Depuis l’avènement du régime de la Rupture en 2016, un nouveau vent souffle sur la gestion des dépenses publiques au Bénin notamment dans le contrôle de la passation des marchés publics et de leur exécution. Avec comme point de mire, l’amélioration du climat des affaires, la promotion du secteur privé, l’assainissement des finances publiques et la bonne gestion des deniers publics.
Abdul Wahab ADO
‘’Quand le rythme change, la danse change aussi’’, dit-on. Cet adage semble traduire ce qui se passe dans la gestion, la passation des marchés depuis 2016 à l’ère du gouvernement du Nouveau départ. En, effet, avec la loi N°2020-26 du 19 septembre 2020 portant code des marchés publics en République du Bénin et ses 11 décrets d’application, une rigueur tant dans les procédures de passation que dans les contrôles et dans l’exécution s’est imposée aux différents acteurs de la chaîne des dépenses publiques. Des Personnes Responsables des Marchés Publics (PRMP) ont même été présentées à la Brigade économique et financière (BEF), à la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), juridiction spéciale chargée de la répression du crime de terrorisme, des délits ou crimes à caractère économique tels que prévus par la législation pénale en vigueur ainsi que la répression du trafic de stupéfiants et des infractions connexes. Selon, Séraphin Agbahoungbata, président de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), se prononçant sur une chaîne de télévision, « Le système de passation des marchés publics est le maillon le plus faible…. ». Cependant, les acteurs ont « l’obligation de résister à toute forme de tentative de corruption » malgré un « système de passation des marchés publics (…) faible dans la lutte contre la corruption », a conseillé le président du régulateur béninois de la commande publique.
Les exclusions tous azimuts et interdictions pour cinq ans
L’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) joue inlassablement sa partition pour l’assainissement de la gestion des finances publiques. « Les exclusions pour une période de cinq (05) ans de la commande publique et pendant cette période, les intéressés, auteurs des irrégularités ne peuvent exercer aucune fonction dans la chaîne de la commande publique au sein de l’administration publique ou dans les projets sur financement extérieur au Bénin, ni postuler à des marchés publics à titre de consultant individuel ou personnel ou en groupement », sont les sanctions prononcées par l’ARMP à travers ses décisions. En effet, plusieurs responsables de la chaîne de passation des marchés publics ont été exclus de la commande publique. On dénombre déjà près d’une vingtaine. A titre d’exemple, l’ARMP a pris une décision contre la Mairie de Klouékanmè dans le Département du Couffo. La Personne Responsable des Marchés Publics (PRMP) de la Mairie de Klouékanmè, Richard Otodji et Narcisse Akpla, Secrétaire Permanent (SP) de la PRMP sont exclus de la commande publique pour une période de cinq (05) à compter du 13 juin 2022 à la suite d’irrégularités relevées dans la procédure d’un appel d’offres. L’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) a sanctionné les deux cadres à travers une décision en date du 02 juin 2022. Cette décision de l’ARMP, fait suite à un recours du sieur Oscar Amadji, qui n’a pu entrer en possession du Dossier d’Appel d’Offres relatif à la construction d’une clôture de 75 mètres linéaires au profit de l’Ecole Maternelle de Klouékanmè centre, d’un module de latrines de quatre cabines à l’EPP Klouékanmè Centre ; d’une clôture de 1030 mètres linéaires au complexe scolaire de Hondji centre et d’une clôture de 455 mètres linéaires au centre de santé d’Ahogbèya. Selon la décision de l’ARMP, l’avis d’appel d’offres n’a pas été publié dans le quotidien de service public comme recommandé par le Code des marchés publics. La PRMP et son Secrétaire Permanent (SP) ont méconnu plusieurs dispositions législatives et réglementaires des marchés publics notamment celles relatives aux principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats. Par conséquent, l’ARMP ordonne l’annulation de la procédure de l’appel d’offres. Ces différentes décisions rendues par le Régulateur des marchés publics sonnent comme des mises en garde contre les acteurs de la passation. C’est un appel à la maîtrise des textes et à faire preuve de rigueur et de vigilance dans les procédures de passation des marchés publics. « Les choses ne se passent plus comme par le passé dans les marchés publics. A la moindre erreur ou faute voire irrégularités, c’est l’exclusion totale pour cinq ans. Et même des présentations devant la Brigade économique et financière (BEF), devant la CRIET (Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme, Ndlr)», a fait savoir un expert en commande publique qui a requis l’anonymat. « Tous les acteurs de la gestion des marchés publics réfléchissent mille fois aujourd’hui pour éviter des exclusions ou des convocations devant la BEF ou la CRIET », a ajouté l’expert en commande publique.
