indicateurs dont l’emploi et la formation puisque plus les touristes viennent nombreux plus le secteur éducatif forme du personnel pour s’occuper d’eux.
Qu’est –ce que le tourisme apporte au Bénin sur les plans suivants : création d’emplois, commerce, transport, loisirs?
Au niveau de la création d’emplois, les statistiques disent entre 6 et 8 % de la main d’œuvre active.Ce qui fait à peu près entre 50.000 et 70.000 personnes. Mais nos statistiques ne sont pas trop fiables. On dit les mêmes choses depuis une vingtaine d’années. Entre-temps la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin a amélioré un peu les statistiques et en 2008, elle a fait un travail pour collecter et traiter les statistiques et depuis lors on s’est mis à redire les mêmes choses. Alors qu’il y a des outils qu’on appelle les comptes stratégiques du tourisme qui sont des outils adoptés même au niveau des Nation-unies qui permettent de collecter et traiter des statistiques très sérieusement avec tout l’effet d’entraînement du tourisme sur tous les autres secteurs. Mais qui veut faire ce travail très sérieux-là ici ?
L’impact du tourisme sur le commerce, par exemple il y a ce qu’on appelle dans le secteur commercial ‘’aide au commerce’’. C’est un mécanisme financier mis en place au niveau international par plusieurs bailleurs de fonds parce qu’ils ont vu que le secteur du commerce est tellement transversal comme le tourisme et que le tourisme peut impacter positivement le secteur du commerce. Donc, ils ont lancé le projet tourisme lié au commerce en 2008-2009. J’ai été responsable de ce projet. Il avait à l’époque 22 bailleurs de fonds qui étaient dans ce mécanisme là et qui voulaient que le commerce entre dans toutes les politiques sectorielles. Mais malheureusement, nous ne savons pas toujours apporter et donner l’importance qu’il faut aux choses et à les faire sérieusement.
Si je prends la route des pêches. Avec les 2.000 chambres vous voyez l’impact sur le commerce. Parce qu’il faut acheter le matériel et les équipements.
Les secteurs dutransport et des loisirs sont impactés au même titre. Car la chaîne de valeurs du tourisme, c’est tout ce dont le touriste a besoin pour que l’activité touristique soit consommée. D’ici à Abomey, le touriste doit prendre un transport. En route, il aura faim et achètera sa bouteille d’eau. A Abomey, il achète et mange. Ce sont ces dépenses-là qui se diffusent dans l’économie qu’on appelle la chaîne de valeurs du tourisme.
Quelle est la contribution du tourisme à l’économie ?
La politique nationale du développement du Bénin a été publiée récemment, il y a à peine trois ou quatre mois. Il y est dit que c’est d’environ 1,7% au PIB. Mais comme je vous dis, il faut déjà mettre en place un bel outil statistique pour mieux cerner l’impact du tourisme. Ce qui est certain c’est que le tourisme est faiblement développé au Bénin. Donc l’impact ne peut pas être grand non plus. Quand nous avions fait la politique du tourisme pendant que j’étais directeur, on s’était rendu compte que,après avoir collecté et traité les statistiques, le tourisme venait en deuxième position après le coton, à l’époque. C’était entre 1994 et 1996.
Quels sont les défis auxquels le secteur touristique fait face ?
Le tourisme fait face à tous les défis possibles. Ces derniers sont équivalents aux défis dudéveloppement.
Quelles solutions proposez-vous pour développer le tourisme ?
J’ai deux solutions. Il ya une que j’ai appelé ‘’Initiative de partenariat public-privé’’. Ceci pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement. C’était en 2008 que j’ai sorti cette proposition. Nous étions dans le cycle des OMD puisque l’échéance était 2015. Donc 7 ans d’anticipation. Pour que par le tourisme, on atteigne les OMD. Depuis que les OMD sont sortis en 2000, pourquoi pendant 15 ans on n’a pas eu des stratégies de l’environnent, de l’agriculture, de l’industrie, du tourisme, etc, pour atteindre les OMD. Si on veut être systématique et faire du travail approfondi, c’est des choses comme ça qu’on doit faire.
J’ai sorti ce programme en 2008, validé par les ministres africains du tourisme la même année ; par les ministres du tourisme du monde en 2009 ; signé par le Pnud en 2010 ; adopté par le conseil des ministres du Bénin en 2009.Mais on est allé jusqu’à l’échéance de 2015 sans rien faire de ce projet. Quatre agences des nations-unies étaient d’accord. Les japonais, chinois et indiens sont dans un mécanisme financiers qu’on appelle le ‘’Ticad’’ (Tokyo international conference for Africadeveloppement). Ils avaient 15.000 milliards FCFA pour financer ce programme. Ils ont dit qu’ils sont intéressés par ma solution que j’ai chiffrée à 10.000 milliards FCFA. A raison de 500 milliards par pays pour 20 pays. J’ai eu l’occasion de présenter ce programme aux japonais à, une réunion organisée par la Banque mondiale, le Pnud et l’Organisation mondiale du tourisme. C’était en Ouganda. Les japonais étaient tout de suite intéressés et ils ont saisi l’Organisation mondiale du tourisme qui m’a saisi. Deux, trois mois après, les japonais nous ont invités pour venir consolider le dossier des 10.000 milliards FCFA. C’était à Arusha en Tanzanie, et le Bénin n’avait pas deux millions FCFA à me donner pour aller défendre les 10.000 milliards FCFA.Ça c’est la solution publique. Mais liée à cette dernière, j’avais la solution privée.
Elle est basée sur le tourisme et le numérique. Il suffit de mettre 20 ordinateurs par arrondissement. Moi j’ai la solution technologique pour connecter 10.000 autres ordinateurs à ces 20. Maintenant dans cette salle où on met 20 ordinateurs, j’ai le programme à faire appliquer aux jeunes. Quand j’ai dit la solution sur les plateaux et dans certains milieux, tout de suite un ministre a dit à MTN de venir m’écouter. Quand MTN est venu, il a dit je donne 15 ordinateurs pour ça. Maintenant ils sont allés prendre les ordinateurs mais ils n’ont pas le programme. J’ai 32 projets pour changer la donne touristique du continent. Et ces projets peuvent devenir mile, un million, un milliard de projets instantanément, en fonction de la volonté et de l’engagement dans mon projet.
Entretien réalisé par Nafiou OGOUCHOLA