Aliko Dangoté est devenu une puissance économique incontestable au Nigéria et de l’Afrique. Il réinvestit sa fortune dans des projets structurants et viables pour le développement économique de l’Afrique. Ainsi de l’aboutissement heureux ces derniers mois de deux usines de production basées à Lagos : une raffinerie d’hydrocarbures et une usine de production astronomique d’engrais pour rendre autonomes les pays d’Afrique de l’Ouest dont le Nigéria.
Jean-Claude KOUAGOU
Le défi, n’est plus la richesse d’un homme ; mais le développement et l’autonomisation d’un continent. Aliko Dangoté s’y attelle patiemment. Devenu l’homme d’affaires le plus riche de l’Afrique au premier quart de ce XXIè siècle, Aliko Dangote réfléchit à des investissements lourds en Afrique. Il exprime son ambition panafricaniste à travers ses réalisations méga industrielles au Nigéria. Ainsi, en plus de soutenir les efforts de diversification de l’économie nigériane, l’homme d’affaires veut faire de son pays un leader mondial des engrais. Il a installé une immense industrie de production de 3 millions de tonnes d’engrais sur une superficie de 500 hectares. L’usine est située à Lagos, une ville de plus de 20 millions d’habitants. Dangoté donne une ambition forte à cette réalisation. A travers la personne du richissime homme, le Nigéria envisage de devenir un pays exportateur net d’engrais après avoir mis en service la deuxième plus grande usine de fabrication d’intrants au monde. Il s’agit du Dangote Fertilizer Plant. Cette usine, la plus grande en Afrique, s’ajoute à la production existante de 3,1 millions de tonnes d’engrais dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. L’objectif est de doper la production agricole du pays et d’assurer sa sécurité alimentaire en réduisant sa vulnérabilité aux prix et à la production de pétrole qui représente l’essentiel des exportations du pays.
Un apport significatif
« Cette usine d’engrais devrait faire avancer davantage la volonté de notre administration d’atteindre l’autosuffisance dans la production alimentaire du pays », avait déclaré le président Muhammadu Buhari lors de son inauguration le 22 mars 2022. Sous la présidence de Muhammadu Buhari, la « Presidential Fertilizer Initiative » (PFI) a été instaurée par le gouvernement. Elle a pour objectif d’encourager la production locale afin de négocier des prix compétitifs sur certains produits comme le phosphate marocain. Cette initiative permet également au Nigéria d’augmenter sa production et de créer des emplois au niveau local. Mais surtout, la mise en service de l’usine Dangote intervient à un moment critique. La guerre en Ukraine a fait grimper les prix et provoqué des pénuries alimentaires dans le monde. La Russie et l’Ukraine sont les principaux fournisseurs d’urée, de potasse et de phosphate, composants clés des engrais. Une menace pour les récoltes africaines qui risque de faire grimper encore plus le coût des denrées alimentaires. Pour de nombreux experts, le contexte économique mondial est également opportun pour l’Afrique. Car il peut permettre au continent africain de transformer ses contraintes en opportunités. « Nous avons de la chance d’avoir cette usine », a déclaré Aliko Dangote, l’homme d’affaires nigérian à la tête de ce mégaprojet, sur CNN. « Cela arrive au bon moment avec le conflit entre l’Ukraine et la Russie, car l’Ukraine et la Russie contrôlent des quantités substantielles d’intrants agricoles ». Le coût total de l’ouvrage est chiffré à 2,5 milliards de dollars et la nouvelle usine devrait également éviter à l’Etat nigérian de débourser d’énormes ressources chaque année pour les importations. Le groupe Dangote estime à 500 millions de dollars les ressources à préserver au budget national.
