Les énergies nouvelles et durables constituent une alternative au réchauffement climatique en même temps qu’elles offrent un marché d’avenir pour les entreprises africaines. Fort de ce constat, une entreprise béninoise s’est investie dans ce secteur depuis une décennie environ. Par le biais d’une interview accordée à la responsable marketing, Marie-Ange Inès Ekagnon, nous avons tenté une incursion au sein d’Aress Sarl pour connaître des tenants et aboutissants du secteur solaire au Bénin et lever un coin de voile sur une organisation mise en place par une équipe jeune et dynamique. Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite interview.
L’économiste du Bénin : Comment est-ce qu’on peut présenter ARESS Sarl ?
Marie-Ange Inès Ekagnon: ARESS est une société panafricaine qui intervient depuis environ 10 ans dans le domaine de l’accès à l’énergie en ayant deux objectifs essentiels. Le premier objectif c’est la réduction des inégalités de base parce que grâce à l’énergie même si on ne permet pas aux gens de se développer, on contribue quand même pas de façon conséquente à leur façon de vivre. Le deuxième objectif, en créant une plus-value dans ce secteur aujourd’hui pour qu’il y ait des sociétés locales qui puissent contribuer à ce défi de l’électrification de l’Afrique.
Quels sont les domaines d’intervention d’ARESS Sarl ?
Nous intervenons dans quatre domaines spécifiques. Le premier domaine c’est la distribution de produits de qualité. Nous avons souvent l’habitude de dire à ARESS que dans des pays comme le Bénin, le solaire n’est plus quelque chose de nouveau. Il avait déjà été adopté par les populations mais il est très vite rejeté pour des soucis de coûts et de durabilité. Donc on est dans une phase aujourd’hui où grâce à ARESS on construit le marché de la qualité où les produits fiables sont disponibles sur le marché.
Le deuxième domaine d’activités c’est l’installation des systèmes. Aujourd’hui à ARESS c’est notre cœur de métier parce que nous sommes avant tout des techniciens, des ingénieurs. Nous installons des systèmes aussi bien pour la petite bonne dame qui à son étalage au bord de la voie que pour un très grand bâtiment, une industrie. La moitié de nos équipes sont des équipes techniques, formées sur place totalement habilitées à donner satisfaction au desideratum des clients. Et tous les ans nous recevons plus d’une trentaine de stagiaires pour les former à notre savoir-faire.
Le troisième domaine d’activités c’est l’ingénierie conseil. Parce qu’il y a des projets sous régionaux sur lesquels nous intervenons en qualité de bureau de contrôle. Parce que l’ingénierie conseil c’est de la prestation intellectuelle et nous devons travailler selon les règles de l’art. Donc ici, nous n’exécutons pas mais nous supervisons et nous coordonnons les travaux.
En dernier lieu c’est le ‘’Pay as you go’’. C’est un produit qu’on appelle aujourd’hui l’outil de financement de l’énergie. Car au début des années 2010, on s’est rendu compte que la plupart des gens qui n’avaient pas accès à l’énergie n’avaient juste pas les moyens pour y accéder parce que leurs revenus étaient très bas. Donc à travers des mécanismes comme le ‘’Pay as you go’’, on a la technologie pour faciliter le payement sur des échéances convenues où au lieu d’acheter au comptant, une personne peut acquérir son produit dans le temps en respectant un certain nombre de critères.
Et enfin, le dernier segment d’activités, le cinquième, qu’on va ouvrir cette année, c’est l’assemblage des produits. Parce que l’assemblage pour nous c’est la réponse à l’importation de produits finis. Si notre balance commerciale est déficitaire c’est parce que nous importons plus que nous n’exportons et en décidant de faire de l’assemblage nous nous donnons la possibilité de pouvoir recevoir des pièces détachées, en faire des produits finis que nous utiliserons sur place et si possible nous réexporterons dans les pays de la sous-région.
Qu’est-ce qui a motivé Aress Sarl à investir dans la production, la commercialisation et l’adoption de l’énergie solaire au Bénin ?
