Les entreprises béninoises, à l’instar de bien de celles des pays sous-développés comme le Bénin, sont confrontées à un certain nombre de défis qui, bien souvent malheureusement, handicapent leur développement dans certains cas, et les condamnent à la faillite dans d’autres cas. La stratégie de gestion fait partie de ces défis. En effet, faute de plan ourdi et détaillé par les soins d’experts qualifiés, les entrepreneurs béninois influent sur le gouvernail de leurs sociétés au gré de leur instinct. Ce qui n’a jamais donné un résultat positif à moyen et long terme. Dans le but de décortiquer ce sujet, nous avons requis l’expertise du Président directeur général (PDG) de l’Agence privée d’investigations et d’analyses stratégiques (Apias), l’ex chef de la Brigade économique et financière (Bef) et contrôleur général de Police à la retraite, Clovis Adanzounon.
L’économiste du Bénin : Comment pouvez-vous définir le terme ‘’stratégie’’ au sein d’une entreprise ? Pouvez-vous nous donner un exemple de stratégie ?
Clovis Adanzounon: Le concept « stratégie » a vu le jour dans le domaine militaire. Ainsi, la stratégie consiste à mobiliser des moyens pour gagner une guerre. Etymologiquement elle se décompose en stratos qui veut dire armée et agein qui signifie conduire. Art d’employer les forces militaires pour atteindre les résultats fixés par la politique, la stratégie intervient soit pour maintenir la paix donc la quiétude ou pour engager et gagner la guerre.
Il s’agit de l’art de coordonner l’action de forces militaires, politiques, économiques et morales impliquées dans la conduite d’une guerre ou la préparation de la défense d’une nation ou d’une coalition. On peut conclure que la stratégie définit les actions à mener pour réaliser les objectifs.
A quoi sert une stratégie au sein d’une entreprise ? Quel est son impact sur cette dernière ?
De manière très simple, on peut dire que la stratégie d’entreprise est l’ensemble des choix et des moyens définis par la direction générale d’une entreprise à mettre en œuvre afin d’atteindre les objectifs fixés par elle et pour faire face aux entreprises concurrentes.
Selon d’autres experts, intervenus dans le bouquin STRATEGOR, « la stratégie d’entreprise consiste à choisir les domaines d’activité dans lesquels l’entreprise entend être présente et allouer les ressources de façon à ce qu’elle s’y maintienne et s’y développe. »
De son côté, Alfred Chandler (Historien de l’économie américaine ; 1918-2007) dira à propos de la stratégie d’entreprise qu’elle est la détermination des buts et objectifs à long terme d’une entreprise et le choix des actions et l’allocation des ressources nécessaires pour les atteindre.
De ces différentes définitions, il se dégage que la stratégie d’entreprise implique d’abord un choix de domaine d’activité, la détermination d’objectifs clairs, des actions et des manœuvres à mettre en place afin d’avoir un positionnement permettant de faire face aux concurrents du secteur et d’en dégager des plus-values.
Il s’en suit donc que la stratégie d’entreprise consiste à déterminer les meilleures options en tenant compte des réelles possibilités de l’entreprise (ses ressources humaines, financières et techniques) mais également de l’évolution possible de son environnement.
Quels sont les modèles ou types de stratégies qui existent ? Où et quand ont-ils été mis en œuvre ?
Il existe une multitude de modèles de stratégies. Mais on peut très facilement les regrouper en deux grandes catégories à savoir : les stratégies militaires et celles d’entreprises.
En entreprise, on entendra souvent parler de stratégie commerciale, de stratégie de différenciation, de stratégie de concentration, de stratégie marketing, de stratégie de coût et de volume, de stratégie d’intégration verticale et d’externalisation, de stratégie de Croissance, de création de valeur et de gouvernance, de stratégie de croissance externe, etc.
Ces différents types de stratégie visent une seule chose à savoir pérenniser l’entreprise. Pour cela elle doit rester rentable tout en produisant.
Les modèles de stratégies qui ont réussi en occident peuvent-ils connaître le même sort au vu de l’environnement socioéconomique béninois ?
Il existe bien de modèles de stratégies déployées en occidents ou partout ailleurs dans le monde qui peuvent être expérimentées au Bénin et avoir du succès. D’ailleurs, qu’est-ce qu’on apprend aux étudiants de nos universités en matière de marketing et administration des entreprises, si ce n’est les modèles extérieurs. Ce qui importe dans le cas d’un déploiement d’une stratégie ayant eu succès ailleurs, c’est la contextualisation. En effet, les modèles de stratégie ont des invariants. Ce sont ces derniers qui doivent être exploités. Tenez par exemple, la stratégie de construction de l’avantage concurrentiel éditée par M. Porter continue d’être d’actualité.
Quels sont les formes de stratégie qui sont plus mis en œuvre par les responsables d’entreprises au Bénin ? Pourquoi ?
L’écosystème des entreprises de notre pays est dominé par les entreprises unipersonnelles et à responsabilité limitée. En dehors de ces entreprises qui sont formelles, il existe plusieurs autres qui évoluent dans le secteur informel. Mais quel que soit le type, il est loisible de remarquer que la principale stratégie déployée est celle concurrentielle qui se matérialise par les actions de différenciation ou de niche, de coût-volume, etc.
