Blaise Ahouantchédé est l’un des invités d’honneur du premier Forum de L’économiste tenu les 16 et 17 septembre 2022 au Bénin. En marge du Forum où il est intervenu en panel sur les enjeux de développement et les défis liés à l’information économique sur le continent, il s’est ouvert à nous dans cette interview sur la politique et les enjeux de développement sur le continent, l’endettement, le journalisme économique sur le continent. A bâtons rompus avec le professionnel de l’économie et des finances, ancien DG de GIM-Uemoa, CEO d’Afrik Creances…
Est-ce qu’on peut vous connaître davantage ?
Je suis Blaise Ahouantchédé, président et CEO de Afrique créance, nouvelle institution qui a été portée sur les fonts baptismaux il y a quelques mois à Lomé, la capitale de ce que j’appelle la plateforme de service financier régional, avec des perspectives de développement à court et à moyen termes dans une dizaine de pays. Nous démarrons avec trois pays et puis après nous allons faire une extension dans les autres pays de la zone. Notre activité est véritablement axée sur l’intermédiation sous toutes ses formes avec l’ensemble des outils que nous mettons en place pour accompagner les agents économiques de manière générale, les Etats, déjà sur les questions de mobilisation économique et l’accès plus facile au financement. Dans le cadre de notre activité, nous avons aussi un volet sur la gouvernance des créances sur lequel nous travaillons aussi. Voilà en résumé ce que nous faisons et j’ai la charge de mettre en place ce gros projet auquel je m’attèle.
Vous êtes à la tête d’une institution de financement, et on voudrait savoir, quelle est la part réservée à l’action verte (finance verte ou climat) ?
Aujourd’hui, nous n’avons pas encore cartographié. Je dois vous dire que nous sommes un intermédiaire. On est entre les banques et les agents économiques. Donc, ce n’est pas nous qui sortons l’argent mais on est facilitateur de l’accès aux financements. La question que vous posez, elle est pertinente quand on va cartographier notre approche. Parce qu’une chose est d’aller chercher du financement mais si ce financement-là ne sert à rien, ce n’est pas la peine. Est-ce qu’aujourd’hui par exemple, si je prends le Bénin, est-ce qu’il y a des compétences pour porter des projets dans la croissance verte ? C’est ça la question. Donc il faut y travailler, c’est une équation à plusieurs inconnues et c’est grâce à la cartographie qu’on pourrait imaginer quelles sont les priorités parce que quand vous êtes une institution, vous devriez rendre compte, il y a des préoccupations de rentabilité et parfois des priorités. Si on se rend compte que vous devez des fonds et qu’il n’y a pas d’absorption, vous allez vous retrouver seul. Ce n’est que grâce à la cartographie qu’on peut faire ça. Ce que je sais, c’est qu’il y a une opportunité-là qu’il faut saisir, les fonds verts.
‘’Aujourd’hui, l’Afrique est sous-financée pas surendettée’’. Aviez-vous indiqué lors d’une présentation au 1er Forum de L’économiste du Bénin en septembre 2022 à Cotonou. Que comprendre ?
Je peux comprendre quand vous faites des comparaisons à l’échelle mondiale. La question de l’endettement est une question assez complexe qu’il faut analyser sous plusieurs angles. Je pense qu’on connaît le rôle de l’Etat. Le rôle de l’Etat, c’est de faciliter un cadre approprié d’investissement des entreprises et de faire en sorte que la richesse créée puisse aller à l’endroit des populations de manière équitable. A partir de ce moment-là, je peux comprendre d’un point de vue macro qu’on puisse dire que les économies africaines sont peut-être sous-financées et que l’endettement comparé au niveau que nous connaissons en Europe, c’est un endettement relatif. Mais, prenons garde, l’analyse pourrait être assez pertinente si on intègre l’angle micro, c’est-à-dire quand on touche le consommateur, les besoins des populations. Je pense que s’il y a un rôle que vous les journalistes vous devriez jouer, surtout les journalistes d’investigation en matière d’informations économiques et financières, c’est de travailler à comprendre les mécanismes de financement et comment l’articulation peut être faite entre les enjeux macro et micro. Voilà un peu, moi, ma position sur ces questions d’endettement et de sous-financement.