Ce qui nous a poussé à investir dans ce secteur, c’est avant tout un cri d’alarme comme on l’a dit. Il y a 10 ans, on parlait très peu d’énergies renouvelables comme on en parle aujourd’hui. On parlait plutôt de changement climatique. Malheureusement dans nos pays d’Afrique, on ne voit pas encore les effets du changement climatique. Ce qu’on voit avant tout c’est les questions d’accès à l’énergie. Et deuxièmement, ce qui nous a poussé à venir dans ce secteur c’est que nous avons travaillé avec beaucoup de partenaires qui avaient à l’époque l’habitude de venir avec les produits et avec la main d’œuvre, venir tout faire, comme si nous n’étions que de simples bénéficiaires. A ARESS nous refusons d’être des bénéficiaires finaux en tant que population. On suppose que la période des missionnaires est finie. Il faut que nous ayons notre mot aussi à dire et que nous soyons sur la table de négociations. Même si on n’a pas tout le financement, on peut au moins avoir la capacité technique ou bien on peut avoir l’outil décisionnel. C’est contribuer de façon concrète à l’électrification et c’est permettre de réduire aussi le flux d’importation ou le flux de prestataire que nous recevons dans ces chaines de valeur qui nous ont motivé à investir dans ce secteur.
Un rapport du groupe de la banque mondiale et de l’association mondiale du secteur de l’énergie hors réseau (GOGLA), révèle que ce secteur représente un marché annuel de 1,75 milliard de dollars en Afrique. Le secteur de l’énergie solaire peut-il constituer une alternative contre le chômage des jeunes ?
Oui le secteur de l’énergie solaire peut constituer une grande alternative contre le chômage des jeunes à condition qu’on en fasse une priorité nationale. Comme dans beaucoup de secteurs, malheureusement, dans nos pays, nous ne finançons pas encore ou très peu notre développement. Ça veut dire que dans la plupart des projets ou des initiatives nous avons plutôt rang de bénéficiaires. Or pour qu’on puisse vraiment trouver des solutions à la question du chômage dans ce secteur, il faut qu’on puisse avoir des outils accélérés comme de petits financements disponibles déjà pour pouvoir ouvrir une société. Il faut qu’on puisse être accompagné dans la structuration de rédaction de projets aussi. Il faut surtout que nos banques, nos institutions financières puissent comprendre en quoi les indicateurs ne sont plus que financiers. On parle plus forcément de taux de rentabilité mais on parle de condition de vie et on parle de question de durabilité et c’est un peu tout l’avantage aujourd’hui des financements types fonds d’impact où l’objectif n’est plus juste de prêter de l’argent mais de montrer que l’argent qu’on a prêté a permis de toucher des secteurs d’activités qui sont soit critiques sur le plan humain ou bien critiques sur le plan social. Certes ce bon marché ne sera une réelle opportunité contre le chômage que si nous mettons les priorités et les conditions nécessaires pour pouvoir adresser à ces jeunes-là une entrée pérenne dans ce marché qui malheureusement est trop réservé aux grands groupes pour le moment.
Quelle est la contribution de l’énergie solaire à l’économie béninoise ?
Une énorme contribution, on peut en parler des heures et des heures. La première contribution avant tout c’est d’améliorer notre mixte énergétique parce que près de 60 pour cent de la population béninoise n’est pas encore connectée au réseau et si on doit connecter tout le monde ça va entrainer des coûts faramineux. L’avantage du solaire aujourd’hui, c’est sa flexibilité. C’est que vous pouvez le déployer dans des endroits où vous n’êtes pas obligés de tirer des fils sur des trentaines de kilomètres. Encore heureux au Bénin que nous soyons dans un pays qui géographiquement ne soit pas très large. J’ai souvent l’habitude de comparer le Bénin et le Mali, à PIB similaires où le Mali fait 10 fois le Bénin. Donc pour électrifier le Mali on n’a pas les mêmes défis que d’électrifier le Bénin.
L’autre contribution majeure c’est la création de valeur ajoutée. Parce qu’implicitement sans avoir les chiffres, de plus en plus de sociétés se créent dans ce domaine-là, ce qui veut dire qu’il y aura des prélèvements et des obligations et ceci sera bénéfique aussi bien à l’Etat et à la société. Donc, stimuler la création d’entreprise contribue de façon directe aussi à l’économie béninoise.
Enfin le dernier levier, c’est la capacité de mobilisation financière. Aujourd’hui, l’accès à l’énergie et le changement climatique représentent les leviers de financement les plus importants au monde, ce qui veut dire qu’il y a vraiment de l’argent à aller chercher et qu’il faut accompagner financer ces secteurs de l’énergie.
On constate un regain d’activités économiques dans les localités où sont installés des panneaux solaires. Parlez-nous en.
Effectivement si l’énergie a ce côté magique, c’est le regard que vous portez sur une localité, sur une maison, sur une personne qui n’avait pas l’accès à l’énergie. Vous voyez vraiment comment son habitat et sa façon de vie changent radicalement et ça vous expose à des choses totalement nouvelles parce que quand vous n’avez pas un point d’éclairage, vous êtes un centre de santé et que vous avez l’habitude de faire des accouchements à l’aide d’une lampe torche, dès que vous avez de la lumière, c’est un stress en moins pour gérer des cas de vie ; vous êtes un enfant qui n’avait pas l’électricité ou comme on le voit souvent dans le nord du pays avec du beurre de karité et qui travaillait en consumant la fumée le jour et la nuit, dès qu’il y a accès à l’énergie vous améliorez aussi les conditions de vie.