Arrêts, annulation et reprise de certaines procédures, les nouveautés depuis 2016
Outre les exclusions, les interdictions d’exercice en matière de passation des marchés publics et la condamnation de certains responsables, c’est l’annulation ou la reprise de certaines procédures de passation des marchés publics. Pour preuve, l’Armp a récemment annulé une procédure d’appel d’offres de l’’Institut National des Recherches Agricoles du Bénin (INRAB). Il faut dire que des sanctions sont également prononcées à l’encontre de certains opérateurs économiques pour fraudes et corruption dans la passation des marchés publics. L’ARMP, semble être le gendarme bien armé.
L’ARMP, le gendarme de la transparence et de la gouvernance
Le président de l’ARMP, Séraphin Agbahoungbata, au sujet des réformes de la transparence fait savoir : « avec les textes et décrets d’application de la loi n°2020-26 du 19 septembre 2020 portant code des marchés publics en République du Bénin ainsi que toutes autres publications de l’Institution (rapports d’audits, rapports d’activités, programmes de formation), leur ambition est de mettre au centre des initiatives de régulation des marchés publics pour offrir des occasions de confronter les idées et les expériences dans ce domaine en perpétuelle mutation. Au nombre des autres actions menées par l’institution de régulation de la commande publique, l’ARMP œuvre pour la sauvegarde des investissements productifs au profit de l’Etat, l’assurance du triptyque délai, qualité et coût aussi bien dans les projets d’investissements que dans les activités ordinaires de fonctionnement des administrations, une contribution efficace à l’amélioration du climat des affaires, à la promotion du secteur privé. Depuis 2016 en particulier, l’ARMP travaille à garantir l’efficacité et la crédibilité du système des marchés publics par la promotion d’un environnement transparent qui favorise une optimisation de la dépense publique et une meilleure implication du secteur privé ». Il faut dire qu’avec les réformes, l’ARMP se veut être une institution de référence dans la sous-région en matière de régulation des marchés publics. Campagne de sensibilisation, autour du code d’éthique et de déontologie dans la passation des marchés publics, formation des différents acteurs de la commande publique, sont autant d’actions à l’actif de la nouvelle équipe de l’ARMP. L’assistance aux autorités nationales compétentes dans le cadre de la définition des politiques et de l’élaboration de la réglementation en matière de la commande publique ; l’organisation du système de formation de l’ensemble des acteurs de la commande publique et le développement du cadre professionnel ; la mise en œuvre des procédures d’audits techniques indépendants de la commande publique ainsi que la sanction des irrégularités constatées; le règlement non juridictionnel des litiges nés à l’occasion de la passation des marchés publics et de partenariat public-privé ; la conciliation des parties en cas de litiges nés à l’occasion de l’exécution des marchés publics et la facilitation du dialogue entre les parties au contrat en cas de différends dans le cadre de l’exécution d’un contrat de partenariat public privé, sont, entre autres, les missions de l’ARMP.