Diversification dans les investissements
Plusieurs médias dont Jeune Afrique et https://www.financialafrik.com/ conviennent qu’après avoir fait fortune dans l’importation de produits alimentaires (riz, sucres, farine…), l’homme d’affaires nigérian âgé de 64 ans, convaincu que l’avenir du Nigéria passe par la diversification de ses ressources, se tourne vers la production agricole dans son pays natal. Au Nigéria, les besoins sont énormes. Depuis les années 50 et la découverte de pétrole, le secteur agricole est passé au second plan. Le Nigéria tire près de deux tiers de ses revenus de la manne pétrolière. L’or noir lui rapporte environ 90 % de ses devises. Mais, contrairement au secteur agricole, l’industrie des hydrocarbures crée peu d’emplois. Alors que plus de 70 % de la main-d’œuvre nigériane travaillent dans le secteur agricole. Avec le projet de Dangote Group, le Nigéria pourrait enfin tirer profit de ses terres fertiles. La nouvelle usine est censée augmenter les rendements des fermiers nigérians en leur donnant accès à plus de fertilisants. Même si un paradoxe subsiste, puisque les agriculteurs africains sont à la fois ceux qui utilisent le moins d’engrais – environ 15 kg/ha – et ceux dont les rendements sont les plus faibles. Aliko Dangote n’est plus à convaincre. Il a lancé en 2014 dans la zone franche de Lekki, près de Lagos, les travaux d’une gigantesque raffinerie – pour un investissement de 12 à 14 milliards de dollars – qui vise à approvisionner le marché nigérian et au-delà. L’objectif est bien entendu de réduire la facture énergétique du Nigéria, premier producteur africain de pétrole, contraint jusqu’ici d’importer l’essentiel de ses besoins en hydrocarbures raffinés. Enfin, le milliardaire finalise la construction du plus important gazoduc sous-marin du monde, capable de transporter 3 milliards de mètres cubes de gaz naturel par jour. La nouvelle infrastructure doit notamment permettre de récupérer le gaz pompé par les plateformes pétrolières. Là encore, il s’agit de créer un marché local pour le gaz naturel.
Témoignages éloquents
« Au cours des cinq dernières années, plus de 35 millions de sacs d’engrais mélangés ont été produits au Nigeria. Par conséquent, notre facture d’importation d’engrais a non seulement diminué de manière significative, mais nous assistons également à une augmentation des investissements dans l’industrie des engrais, comme celle mise en service aujourd’hui par le groupe Dangote », a déclaré le gouverneur de la Banque centrale, Godwin Emefiele, lors de l’inauguration de l’usine. Au-delà, « l’usine crée d’énormes opportunités dans le domaine de la création d’emplois, de l’entreposage, du transport et de la logistique. Cela créera une richesse importante, réduira la pauvreté et contribuera à assurer l’avenir de notre nation ». Outre le marché nigérian, Aliko Dangote dont le conglomérat est depuis 2019 exploitant du phosphate togolais – un des composants indispensables aux intrants – ambitionne de ravir la vedette à la Russie en tant que principal fournisseur de pays comme le Brésil, le Mexique, l’Inde ou encore les États-Unis. « La nouvelle usine rendra le Nigeria autosuffisant dans la production d’engrais avec une capacité excédentaire pour exporter vers d’autres marchés africains et certains marchés comme les États-Unis, le Brésil, l’Inde et le Mexique », a affiché Aliko Dangote, qui estime que l’usine pourrait faire économiser au pays 5 milliards de dollars de recettes d’exportation chaque année.
Dangote : un géant du pétrole dans le monde
Le magazine Jeune Afrique constate qu’après dix ans de chantier, le magnat nigérian achève sa méga-raffinerie. Il s’agit, qualifie le magazine, d’un projet hors norme, dont la réalisation a rencontré bien des obstacles financiers, techniques et politiques. Le 18 janvier 2022, Aliko Dangote invitait le président de la BAD, Akinwumi Adesina, à faire le tour de sa méga-raffinerie et de son complexe pétrochimique. Les deux hommes parcourent l’immense chantier où les ouvriers mettent la dernière main aux installations. L’ensemble devrait être opérationnel à la fin de 2022, après six mois de tests et de mise en service. Le milliardaire nigérian peut enfin savourer l’aboutissement d’un projet dont le planning et le budget n’ont cessé de glisser depuis son lancement, il y a dix ans. Estimé à 9 milliards de dollars au départ, l’addition a plus que doublé, atteignant finalement 19 milliards de la même devise. Mais aucun effort n’est trop important pour cette initiative qui peut changer la donne, booster le développement de l’Afrique et approfondir son intégration régionale, estime la BAD, qui a participé à son financement. « Je suis estomaqué par l’ampleur de ce que je vois ici. C’est un complexe de classe mondiale qui peut rendre fier le Nigéria et l’Afrique », a réagi le patron de la BAD, Akinwumi Adesina, avant d’ajouter avec emphase à l’adresse du promoteur, dont il est proche : « Tous nos pays ont besoin d’avoir un Aliko Dangoté pour aider le continent à s’industrialiser ». La raffinerie de pétrole brut et l’usine de production pétrochimique nigérianes de Dangote Industries Limited ont une valeur totale de 19,5 milliards de dollars. Les deux installations du Groupe Dangote, situées dans la zone franche de Lekki à Lagos couvrent une superficie d’environ 2 635 hectares. En 2014, le Conseil d’administration de la Banque africaine de développement avait approuvé un prêt de 300 millions de dollars à Dangote Industries Limited pour financer la construction et l’exploitation d’une raffinerie et d’une usine de fabrication d’engrais. Les installations devraient permettre de créer 38.000 emplois pendant leur phase de construction.