L’énergie à ce don de changer vraiment notre environnement quand bien même il faut être prudent. Ce n’est pas ça qui vous donne forcément les ressources nécessaires pour pouvoir améliorer votre cadre de vie. C’est la raison pour laquelle le principal rôle de l’énergie doit être productif parce que l’énergie doit vous permettre de générer des revenus pour vous permettre aussi bien d’améliorer votre qualité de vie que de pouvoir améliorer votre niveau de vie grâce aux revenus supplémentaires qu’elle vous permet de générer.
Les externalités sont multiples et c’est toujours dans cette magie de l’énergie. Il faut vraiment la rendre disponible pour voir quel est le potentiel réel de produit de nos localités.
Quels sont les objectifs que vous vous étiez assignés au lancement des activités d’ARESS ?
Avant tout au lancement d’ARESS il y a bientôt 10 ans, c’était de se dire que nous avons une société béninoise qui est capable de travailler à un standard international. Ça je pense que nous y sommes arrivés, parce que malheureusement il y a très peu de sociétés que nous observons et qui survivent. Non pas forcement pour des questions de capacité technique mais c’est pour des questions d’organisation et d’environnement qu’elles n’arrivent pas à perdurer. Je pense que presque 10 ans être toujours aux opérations, c’est déjà un premier gage de durabilité.
Le second aussi c’est l’effet d’enrôlement. Aujourd’hui nous intervenons dans des zones où des gens nous connaissent, ils ont adopté nos solutions et ces gens-là deviennent directement pour nous des relais parce qu’on ne peut pas être partout mais le fait de bien faire est un gage qui nous accompagne dans le temps.
Et troisièmement nous sommes une société locale béninoise formalisée au Bénin, nous participons à beaucoup d’appels à projets un peu partout dans le monde. Nous sommes quand même l’ambassadeur de ce secteur là au Bénin.
Justement, quel bilan pouvez – vous faire de vos activités ?
Le bilan pour moi est très positif, à ce jour, on a impacté des centaines de milliers de personnes déjà. On a formé plus d’une centaine de personnes sur l’ensemble du territoire national et à ce jour on représente les grands groupes qui ont vocation à approcher le marché africain mais qui ne le connaissent pas. C’est aussi un appel à toutes les personnes intéressées par ce domaine-là, il y a de la place à se faire tant que vous êtes sérieux et tant que vous vous construisez une bonne réputation. En réalité, pour une société étrangère qui vient investir dans un pays c’est un risque. La seule façon d’atténuer le risque pour eux c’est que vous soyez très crédible et aussi répondant de toutes les garanties dont ils ont besoin.
Quel peut être l’impact de vos activités sur l’économie béninoise ?
Notre impact sur l’économie béninoise avant tout est à l’image du secteur dans lequel nous exerçons. C’est un impact que nous jugeons important dans le temps et qui ne peut pas se mesurer sur du court terme parce que ce n’est que dans la durée qu’on arrivera à quantifier quel aura été l’impact direct sur les populations, quel aura été l’impact direct en terme d’obligations parce que nous sommes une société, nous payons nos impôts, nous importons du matériel, nous collaborons avec beaucoup de partenaires dont les internationaux. Donc, il est vraiment important qu’on puisse avoir à un moment une forme d’assise pour se demander ce que les sociétés du secteur rapportent ou peuvent apporter.
Le MCA a décidé de vous accompagner dans le cadre de projet Eurêka A-1. Qu’est ce qui a fait l’originalité de votre projet ?
C’est un projet basé sur le résultat, et ARESS, grâce à beaucoup d’autres partenaires comme la GIZ, la SNV, travaillait avec ce genre d’approche ; ce genre d’approche impose qu’on ne vous accompagne que lorsque vous avez fait vos preuves ; cela exige beaucoup de rigueur. Le MCA quand même, il faut le rappeler, le Bénin représente leur plus gros investissement hors des Etats-Unis. Donc c’est aussi un gage de durabilité de faire partie des premiers lauréats.
Quelle est la phase qui suivra celle de la signature de ce partenariat ?
C’est la mise en œuvre concrète de ce projet. Nous y sommes déjà depuis la date de signature. Nous avons prévu électrifier au cours des 24 prochains mois, 5000 foyers et artisans.
Quels sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de vos activités ?
