Chaque année, les pays en développement dont le Bénin, perdent des milliards de dollars en flux d’argent illicite directement liés à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Un phénomène dénoncé, dans un récent rapport, par 11 ONG internationales. Acteur de la protection des ressources marines au Bénin, Dr Zacharie Sohou, Chercheur, Océanographe, Pêcheur et Directeur de l’Institut de Recherches Halieutiques et Océanologiques du Bénin (IRHOB/CBRSI), revient ici sur le cas du Bénin avec des propositions à la clé. Interview.
De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la pêche illégale et non déclarée dans les eaux ouest-africaines. Que pouvez-vous nous dire en ce qui concerne le Bénin ?
Le Bénin ne peut pas se mettre en marge de ce processus de transparence des données et la lutte contre la pêche INN. Quand on parle de pêche INN, il faut savoir que c’est la pêche non déclarée, non réglementée. Et cette pêche se pratique sur toute la côte, dans tout le monde entier. Donc, ça fait que pour pouvoir mener une lutte de telle envergure, il faut nécessairement que les pays s’associent pour le faire. C’est pourquoi dans le cadre de ce projet avec CEMLAWS qui regroupe plusieurs pays, c’est une belle initiative qui permettra à tous les pays de pouvoir suivre leur pêcherie pour une rentabilité. Parce que la pêche INN fait gaspiller beaucoup de ressources. Il y a la fuite de devises parce que quand les gens pêchent de façon illégale, ils ne paient pas les taxes, ils ne paient pas la Licence, etc. et ça ne crée même pas de l’emploi dans notre pays. Ça fait que ça affecte notre économie. Dans ce cas, il faut vraiment lutter contre ce type de pêche pour pouvoir garantir d’abord la diversité biologique et préserver nos ressources.
Qu’est-ce qui, d’après vous, rend possible l’expansion de ce phénomène, malgré l’existence de lois et textes sur la pêche ?
Ce n’est pas seulement au Bénin ou dans le Golfe de Guinée, c’est dans tout le monde entier que la pêche INN se passe. Parce que, en course pour un bénéfice croissant, les gens veulent toujours frauder pour avoir leur bénéfice. C’est ça qui soutient cette forme de pêche illicite que les gens pratiquent.
Que fait l’Institut dont vous avez la gestion pour promouvoir les bonnes pratiques de la pêche u Bénin et permettre à l’administration de disposer de statistiques fiables sur la pêche?
Notre Institut, comme le nom l’indique, travaille sur l’écosystème marin et côtier. L’écosystème qui constitue les ressources marines côtières vivantes et les ressources non vivantes. Nous travaillons aussi sur les évaluations de stock, pour connaître le stock que nous avons. Quand on connaît le potentiel qu’on a, c’est en ce moment qu’on peut délivrer des licences pour pouvoir vraiment pêcher, afin de pouvoir pérenniser le stock. Il ne faut pas tout pêcher en même temps mais il faut pêcher dans une proportion pour pouvoir garantir la pérennité de ces ressources. Donc, notre institut travaille dans ce domaine pour pouvoir suivre les ressources halieutiques, suivre aussi l’environnement, c’est-à-dire ce qui concerne la température, la salinité ; l’ensemble des paramètres physicochimiques.
Le Bénin, dans sa dynamique de préservation des ressources marines, a mis en place des aires marines protégées. N’est-ce pas une initiative qui pourrait faire école en Afrique ?
Les Aires marines protégées constituent l’une des mesures pour pouvoir gérer durablement les ressources parce que ce sont des zones qui, dès qu’on les déclare comme Aires marines protégées, peuvent constituer des zones de frayère pour les ressources parce qu’on sait que la pêche dans ces zones est réglementée ou interdite pendant une période donnée, pour pouvoir pérenniser l’exploitation des ressources. Mais il a fallu que nous les identifiions d’abord comme des zones d’intérêt écologique ou biologique. Dans une Aire marine protégée, on peut ne pas complétement interdire la pêche mais on autorise les engins qui sont des engins sélectifs pour la pêche. Dans ce cas, ces engins vont permettre alors aux petits poissons de s’échapper et de vivre jusqu’à un stade de maturité avant qu’on les pêche. C’est dans ce sens que les aires marines protégées constituent alors une mesure clé pour pouvoir préserver la ressource.
Des statistiques de l’administration publique montrent que seulement 34% des besoins locaux sont couverts par la pêche béninoise. N’est-il pas possible d’atteindre une autosuffisance en produits halieutiques au Bénin ?
Bien-sûr ! Le Bénin peut arriver à assurer son autosuffisance en matière de produits halieutiques si, on développe l’aquaculture, pas seulement dans les zones continentales, mais l’aquaculture en milieu marin aussi, la mariculture. C’est le seul moyen qui nous permettra de suppléer à ce gap entre les besoins et ce qui est fourni, et ce qui est pêché aujourd’hui. Donc, il faut nécessairement passer à l’aquaculture. C’est très très important ! Et à l’aquaculture, il faut veiller aux intrants. Notre Institut a travaillé par exemple sur des intrants à partir des matériaux locaux pour que la nourriture du poisson coûte moins cher. Si la nourriture du poisson coûte moins cher, ça veut dire que le poisson coutera aussi moins cher et à la portée de toute la population. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas parce que tous les intrants sont importés. C’est pourquoi on a travaillé sur les intrants locaux, ce qu’on peut piocher dans notre milieu pour pouvoir fabriquer l’aliment à moindre coût et les mettre à la disposition des pisciculteurs.
Quel appel avez-vous à lancer aux différents acteurs ?
Mon appel, c’est de dire aux autorités qu’il faut nécessairement qu’on finance la collecte des données dans le domaine de la pêche et qu’il faut donner les moyens pour pouvoir développer l’aquaculture. Si on arrive à faire ces deux choses-là et on fait le suivi, je pense que le Bénin pourra vraiment s’auto-suffire en matière de produits halieutiques.
Réalisée par Sylvestre TCHOMAKOU