Un accélérateur de croissance en Afrique
« Le Groupe Dangote est un accélérateur de croissance en Afrique », avait déclaré le président de la BAD, Adesina. « Je suis littéralement époustouflé par l’ampleur de ce que je vois ici. C’est un complexe industriel de classe internationale qui fera la fierté du Nigéria et de l’Afrique. La Banque africaine de développement est fière de ce projet. Le succès du Groupe Dangote démontre que les gouvernements doivent donner la priorité à l’industrialisation. Compte tenu de la valeur que le groups apporte, nous devons continuer à soutenir le secteur privé », a ajouté le président de la première institution de financement du développement en Afrique. Ces projets de raffinerie et d’usine pétrochimique illustrent la stratégie de la Banque africaine de développement visant à favoriser l’industrialisation par l’amélioration de la transformation des ressources naturelles et des exportations, et à soutenir l’accélération de l’entrepreneuriat en Afrique. La participation du secteur privé africain est essentielle pour la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine, a affirmé Akinwumi A. Adesina. Selon Aliko Dangote, président-directeur général du Groupe Dangote, la raffinerie, qui est en mesure de répondre à 100 % aux besoins du Nigéria en produits raffinés et de dégager un excédent pour l’exportation, est la plus grande raffinerie de pétrole à chaîne de production simple au monde, avec une capacité de traitement de 650.000 barils de pétrole brut par jour. Selon les estimations, le Nigéria n’importera plus aucun produit pétrolier d’ici à 2023 -contre environ 50 milliards de dollars d’importations par an actuellement. La raffinerie comprend un parc de réservoirs de traitement des eaux de 440 millions de litres et un lotissement construit pour accueillir 50.000 employés et leurs familles sur le site. « Nous apprécions le soutien du gouvernement nigérian, de nos bailleurs de fonds et des institutions de financement du développement telle que la Banque africaine de développement, sans lesquels nous n’aurions pas pu atteindre un tel niveau. « Nous avons de bonnes relations de travail avec la Banque et cette visite constitue un encouragement supplémentaire », a déclaré Aliko Dangote. L’achèvement du projet de raffinerie devrait avoir un impact significatif sur le marché des changes du Nigéria par la substitution aux importations et à des économies substantielles sur les revenus. Les responsables du projet ont expliqué que la raffinerie serait mise en service d’ici la fin de l’année 2022.
Une ouverture sur d’autres pays africains
MM Adesina et Dangote ont discuté du potentiel de collaboration entre la Banque africaine de développement et Dangote Industries Limited pour étendre ses activités à d’autres pays africains. Cette collaboration pourrait inclure la création d’un corps industriel africain, composé d’ingénieurs et de techniciens ayant participé à la construction de la raffinerie. Cela serait précieux pour le partage de compétences en Afrique, selon le président Adesina. Le directeur exécutif chargé de la stratégie, des projets d’investissement et du développement du portefeuille du Groupe Dangote, Devakumar Edwin, a présenté l’usine d’engrais comme étant « le plus grand complexe de production d’engrais granulaire à base d’urée en Afrique ». L’usine dispose de deux chaînes de production, chacune produisant 2.200 tonnes d’ammoniac et 4.000 tonnes d’urée granulée par jour. La première ligne de production a été mise en service au deuxième trimestre de 2021. Plus de 300.000 tonnes d’urée ont été produites et vendues au quatrième trimestre 2021, principalement sur les marchés d’exportation. La deuxième chaîne de production devrait être mise en service au premier trimestre de 2022. Grâce à cette usine, le Nigéria est désormais exportateur net d’engrais. « La Banque africaine de développement poursuivra sa collaboration avec le Groupe Dangote afin de faire davantage pour l’Afrique », a confirmé Akinwumi A. Adesina, tout en soulignant que la stratégie d’industrialisation de la Banque comprenait l’identification de « champions régionaux africains » tels que le Groupe Dangote et un soutien à ceux-ci. « La Banque est disposée à apporter son aide au Groupe Dangote dans des domaines comme l’agriculture -notamment le riz et les produits laitiers- et le développement de la production de ciment dans d’autres pays », a ajouté le président Adesina.