La principale difficulté c’est que le secteur n’a pas encore une voix assez forte. Il est important que le secteur ait une voix forte pour que les gens sachent ce que veut dire les énergies renouvelables parce qu’il y a eu beaucoup de déception. C’est ça l’une des observations parce que les gens se sont lancés très tôt sans prendre forcement les garde-fous nécessaires …..Combien ça va me coûtez, si ça ne marche pas qui est là, pour m’accompagner ? Parce que c’est ça construire un marché aussi. Nous avons les alternatives nécessaires pour assurer la pérennité de ce que nous faisons ; donc pour moi les principaux défis c’est surtout la voix du secteur et ce sont les sensibilisations à l’endroit de nos populations.
Quelles solutions préconisez-vous pour surmontez ces difficultés ?
Oui nous préconisons plusieurs solutions, il y a eu une association du secteur, l’Aiser (Association interprofessionnelle des spécialistes des énergies renouvelables) dont nous sommes membres et qui représente une bonne partie des professionnels de ce secteur ; il y un Cluster énergie et application qui a été créé récemment, dont le rôle, c’est d’aller au-delà des questions de l’énergie mais de leur application aussi. Des gens qui ne s’y connaissent pas en énergie mais qui ont besoin d’énergie pour rouler leur commerce, comment les accompagner avec la spécificité de travailler avec des centres de formation. Donc on n’est plus qu’entre entreprises, on est aussi avec les principales écoles et académies de formation du pays. En plus de tout cela, l’une des solutions c’est toujours les coopérations internationales dont on bénéficie à l’endroit de nombreux programmes comme le Recaseb qui vise à structurer et accompagner le secteur.
Quelles sont vos perspectives pour l’année 2020 ?
Les perspectives sont très bonnes, déjà le projet majeur que nous avons ainsi que nos autres projets de tous les jours sont des défis vers lesquels nous allons toujours avancer. Et c’est arriver à se dire que les énergies renouvelables pèsent de plus en plus dans la balance énergétique du Bénin et le Bénin est un vivier vraiment pour des sociétés des plus innovantes dans le secteur.
Comment conciliez-vous le mixage entre l’énergie solaire et l’énergie traditionnelle ?
Je parle de mon avis technique, de mon avis scientifique et de mon retour d’expérience. Il ne faut pas opposer les deux formes d’énergie. Je pense et là je parle en mon nom propre que c’est une erreur d’opposer les deux formes d’énergies parce que chaque énergie à ses avantages et ses limites, je ne parle pas d’inconvénients. Et l’Afrique est à un moment de l’histoire très important, à un moment de l’histoire où elle a besoin de l’énergie parce que cette énergie vient stimuler énormément sa croissance et aussi à un moment où on est face au défi du climat, ce qui veut dire qu’on ne peut pas tout faire mais ne pas pouvoir tout faire aujourd’hui ne veut pas dire qu’on ferme les yeux. Alors le complément énergétique pour moi, c’est ce qui nous permettra de nous en sortir et ça permettra dans des pays comme le Bénin de continuer par développer des centrales comme on fait, parce qu’on a besoin de beaucoup d’énergie aussi pour faire face aux grandes ambitions de notre gouvernement. Et on a besoin aussi d’une collaboration sous régionale très forte et très importante. Parce que l’énergie existe chez nos voisins comme du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Nigéria et nous partageons ces énergies-là. Le Wapp existe et est là pour ça. Alors pour moi le principal défi est que nous comprenions qu’il n’y a pas d’énergie à rejeter. Toute énergie est bonne à prendre dans la mesure où nous savons à quelle fin l’utiliser et comment l’exploiter. Et c’est un peu comme le solaire, tant qu’on est en journée, vous avez du soleil et vous pouvez en profiter ; le soir où il n’y a plus de soleil, on ne va pas tourner le Bénin sur la carte. Il va falloir trouver d’autres formes d’énergies pour y faire face. C’est tout le grand dilemme du mixage énergétique. Mais c’est un débat qu’il faut dépassionner en se demandant de quoi nous avons besoin et comment nous pouvons y arriver ? Et surtout moi mon profil est assez ambivalent. Avant d’être dans l’énergie solaire j’ai été dans le pétrole, dans le gaz aussi. Donc ça implique aussi que je ne peux pas tout effacer comme cela comme du jour au lendemain.
Avez-vous un appel à lancer ?
Je dirai que 2020, c’est une nouvelle décennie et je pense que ça sera la révolution de l’énergie ou des énergies durables au Bénin et en Afrique en général.
Propos recueillis par Nafiou OGOUCHOLA
Transcription : Hubert DOSSOU