Oui vous évoquiez à l’instant la critique des acteurs sur le pôle durable que la croissance doit permettre de booster dans nos pays : les banques, les institutions et puis les ménages dans l’autre bout du triangle. Mais souvent, les populations ne voient pas leur implication effective dans ce mécanisme dont vous parlez. Sur quel axe doit-on mettre plus l’accent aujourd’hui dans le cycle, selon vous ?
Je pense que les rôles sont clairement définis dans cet outil dont vous parlez. Les ménages, leurs préoccupations, en tout cas dans nos pays qui sont à des niveaux de développement relatif, c’est d’arriver à leur quotidien. Les préoccupations de nos ménages, c’est des préoccupations de santé, d’éducation parce qu’on parle de la scolarisation, c’est des préoccupations également de sécurité. Donc à partir de ce moment-là, le rôle de l’Etat, c’est de faire en sorte pour répondre aux besoins des populations. Maintenant il y a des choix de politiques qui sont parfois des choix à court terme, à moyen et à long termes. Dans les États, lorsqu’un gouvernement est là, ils ont souvent un mandat de cinq (05) ans, dix (10) ans au maximum en fonction de la législation, de la constitution des pays. De ce point de vue, ils sont entre la gestion de la durée et l’efficacité de l’action gouvernementale. Il y a des choix de politiques et c’est là où je suis totalement d’accord avec monsieur Lionel Zinsou au 1er Forum de L’économiste du Bénin. Il faut une constance dans la gouvernance et la gestion publique pour que les bases que nous mettons en place ne soient pas ébranlées. Parce que quand je veux construire des infrastructures généralement, je veux lever des ressources sur 10, 15 ans. Donc si c’est sur 10, 15 ans la probabilité pour que je sois comptable de mes actions est très faible, j’ai déjà quitté, si vous voulez, le pouvoir. Donc de ce point de vue, il faut garantir une gouvernance constante, efficace pour que demain les investissements que nous faisons aient véritablement un impact sur le quotidien des populations. Les Banques vous avez bien soulevé ce sujet… Mais on a vu les réponses de la Banque Centrale et puis également les Banques sous la présidence de l’APBEF Bénin. Les banques ont un rôle à jouer. Mais il n’y a pas que les banques, il y a aussi les structures de microfinance. Elles ont toutes un rôle à jouer. Je pense personnellement que nous devons encourager les journalistes à continuer à travailler sur la maîtrise de l’information, de l’information juste, neutre afin de faire en sorte qu’on ait des journalistes spécialisés dans ces questions afin de comprendre les enjeux et pouvoir faire la part des choses et challenger les hommes politiques. Il faut aussi que les hommes politiques acceptent la contradiction. C’est comme ça on peut construire un pays de sorte à apporter des réponses aux besoins des populations. Vous avez vu l’inflation dont on parlait, ça touche vraiment le pouvoir d’achat des ménages. Mais comment apporte-t-on une réponse dans le contexte de crise majeure dont nous ne sommes pas comptables ? Aujourd’hui la crise en Ukraine, ce n’est pas l’Afrique. La crise sécuritaire, nous n’en sommes pas à l’origine. On vivait bien il y a quelques années dans nos pays mais subitement, nous sommes obligés de gérer ces situations-là. Et je l’ai souvent dit, les journalistes vous avez un pouvoir en main.
Justement, aujourd’hui, comment inverser la précarité financière de nos ménages pour pouvoir apporter plus dans l’envol économique et le développement de nos États ?
