A l’évidence de ce que le pouvoir central, à lui seul, ne saurait et ne peut offrir le bonheur et le confort souhaités à toutes les populations, le Bénin, à l’instar d’autres pays, a opté pour la décentralisation au lendemain de son historique conférence de février 1990. Bien d’années après, où en est le système de gestion décentralisée ? La libre administration des collectivités territoriales est-elle de mise ? Quel est l’apport des communes à l’essor national ?
Sylvestre TCHOMAKOU
Le Bénin, pour mieux soutenir son décollage économique, comme le recommandaient les assises des forces vives de la nation à travers les articles 150-153 de la constitution du 11 décembre 1990, s’est inscrit dans la dynamique de la libre administration des collectivités territoriales dotées d’une autonomie financière et dirigée par des organes élus dans les conditions prévues par la loi. Dans cet élan, en 1993, il a été organisé les états généraux de l’administration territoriale qui ont proposé les grandes options de la décentralisation suivant la constitution. En février 1993, ces propositions sont approuvées par le conseil des ministres. Ce qui va faire le lit aux textes de loi quelques années plus tard. A partir du 15 janvier 1999 les textes de loi sont votés et désormais les Départements sont devenus des circonscriptions administratives du Bénin tandis que les communes deviennent les collectivités territoriales décentrées gérées par un maire avec des pouvoirs autonomes et des compétences propres. Sous le contrôle de l’autorité de tutelle, le Préfet, elles exercent d’autres attributions qui relèvent de l’Etat.
La marche vers l’administration territoriale
Après la Conférence des Forces Vives de la Nation, il aura fallut dix (10) ans pour le démarrage effectif de la décentralisation au Bénin. Ainsi, c’est en 2003 que le Bénin amorce un processus de décentralisation aboutissant à la reconnaissance des communes comme de véritables collectivités locales dotées de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Au nombre de soixante-dix-sept (77) dont trois à statut particulier, les communes enregistrent un second scrutin local en avril 2008 aboutissant à l’élection de 1 435 conseillers communaux et municipaux et 26 000 conseillers de villages et de quartiers des villes. Devant se tenir en 2013, le troisième scrutin local et communal a été finalement tenu en 2015 en raison du retard de la Liste Électorale Permanente Informatisée (Lépi). Le 4ème,l’année 2020 s’apprête déjà à l’enregistrer dans ses annales. Cette structuration administrative, expression de la démocratie participative pour laquelle le Bénin a cédé en vue de faire participer les populations à la gestion de leurs propres affaires, sur le parcours, a enregistré de bonnes performances tout comme elle en a enregistré de mauvaises.
Des performances de la décentralisation au Bénin
Si l’idée première de la déconcentration du pouvoir des mains de l’Etat central, au départ, est d’instaurer et de promouvoir la démocratie à la base sous toutes ses formes, des progrès significatifs ont été réalisés. Du point de vue de la participation citoyenne, aujourd’hui, les citoyens à la base s’intéressent mieux que par le passé, à la gestion de leur cité. De même, les élus locaux en ce qui les concerne, progressivement, se livrent à l’exercice de réédition de compte. Ce qui permet aux administrés d’apprécier la gouvernance et en même temps de formuler des recommandations. En ce qui concerne la politique territoriale au Bénin, plusieurs mesures ont été adoptées. Il s’agit principalement de la PONADEC (Politique Nationale de Décentralisation) et de la PNDEF (Politique Nationale de Développement des Espaces Frontaliers) avec leurs outils et modalités de mise en œuvre dont, le FADeC (Fonds d’Appui au Développement des Communes du Bénin) et le Conafil (Commission Nationale des Finances Locales) avec l’évolution constant du volume des transferts de ressources aux communes et le développement des audits et contrôles. A cela s’ajoute l’organisation des élections locales et l’effectivité de la délivrance de services aux citoyens par les mairies ; la montée en puissance des activités de formation des élus et des personnels des communes par le Centre de formation pour l’administration locale (CeFAL) ; l’adoption d’une loi sur la fonction publique territoriale ; la création de l’ABeGIEF et de l’association des communes des espaces frontaliers. Au-delà, en 2015, en forum bilan de la décennie de la décentralisation au Bénin du 06 au 07 octobre au Palais des congrès, les maires et autres acteurs impliqués dans la décentralisation au Bénin n’ont pas manqué de relever d’autres succès. Il s’agit pour eux, de l’effort soutenu d’accès à l’eau potable, à la téléphonie mobile, à la sécurité publique, à la couverture radiophonique et télévisuelle ainsi que l’électrification rurale. Par ailleurs, on relève une aide financière croissant au FADeC par les Partenaires Techniques et Financiers. Ce qui exprime pleinement une crédibilité reconnue de cet instrument de financement du développement locale. La volonté affichée du pouvoir central de faire progresser la réforme de l’administration territoriale s’est lue aussi par la création d’un ministère en charge de la décentralisation en 2007 avec le gouvernement du président Thomas Boni Yayi. Installé en 2016, le pouvoir Talon n’est pas resté sans actions à l’endroit des communes du Bénin. Pour aider celles-ci à être plus autonomes, le gouvernement du « nouveau départ » a entrepris des réformes fiscales qui ont conduit à l’installation des Cadres de Concertation fiscale des communes au Bénin, dans chaque département, un outil d’optimisation de la mobilisation des recettes fiscales. L’idée étant d’amener les communes à mieux s’organiser pour mobiliser des ressources propres et être à même de financer des projets de développement local sans attendre l’Etat. Si ces avancées sont réelles, doit-on comprendre que des insuffisances, il n’en existe pas?
