Mobiliser des ressources financières suffisantes et adaptées, aux meilleures conditions possibles pour la mise en œuvre des projets et programmes, tel est le défi qui incombe aux Etats de l’Uemoa et leurs partenaires financiers dans un contexte international peu favorable. Les besoins de diversification de l’économie et d’investissements appellent à des mécanismes de financement innovant pour le développement durable en général et le secteur productif en particulier.
Aké MIDA
Les conditions difficiles du marché financier international et les enjeux climatiques interpellent tous et militent pour l’identification de modes de financement propres. Une tendance au financement de projets à fort impacts devrait contribuer à rendre l’économie plus verte, plus numérique et plus inclusive.
La célébration du cinquantenaire de la Banque ouest-africaine de développement (Boad) placée sous le thème central « 2023-2073 : financer le développement autrement, la Boad du prochain cinquantenaire », a offert l’occasion d’explorer différentes pistes d’innovations possibles, en interne ou à l’international. Face aux grands bouleversements et incertitudes auxquels sont soumises les économies, il est impératif de changer de paradigme pour répondre aux enjeux, a lancé Serge Ekué, président de la Boad, donnant le top d’une série de cinq ateliers organisés courant août, septembre et octobre derniers. « Nous démériterions, si nous nous contentons de reproduire, au niveau de la Boad, et en matière de financement du développement de nos Etats, les mêmes modèles économiques, les mêmes stratégies ou recettes, que ceux mis en œuvre dans le passé », a-t-il martelé.
La prospective lancée aboutit à l’élaboration d’un document de restitution des ateliers. Une série de rencontres de haut niveau dont un forum présidentiel, programmée pour mi-novembre mais reportée sine die, devrait permettre de l’enrichir, en vue de retenir les nouvelles orientations à donner aux économies.
Les réflexions ont porté sur le financement du développement d’infrastructures pour réussir l’intégration régionale, l’accès universel à l’énergie durable, la souveraineté alimentaire, la résilience climatique et la transformation des produits agricoles, le développement des Micros, petites et moyennes entreprises (Mpme).
Urgence d’agir
Dans le secteur du numérique en plein essor par exemple, en dépit des mesures d’accompagnement aux niveaux national et régional, les startups en général et celles de l’écosystème du numérique en particulier, ont du mal à accéder au financement adéquat pour développer leurs activités. En 2022, les octrois de crédits consentis aux technologies de l’information et de la communication (Tic) ne représentent que 2 % du financement total de l’économie par les banques dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), selon les données de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao). D’où, il importe de trouver les voies et moyens de lever les goulots d’étranglement et favoriser l’adéquation entre l’offre et la demande de crédit.
Comme les Etats et les entreprises, les Organisations de la société civile (Osc) font également face à la dure réalité des conditions difficiles du marché financier. « Les modèles de gouvernance, le déficit budgétaire creusé dans les économies par la crise du Covid-19, la crise financière mondiale, la crise sécuritaire et le changement climatique ont engendré la raréfaction des financements, paralysant de ce fait la mise en œuvre des plans d’action des Osc », a laissé entendre Julien Comlan Agbessi, coordinateur régional du Réseau des plateformes d’Ong d’Afrique de l’Ouest (Repaoc). C’était lors de la quatorzième édition du Forum régional de la société civile pour l’Afrique de l’Ouest qui s’est tenue, les 9 et 10 novembre à Cotonou sur le thème général : « Engager la société civile dans la mobilisation des financements du secteur privé pour le climat et la croissance verte en Afrique ». Dans le même temps, signale-t-il, la région fait face à des défis liés à la maîtrise de la croissance démographique, à la préservation des écosystèmes des dommages causés par l’activité humaine, à la protection des droits humains, aux contextes politiques et institutionnels des pays et à la mise en place d’un développement durable.
Marchés internationaux
Le recours aux modes de financement « propres » permet de diversifier les partenaires et autres investisseurs, et d’optimiser, dans la mesure du possible, les coûts des ressources levées. Pour la Boad, il importe que les Etats, les autorités de tutelle, les entreprises, le secteur financier et les investisseurs agissent en faveur de l’atteinte des Objectifs de développement durable (Odd), pour le bien des générations futures.
La réalisation d’emprunts obligataires sur les marchés financiers internationaux, l’émission d’obligations vertes, sociales ou durables, sont des possibilités de financement sur les marchés financiers internationaux visant à déployer des projets verts, environnementaux ou sociaux. Les obligations à impact social émises par des gouvernements ou des organisations à but non lucratif permettront de financer des projets tels que des programmes de santé publique ou de logements abordables.
Les actions de mobilisation de ressources pourront être orientées vers des partenaires financiers internationaux pour le financement de secteurs spécifiés à l’avance comme l’agriculture, les ressources naturelles, l’économie numérique. Des financements durables sont également à prioriser, en l’occurrence des prêts accordés par des banques ou des investisseurs, pour financer des projets verts, environnementaux ou sociaux. Ces prêts peuvent être structurés de manière à inclure des conditions de remboursement spécifiques, en fonction de l’impact environnemental ou social du projet financé.
Les fonds d’investissement socialement responsables (Isr) prenant en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (Esg) sont à privilégier dans les décisions d’investissement au profit des entreprises ou des projets spécifiques, qui ont un impact positif sur l’environnement ou la société.
Les migrants présentent un potentiel énorme pour financer le développement en Afrique de l’Ouest. La mobilisation de l’épargne de la diaspora s’avère nécessaire. Elle peut s’opérer à travers notamment l’émission d’obligations pour la diaspora « Diaspora Bonds ». Ce mécanisme a fait ses preuves avec succès en Chine, au Japon, en Israël, en Inde et en Ethiopie.
