Qualifiée de »petite bourgeoise » par Karl Marx, la classe moyenne contemporaine joue un rôle économique et social déterminant puisqu’elle représente un moteur de croissance. La classe moyenne africaine compte 326 millions de personnes, selon la Banque africaine de développement (BAD). Mais elle semble être au point mort.
Issa SIKITI DA SILVA
Rongée entre autres par le chômage et le sous-emploi, le désir d’émigrer pour chercher les opportunités ailleurs, la corruption au sommet des états, le manque de financement d’entreprendre des projets, la redistribution inéquitable des richesses et l’absence de démocratie et de liberté d’expression, plus de la moitié de la classe moyenne africaine est exaspérée.
Si les pays comme l’Afrique du Sud, la Namibie et le Gabon ont une classe moyenne comprise entre 50 et 75% de leurs populations, l’Algérie et l’Egypte 75% ou plus, au Bénin la classe moyenne ne représente que moins de 25%, selon une enquête de BearingPoint réalisée à partir des données de la BAD. Ceci représente un nombre de 2,85 millions de personnes sur une population de 11,4 millions. Et dans un pays où le taux de sous-emploi est de 72% (selon la Commission économique africaine), force est de constater que la classe moyenne béninoise existante ne semble avoir qu’un impact minimal sur la croissance économique du pays parce que bon nombre de ses composants sont soit sous-employés ou au chômage.
Rêves brisés
«Apres mes études supérieures, je rêvais de vivre une vie meilleure dans un milieu sociopolitique et économique libre et juste et dans un environnement sain. Mais tout cela n’est qu’un rêve distant puisque les réalités du pays ont scellé mon destin », raconte Joséphine Zoundji, détentrice d’un diplôme de master.
« Le travail que je fais n’est même pas mon domaine. Je le fais avec beaucoup d’amertume juste pour survivre et échapper au chômage ».
Interrogée de savoir si elle faisait partie de la classe moyenne, elle répond oui et non. « Oui parce que j’ai fait des études supérieures, un atout qui représente déjà un critère de la classe moyenne. Non, parce que je ne gagne pas assez et ne possède pas les biens que les gens de la classe moyenne sont censés posséder. Mais ce qui m’écœure le plus est le fait de ne pas payer assez de taxes pour contribuer au développement de mon pays ».
Selon les experts, la consommation de la classe moyenne ne se limite pas tout simplement aux denrées alimentaires, mais aussi aux produits considérés en Afrique comme « luxueux », à savoir des voitures, des réfrigérateurs, des motos, des vacances, des bijoux, des habits chic, des appareils électroménagers hors concurrence, la location ou l’achat à crédit d’appartements ou des maisons modernes, et en plus de cela un compte bancaire stable.
«J’ai fait de longues études mais mon salaire est trop moche pour accéder à la cour des grands. A part ça, je suis trop endetté. Ce travail aussi n’est pas stable. Donc je suis mécontent de la direction que ma vie est en train de prendre. Je pense déjà à émigrer, aller où on va valoriser mes capacités intellectuelles et professionnelles », a déclaré Kevin Hounye.
Classe flottante
Joséphine Zoundji et Kevin Hounye font partie de la classe moyenne décrite par la BAD comme »flottante ». «La classe flottante est une population particulièrement fragile, risquant de retomber dans la pauvreté en raison de l’instabilité de ses revenus. Cette classe flottante représente à elle seule 20% de la population totale du continent », explique une étude réalisée en 2015 par CFAO en collaboration avec BearingPoint et Ipsos.
« Bien que leurs niveaux de revenus soient supérieurs au seuil de pauvreté, ces classes moyennes demeurent souvent vulnérables. Leurs caractéristiques en termes d’emploi (poids du secteur informel), d’éducation (faible taux de diplômés de l’enseignement supérieur) et de consommation ne correspondent pas aux conceptions traditionnelles d’une classe moyenne capable de tirer la consommation intérieure et la croissance », affirme Mario Pezzini, directeur du Centre de développement de l’OCDE.