Le Port autonome de Cotonou (Pac) est l’un des meilleurs pourvoyeurs de ressources au budget de l’Etat. Ainsi, il constitue une infrastructure de choix dans le dispositif de collecte de fonds au Bénin. Toutefois, certaines habitudes qui ont cours dans ce secteur ne sont pas en faveur du développement efficient des activités du poumon de l’économie béninoise.
Falco VIGNON
Frappé par une vague d’événements contre-publicitaires, le port de Cotonou suffoque, mais tente de retrouver ses marques dans un environnement où les menaces persistent, et parfois, croissent à une vitesse de croisière. Et c’est en ce moment où l’économie maritime, tributaire du trafic qui se raréfie, en dépit des nobles efforts du gouvernement, doit lutter pour sortir la tête de l’eau que les acteurs nationaux_ les plus nombreux de la chaîne portuaire_ les commissionnaires agréés en douane, se trouvent confrontés à ce qui, au bas mot, prend la forme d’une concurrence déloyale dont les distorsions et conséquences promettent d’être périlleuses pour l’économie nationale, les entreprises nationales, le marché de l’emploi, et en définitive, le dernier maillon de la chaîne économique que sont les ménages que cette corporation nourrit.
Les faits
La chaîne des activités portuaires comprend les consignataires, les manutentionnaires, les commissionnaires en douane et les importateurs ; une chaîne de professions libérales dont les prestations sont complémentaires, segmentées et régies par la loi avec les privilèges et contraintes liées à chaque branche d’activités.
Représentant de l’importateur auprès des administrations de la chaîne (consignataires, manutentionnaires, port, douane et autres services), le commissionnaire en douane est le professionnel autorisé par la loi, à des conditions restrictives et contraignantes, pour exécuter les formalités d’enlèvement des marchandises.
L’exercice de cette profession est assujetti à des conditions légales et réglementaires qui se sont corsées ces 20 dernières années, dans le but de professionnaliser la corporation ; ce qui a induit la formalisation de toutes les entreprises qui tiennent à y opérer, avec l’imposition de contraintes diverses dans l’intérêt des régies de l’Etat et des acteurs légaux du circuit de l’importation (douanes, impôts, trésor, banques…)
Mais depuis quelques mois, quelques-unes des multinationales agréées au Bénin en qualité de consignataires, en plus de tenir leurs charges et prestations habituelles et statutaires, en leur qualité de représentants de l’armateur, semblent avoir pris le pari résolu d’avaler le maillon de la chaîne que sont les commissionnaires en douane.
Comment opèrent-ils ?
Les containers étant sous la responsabilité du consignataire, cette corporation avait institué à la charge des commissionnaires en douane, la libération d’une caution permanente qui garantit le retour des containers en transit. Les commissionnaires y ont souscrit. Ensuite, elle a institué des taxes supplémentaires de détention, pour les hypothèses où les containers ne lui seront pas ramenés dans le délai de franchise régulier défini. Les commissionnaires agréés ont aussi souscrit à ces contraintes ; à l’exception négociée et admise des cas dans lesquels le retard de retour du container serait imputable à des facteurs exogènes à l’importateur, son commissionnaire et son transporteur. Quelle est la situation actuelle qui pose problème ?
Le couteau dans la gorge
En effet, nombre de consignataires ont, sans raison liée à d’éventuelles défaillances des commissionnaires, décidé de sortir de leur champ d’exercice professionnel et d’envahir le segment de prestations que la loi et les règlements ont dévolu aux commissionnaires en douane. Certaines d’entre elles ont ainsi carrément créé des branches de « transit ». Et non contentes de livrer cette concurrence déloyale aux entreprises nationales exerçant légalement comme commissionnaires en douane, les multinationales de consignation, opérant ainsi, dressent ensuite une batterie de chicanes devant les commissionnaires en douane et harcèlent leurs clients (importateurs) qui, dans bien des cas, finissent par céder, et adoptent le consignataire comme commissionnaire, afin d’échapper aux surcoûts que les mesures contraignantes génèrent, si elles s’entêtaient à maintenir leurs commissionnaires originels.
A titre d’exemple, elles ont décidé de substituer à l’ancienne caution unique permanente, une caution nouvelle par container et par prestation, remboursable un mois plus tard. Ensuite, elles rechignent à toute flexibilité au sujet des frais de détention et adoptent un raidissement à l’opposé de la souplesse érigée en règle par leur groupe dans tous les pays de la sous-région, à l’effet de procéder à des abattements sur les faux frais, en raison de leurs chiffres d’affaires parfois élevés et des facteurs exogènes qui peuvent les justifier.
Le cas le plus le plus scandaleux concerne l’une de ces compagnies qui, elle, n’a même pas eu besoin de créer une branche de transit ; mais se targue de récupérer la clientèle que les commissionnaires agréés affrètent par son biais, en sous-traitant les prestations de transit par des structures ou individus informels et non agréés.
Le péril que cela induit
A terme, ces pratiques aboutiront à la disparition pure et simple des entreprises nationales agréées en douane ; car elles seront rendues inopérantes par une concurrence qui viole toutes les règles et tous les principes de concurrence d’une économie de marché. Les conséquences qui découleront de cet état de choses peuvent être situées sur les plans économique, social et politico-souverainiste.
Sur le plan économique, ce sont plusieurs centaines d’entreprises nationales, agents économiques majeurs, qui sont menacées de mettre la clé sous le paillasson avec les impacts néfastes sur les régies financières (impôts, douanes, trésor), les banques et les ménages.
Sur le plan social, cette situation, qui a déjà commencé à générer des licenciements, dans quelques années, risque de conduire les entreprises ainsi concernées à fermer et renvoyer leurs employés, ce qui induira l’amplification du chômage et sa série de drames dans les ménages ; sans citer le risque de recrudescence de l’insécurité qui peut en découler.
Sur le plan politique, l’Etat, affaibli par le manque à gagner généré au niveau des régies par la mort en cascade programmée des entreprises nationales, pourrait être confronté, à terme, à une banqueroute, dont les effets peuvent être des mouvements d’humeur généralisés.
Pire, le dernier mais pas le moindre, cette situation qui conduit à la destruction des entreprises nationales et à l’appauvrissement de nos concitoyens au profit des multinationales vient aggraver la dégradation de la cote de souveraineté d’un pays pauvre, qui n’a pas beaucoup de ressources minières, et qui jusqu’à présent, n’avait eu que son port, poumon qui irradiait d’air tous les segments essentiels de l’économie.
Après des siècles d’esclavage, après la colonisation, après l’exploitation de l’Afrique et le pillage de ses ressources minières, l’heure sera-t-elle venue de couler les entreprises locales et de spolier les fils du pays de leurs emplois ? L’État regardera-t-il en spectateur indifférent ce phénomène qui tue l’économie nationale ?