Des faiblesses évolutives de la décentralisation
Bien que ces avancées soient patentes, des faiblesses règnent en maitre. Le chemin du développement à la base semble à peine emprunté en raison du faible transfert des pouvoirs décisionnels, des compétences et des ressources aux communes. Pour ainsi dire, faisant face parfois à une autorité préfectorale qui ne partage pas leur vision, les autorités communales se voient retranchées dans leur dynamique, bien qu’elle soit profitable au développement de leur communauté. Ce qui implique une question d’autonomie. En témoignent les résultats de l’étude quantitative sur la revue des compétences en gestion des finances publiques (GFP) réalisée par l’Initiative Africaine Concertée sur la Réforme Budgétaire (CABRI). A en croire l’institution, constatant que les lignes directrices sont imposées et contraignantes, certaines communes se trouvent dans l’obligation de « recourir à des mesures ex-post » (jugées objectives et mises en œuvre). Du point de vue de la crédibilité budgétaire, notamment des prévisions de recettes et mobilisation, la politique fiscale des collectivités locales paraît poreuse. Selon une étude réalisée par l’Initiative Africaine Concertée sur la Réforme Budgétaire (CABRI) en 2019, l’application de la prime monétaire étant une mesure incitative au profit de l’agent de recouvrement dans les communes, il n’est en guise d’encadrement de l’agent, « prévu aucune pénalité claire en cas de délit ». Ce qui, lui laisse l’avantage de se consacrer rigoureusement ou non au travail pour lequel il est investi. En ce qui concerne la collaboration horizontale entre les communes, elle paraît faible. A ce propos, « il y a peu d’efforts dans ce domaine; la coordination relève plutôt du gouvernement central », souligne l’enquête du CABRI qui s’est orientée vers une dizaine de communes, les personnels travaillant sur les questions de la décentralisation au niveau central, des partenaires au développement, la société civile et l’Etat central. Ces problèmes existants, les défis du développement à la base et la responsabilité collective des institutions de la république paraissent plus aigue.
Quels défis pour un développement local durable ?
Bien que l’administration locale est en marche, le bonheur local peine à couronner les efforts consentis aussi bien par l’Etat que par les partenaires techniques et financiers. Se trouvant à la 4ème expérience du scrutin communal, le Bénin se doit de pourvoir véritablement les communes des ressources dont elles ont besoin. Parlant de ressources, « la priorité, ce sont les ressources humaines et, les ressources financières suivent. Parce que nous n’avons pas suffisamment de personnel pour assurer le service public. L’Etat en a à foison, d’autres ne travaillent même pas. Donc l’Etat peut nous envoyer le reste qu’il n’utilise pas », précise pour sa part, le maire de Djougou, Abischaï Abraham Akpalla. Des forums (bilan de la décennie de la décentralisation au Bénin du 06 au 07 octobre 2015) ainsi que des études, notamment celles de l’Initiative Africaine Concertée sur la Réforme Budgétaire (CABRI), ont révélé que les communes ne disposent pas véritablement de ressources humaines à même de proposer et de concevoir des projets communautaires viables. Au vue de ces imperfections, il s’avère nécessaire de doter celles-ci d’agents qualifiés à même de proposer des idées novatrices pour le bonheur des populations. La responsabilité collective des institutions de la république sur l’impératif de la justice territoriale et du bien-être des populations n’étant pas à occulter, il est temps que l’Etat veille à garantir aux collectivités locales une certaine indépendance vis-à-vis des préfectures. Car, à travers une décentralisation bien pensée et convenablement mise en œuvre, des réponses pertinentes sont apportées aux fonctions politiques, aux fonctions d’administration territoriale et aux fonctions de développement local qui sont essentielles pour un développement équilibré et harmonieux du territoire national.