L’auto-évaluation du système de passation des marchés publics
Le recours aux marchés publics est une mesure indispensable, pour garantir à l’Etat, la fourniture des services publics adéquats aux citoyens. Etant des baromètres pour tester la gouvernance, l’équité, l’efficacité d’une économie durable et une croissance inclusive, les marchés publics représentent en moyenne dans le monde entier, 12 à 20% du Produit Intérieur Brut (PIB) chaque année selon une étude de la Banque Mondiale. D’où, pour parvenir à des résultats concrets, durables et pour bâtir des institutions efficaces, il est primordial aujourd’hui de renforcer le système de passation des marchés publics. Et la mise en œuvre des actions visant le renforcement d’un tel système n’est rendue possible qu’au moyen de l’évaluation du système national de passation des marchés publics qui fournit au pays, des informations qu’il peut exploiter en vue de suivre le rendement de son système, le succès des initiatives de réforme pour l’amélioration des performances. Ainsi, grâce au financement de la Banque Mondiale, à travers le Projet d’Appui à la Gestion des Investissements Publics et à la Gouvernance (PAGIPG), le Bénin organise pour la 3ème fois, l’auto-évaluation de son système de passation des marchés publics par la méthodologie harmonisée d’appréciation de la conformité des systèmes de passation des marchés aux standards internationaux (MAPS II). Pour parvenir au résultat escompté, les ateliers techniques des comités nationaux interministériels sont chargés d’accompagner l’auto-évaluation du système national de passation des marchés publics du Bénin. L’une des étapes importantes dans cette auto-évaluation est l’exploitation des données collectées auprès des autorités contractantes et sur l’ensemble du système qui permettra d’élaborer et de finaliser la note conceptuelle relative à la mission d’auto-évaluation du système de passation des marchés publics.
La DNCMP, la deuxième manche de la rigueur dans la gestion des marchés publics
Dans la mise en œuvre des réformes, la Direction Nationale de Contrôle des Marchés Publics (DNCMP), semble être la Cour constitutionnelle des marchés publics. En ce sens que, c’est elle qui autorise les demandes d’entente directe ou de gré à gré en cas d’avis favorable du Conseil des ministres en dernier ressort, sur requête de l’autorité contractante. La DNCMP a, entre autres, pour mission, de : procéder à un examen technique et au contrôle de la conformité des plans annuels de passation des marchés publics des autorités contractantes, faire corriger lesdits plans au besoin et en assurer la publication ; émettre un avis de non-objection sur les dossiers d’appel à concurrence et sur leurs modifications le cas échéant; procéder à la publication des appels d’offres qui lui sont adressés par les autorités contractantes; accorder à la demande des autorités contractantes les autorisations et dérogations prévues par la loi n°2017-04 du 19 octobre 2017 portant code des marchés publics en République du Bénin ; émettre un avis de non-objection sur les rapports d’analyse comparative des offres et les procès-verbaux d’attribution provisoire de marché élaborés par la Commission de Passation des Marchés Publics ; procéder à un examen juridique et technique du dossier ou de la convention de délégation de service public avant son approbation, et au besoin, adresser à l’autorité contractante des demandes d’éclaircissement et /ou de modification de nature à garantir la conformité du marché ou de la convention avec le dossier d’appel à concurrence et la réglementation en vigueur ; émettre un avis de non-objection sur les projets d’avenants et les requêtes de résiliation des marchés publics et des délégations de service public ; participer aux travaux des commissions de réception des marchés publics et des délégations de service public relevant de sa compétence ; proposer à l’Autorité de Régulation des Marchés Publics des amendements aux textes législatifs et règlementaires en vigueur ; coordonner l’activité des directions départementales de contrôle des marchés publics ; viser les marchés financés par les budgets autonomes des sociétés d’Etat et des offices ainsi que les autres structures étatiques en ce qui concerne les dépenses dont les montants sont supérieurs ou égaux aux seuils marquant la limite de compétence des Cellules de Contrôle des Marchés Publics des dites structures ; accorder des autorisations de passation des marchés par la procédure de gré à gré, quel qu’en soit le montant. Toujours pour la bonne gestion des marchés publics, des délégués de contrôle des marchés publics sont nommés dans les ministères pour non seulement le respect des délais de passation dans la commande mais aussi pour l’examen minutieux des marchés publics.
En somme, on peut dire qu’avec les nouvelles réformes, les cinq principes fondamentaux de l’article 7 du code des marchés publics que sont : économie et efficacité du processus d’acquisition ; liberté d’accès à la commande publique ; égalité de traitement des candidats et soumissionnaires ; transparence des procédures ; reconnaissance mutuelle semblent être respecter. De même que le respect des : Délais impartis aux organes de contrôle des marchés publics et autres. La rigueur dans la passation des marchés, les suspensions des acteurs de la commande et de leur condamnation, ont conduit à l’Amélioration du climat des affaires, la promotion du secteur privé, l’assainissement des finances publiques et la bonne exécution des marchés publics.