Fonds domestiques
Le volume croissant des émissions des Etats sur le marché financier régional témoigne de son importance en tant que l’une des principales sources de financement du développement dans l’Uemoa. A fin 2022, l’encours de la dette des Etats membres sur ledit marché était de l’ordre de 20 000 milliards F Cfa. Au regard des ambitions nourries par les pouvoirs publics, il convient de renforcer les capacités à collecter davantage de ressources, aussi bien sur ce marché que par le biais de mécanismes internes appropriés.
Les débats dans le cadre du cinquantenaire de la Boad ont mis l’accent sur le développement et la diversification de la base d’investisseurs sur le marché régional de capitaux. Il est question de diminuer la dominance des banques comme principaux souscripteurs des titres émis. Au nombre des actions visant à développer les marchés financiers et monétaires, il est retenu d’encourager les fonds émergents à investir dans l’Union, faire participer les investisseurs internationaux aux émissions classiques, grâce à un roadshow (tournée promotionnelle) en leur direction, dynamiser le marché financier en général et le compartiment réservé aux Pme en particulier, poursuivre les actions visant à diffuser la culture boursière dans l’Union et de faire en sorte que le marché soit utilisé pour les privatisations.
Le développement de nouveaux produits est aussi une solution pour rendre le marché régional plus attractif. A ce titre, les suggestions vont dans le sens de la réalisation d’obligations sociales, vertes et durables pour attirer une certaine catégorie d’investisseurs dans la zone, de « Project bonds » visant à financer des projets d’envergure dans les domaines prioritaires (infrastructure, santé, éducation, énergie). La réalisation d’eurobonds libellés en F Cfa permettrait de donner plus de visibilité à la zone, sur les marchés financiers internationaux.
La collaboration entre les gouvernements et les entreprises à travers les partenariats public-privé (Ppp) reste pertinente pour financer des projets d’infrastructures ou des services publics. Ces concours peuvent inclure des financements privés, des subventions publiques et des prêts à taux préférentiels.
Par ailleurs, il importe de déployer des programmes de développement de l’industrie de la microfinance. Car, les sources de financement des services financiers adaptés aux couches économiquement faibles sont presque exclusivement publiques et donc non compétitives et pérennes, une situation qui limite l’accès des systèmes financiers décentralisés (Sfd) aux ressources financières et par conséquent l’accès des plus pauvres aux services de microcrédit adaptés.
Encadré 1
La finance islamique comme solution
En pleine croissance avec une taille estimée à 2 800 milliards de dollars Us environ, le marché mondial de la finance islamique offre des opportunités d’investissements importants ou de diversification des investissements, notamment dans les secteurs dits « halal » aussi bien pour les Etats que pour les entreprises et les Organisations de la société civile. Principalement animé par les fonds arabes, le Groupe de la Banque islamique de développement (Bid) et autres grandes banques du Moyen-Orient, ce marché est segmenté en banques islamiques, assurance islamique « Takaful », microfinance islamique, obligations islamiques « Sukuk » et les fonds islamiques.
Ce mode de financement connaît un essor dans la zone Uemoa, avec le dispositif réglementaire y relatif adopté par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) à travers l’instruction n° 002-03-2018 de la Bceao et le règlement n° 10 /2022/CM/UEMOA du 30 septembre 2022 de l’Autorité des marchés financiers de l’Union (Amf-Umoa). Toutefois, il importe de vulgariser lesdits textes en vue de leur appropriation par les acteurs du marché régional d’une part, et de d’envisager une révision fiscale afin de tenir compte de la particularité de ce mode de financement d’autre part.
A. M.
Encadré 2
Formaliser l’économie
L’épargne informelle représente une part importante de la monnaie en circulation dans les pays de la sous-région où le taux de bancarisation reste faible. Le taux de bancarisation strict (Tbs) ressort à 19,3 % en 2020 dans l’Uemoa, selon la Bceao. Ainsi, une bonne partie de l’épargne publique échappe aux circuits traditionnels d’intermédiation qu’animent les banques, favorisant ainsi le développement des systèmes de Ponzi qui collectent d’importantes sommes d’argent.
De plus, la forte propension de la monnaie électronique (mobile money) peut se révéler comme un outil efficace de collecte de l’épargne publique au niveau des investisseurs individuels, comme en Afrique de l’Est.
D’autres niches additionnelles de mobilisation de ressources existent certainement et il serait judicieux d’instaurer des mécanismes internes pour les identifier et favoriser leur collecte. Sous l’égide de la Commission de l’Uemoa, les Etats pourraient identifier des produits tels que l’alcool, le tabac, auxquels une taxe spécifique pourrait être appliquée, tout en veillant à une harmonisation des textes requis sur le plan sous régional.
Par ailleurs, il importe de dynamiser les régies financières des pays autour des pratiques en matière de fiscalité dans la sous-région. La fiscalité est perçue comme un outil fondamental pour le développement dans la sous-région, une source fiable de mobilisation de ressources intérieures pour les gouvernements, surtout dans le contexte actuel de crises. Mais, le taux de pression fiscale dans les Etats de l’Uemoa reste faible avec une moyenne de 13,8 % en 2022. La mobilisation accrue des recettes fiscales reste donc un défi majeur pour les Etats membres de l’Uemoa qui devront mettre en œuvre diverses réformes fiscales en vue d’atteindre l’objectif communautaire de 20 % minimum comme taux de pression fiscale.
A. M.