Né dans une famille de commerçants, le père d’Aliko Dangote, Mohammed Dangote, est un riche exportateur d’arachide. A sa disparition en 1965, c’est son grand-père maternel, Sanusi Dantata (en), fondateur du marché Dawanau, et fils de Alhassan Dantata (en), qui fut à son époque considéré comme l’homme le plus riche d’Afrique de l’Ouest, qui le prend sous son aile et lui apprend les ficelles du monde des affaires. Aliko Dangote débute dans le monde des affaires en 1977 grâce à un apport de son oncle de 500.000 Nairas et 3 camions de ciments provenant de son grand-père et d’un prêt remboursable sur deux ans. Le ciment étant un bien rare et cher à l’époque dans le pays, son entreprise se développe très rapidement pour devenir « Dangote Cement ». En 1980, Aliko Dangote s’installe à Lagos pour développer son entreprise. Le coup d’Etat de 1983 s’avère être une aubaine. La junte militaire ayant emprisonné tous les grands hommes d’affaires de la ville, libérant ainsi de vastes marchés. En 1981, le Dangoté Group est créé. Il investit alors dans le sucre, l’importation de riz, et également dans une banque qui fera ensuite faillite. A la fin des années 1980, inspiré par le modèle industriel brésilien, il se lance dans l’industrie. Son groupe construit une raffinerie de sucre et une usine d’emballage pour les pâtes alimentaires que le groupe importe au Nigéria. En juillet 2007, Forbes publie qu’avec 1,5 milliard de dollars, Oprah Winfrey serait la personne « noire la plus riche du monde ». Encore peu connu en dehors du Nigéria, Aliko Dangote a pris la parole publiquement pour déclarer qu’il était « bien, bien plus riche qu’Oprah Winfrey ». Au premier semestre 2007, Aliko Dangote a introduit deux de ses 13 sociétés sur le NSE (Nigerian Stock Exchange, la bourse nigériane) et la valeur de ses parts dans celles-ci a été estimée par les analystes à 10 milliards de dollars. L’une des deux sociétés cotées, Dangote Cement, est devenue la plus grosse capitalisation boursière du Nigéria. La valorisation de ses participations place directement Dangote parmi les hommes les plus riches d’Afrique, sachant que 11 de ses sociétés demeurent non cotées en bourse. En 2013, son groupe possède la plus grande usine de production de ciment subsaharienne, Obajana Cement Plant. Ses projets d’investissement atteignent 10 milliards de dollars dont une part sur la construction de cimenteries en Afrique (Afrique du Sud, Zambie, Éthiopie, Sénégal, Mozambique et Cameroun). En 2013, avec un conglomérat de banques, l’homme d’affaires investit dans la construction d’une nouvelle raffinerie de pétrole d’une capacité de 400.000 barils par jour, pour un coût total de 8 milliards de dollars. En juin 2013, il est le premier homme d’affaires du continent noir à dépasser le cap des 20 milliards de dollars (15,3 milliards d’euros) de fortune. En 2014, il est classé parmi les « 50 personnalités africaines les plus influentes dans le monde », selon le magazine Jeune Afrique. En août 2016, il lance SunTrust, une banque 100 % digitale ciblant les zones encore peu bancarisées d’Afrique de l’Ouest. Le 7 octobre 2016, il est reçu à l’Élysée par François Hollande. Il est un homme d’affaires singulier dans le sens où il s’évertue à respecter trois principes : « réinvestir ses profits dans le pays au lieu de cacher l’argent dans des coffres suisses, mener un train de vie modeste et tout miser sur le marché intérieur du pays le plus peuplé d’Afrique ». Son frère, Sani Dangote, est un de ses proches dans la gestion des affaires. Il est toutefois critiqué pour avoir évincé des concurrents et fait jouer ses relations avec le pouvoir politique, notamment la dictature militaire en place jusqu’en 1999 où le président Olusegun Obasanjo, dont il a financé la réélection en 2003, accède au pouvoir. En 2018, lors du passage d’Emmanuel Macron à Lagos au Nigeria, Fatoumata Bâ favorise la rencontre entre ce milliardaire nigérian et le président français. Il milite en faveur de la Zone de libre-échange continentale africaine. En août 2021, le ministre nigérian du pétrole, Timipre Sylva, annonce que la compagnie nationale des hydrocarbures (NNPC) s’apprête à investir 2,76 milliards de dollars au sein du projet de raffinerie du groupe de Dangote, permettant ainsi à l’État nigérian de disposer de 20 % du capital de la raffinerie.