La stratégie concurrentielle s’explique par une faible diversification de l’économie. Personne ne veut être pionnier. La majorité préfère investir dans un secteur déjà porteur. La conséquence est l’asphyxie du secteur et sa mort inéluctable.
Une entreprise peut-elle planifier et exécuter une stratégie pour se soustraire aux exigences légales en matière de redevances à l’Etat ou à des privés ? Comment ?
Nous référant à la définition donnée plus haut à savoir que la stratégie consiste à déterminer les meilleures options en tenant compte des réelles possibilités de l’entreprise (ses ressources humaines, financières et techniques) mais également de l’évolution possible de son environnement, on peut répondre par l’affirmatif. Une entreprise peut planifier se soustraire aux exigences légales. Et c’est conscient de cette éventualité que les gouvernants aussi améliorent chaque fois les outils de contrôlent et de déclaration des taxes afin de limiter les fuites de capitaux.
Quelle stratégie pourrait être utilisée par les responsables d’entreprises pour maîtriser leur parcours ?
Il est prétentieux de donner une stratégie qui pourra résoudre une fois pour de bon les problèmes qui se posent aux entreprises. La stratégie par essence est solution à un problème. Il apparait donc que toutes les entreprises n’ont pas les mêmes problèmes. Pendant que certains ont des difficultés d’écoulement de leurs produits, d’autres font face à l’accès à la matière première. Le secteur d’activités oriente fortement la stratégie à mettre en place.
Toutefois pour un chef d’entreprise qui veut maitriser son parcours et faire prospérer son entreprise, il s’impose à lui les préalables ci-après.
Viser la victoire : Il va de soi qu’aucune entreprise sérieuse ne s’engage dans une conquête de marché sans la volonté d’obtenir une part dudit marché.
Choisir son terrain : intrinsèquement lié au premier point, il apparait que toute entreprise ne s’engage que là où elle possède suffisamment d’atouts (coût, qualité, expérience, savoir-faire, réputation, etc.)
La concentration des forces : lorsque le terrain propice est choisi, (le créneau du marché par exemple), il faut alors y concentrer assez de force pour réaliser une percée décisive
La liberté d’action par la réserve stratégique : l’entreprise, pour conserver sa liberté d’action, doit garder des « réserves en terme de moyens». Elle doit également avoir des plans de rechange pour permettre un redéploiement des forces en cas de modification de l’environnement.
Le risque calculé : ce principe est essentiel pour l’entreprise. Calculer les risques, c’est éliminer systématiquement ceux qui ne sont pas indispensables. C’est refuser toute action dont les conséquences peuvent être mortelles ou néfastes.
Au demeurant, chaque promoteur d’entreprise doit disposer d’un tableau de bord clair qui le renseigne sur l’évolution de ses activités ainsi que ses prévisions au regard des contingences de son environnement.
Si les responsables d’entreprises mettent en œuvre cette stratégie, quelle pourrait être son impact sur l’économie béninoise dans quelques années ?
Une entreprise qui se porte bien et possède de bon résultat, paie régulièrement ses impôts. Elle prend bien soin de ses agents. Donc globalement le circuit de l’économie nationale sera impactée favorablement et durablement. Il y a lieu de faire remarquer que le développement de l’entreprise ne dépend pas uniquement d’elle et des stratégies qu’elle déploie. Le contexte politique et de gouvernance aussi compte pour beaucoup. Nous ne cesserons jamais de le dire assez. Nous sommes en pleine guerre économique et les gouvernants ne doivent pas ignorer cela. Il est de leur rôle de protéger les acteurs économiques. Ces derniers quant à eux doivent veiller à se maintenir sur les marchés locaux et pourquoi pas viser les marchés extérieurs. La zone de libre-échange est une opportunité majeure dans ce sens.
Avez-vous un dernier conseil à donner ?
Karl Von Clausewitz disait : « la stratégie est la théorie relative à l’usage des combats au service de la guerre. Elle est l’art d’employer les Forces militaires pour atteindre les résultats fixés par la politique. La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ». Chaque camp dans une guerre a besoin de stratégie.
Les entreprises et les Etats africains sont de nos jours dans une situation de « guerre économique » et ils doivent, pour réussir, s’appuyer sur une meilleure connaissance des marchés locaux et veiller en permanence sur les marchés extérieurs. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront durablement tenir face à la concurrence extérieure et assurer la production de la richesse.
Les opérateurs économiques doivent cesser l’accointance malheureuse entre les caisses de leurs sociétés avec celles familiales. Ils doivent aussi éviter de se positionner sur les activités éphémères qu’ils jugent comme des filons porteurs.
Il existe au Bénin des écoles pour donner le savoir nécessaire dans le domaine à ceux qui en manifestent le besoin, telle que l’EIDS, (Ecole Internationale de Détective et de Stratégie).
Les entreprises et les gouvernants peuvent pour cela se rapprocher de nous pour des formations et un accompagnement gagnant-gagnant.