Il faut faire un vrai diagnostic, il faut que les journalistes puissent travailler. Il y a des sujets sur lesquels vous pourriez travailler et dont les décideurs sont consommateurs. Après, c’est à vous de dire, voilà la valeur de ces sujets-là. Et pour ça, je pense qu’il faut féliciter le Directeur général du journal L’économiste et toutes les équipes parce que je sais que derrière lui il y a plein de collaborateurs. Il faut les féliciter. Aujourd’hui, ils ont fait 10 ans. Ils ont essayé de légitimer leur approche, leur modèle. Maintenant, les 10 prochaines années ce qu’on attend d’eux, c’est faire en sorte pour aller piocher l’information des deux côtés parce que vous voyez ce qui se passe. Vous avez écouté le premier ministre Lionel Zinsou, dans son analyse, sous l’angle macro. Donc, il fait des comparatifs avec des chiffres etc. Mais la réalité, le quotidien des ménages, comment on le reflète dans la dimension macro. Et moi, c’est ce qui m’intéresse parce que c’est aussi le rôle d’un décideur, parce qu’après, il faut que les gens soient aussi contents. Et ça pour le faire, il faut que les journalistes aident à remonter les préoccupations et c’est comme ça que ça peut être intégré dans les politiques publiques. Et pour inverser, il n’y a pas de miracle. Il faut bien diagnostiquer, comprendre les besoins, les classifier et voir comment on peut apporter des réponses pour la quiétude. C’est comme, quand vous gérez une entreprise, vous allez voir tout le monde ne peut pas être content parce qu’il y a des disparités au niveau des salaires. Les gens ne sont pas recrutés à la même enseigne. Mais vous êtes obligés de faire ce qu’on appelle la discrimination positive parce que certainement vous avez mis en place des indicateurs. C’est la même chose quand vous gérez un État. Il y a des priorités sur lesquelles nous sommes aujourd’hui fondamentalement tous d’accord : la santé, la sécurité, l’éducation. On ne peut pas construire nos États si on ne travaille pas sur ces questions-là. Mais l’éducation, ce n’est pas une éducation calquée. C’est une éducation qui répond à un besoin de développement. Il faut faire participer, me semble-t-il, les populations à un effort de développement et derrière, la richesse qui sera produite doit être redistribuée de sorte que les gens puissent se retrouver. C’est comme ça qu’on peut contenir éventuellement des contestations. C’est comme cela, moi, je vois les choses.
L’Afrique, aujourd’hui, apparaît comme l’ultime solution aux différents problèmes qui se posent à la planète. Dites-nous, à travers les différentes Cop, qu’est-ce-que l’Afrique, notre continent, peut tirer ?
Ce qui est un peu dommage, on attend toujours que les concepts viennent de nos partenaires pour s’en approprier alors que nous avons un vécu, nous connaissons notre environnement et nos préoccupations. Ceci étant, on est dans un monde interconnecté et il faut s’en réjouir. Mais comme je le dis souvent, moi je veux bien que ces concepts-là puissent être pris en compte dans les politiques publiques, etc. Cependant, il faut toujours mesurer quel pourrait être l’impact positif déjà pour l’Etat d’un point de vue macro. Mais quel est l’impact sur les entreprises, les agents économiques de manière générale et sur le ménage. Les enjeux d’investissement, il faut de la maîtrise. Est-ce qu’aujourd’hui, nous avons des lycées, des collèges qui maîtrisent les questions agricoles ? Et si oui, est-ce qu’on a revu le programme pour l’adapter aux besoins. Vous voyez qu’il y a des ressources qui sont là et qu’on peut capter, mais est-ce que les gens sont formés aujourd’hui pour porter des projets ? C’est là que je pense que les politiques doivent s’adapter à ces notions-là pour en profiter. Et ça il faut aller très vite. On ne peut pas attendre des années pour faire ça. Je pense qu’aujourd’hui, l’Afrique a un rôle important à jouer mais encore il faut mettre l’accent sur le capital humain, la formation, la bonne formation et adaptée. Il faut faire en sorte de faire de vrais diagnostics et regarder comment on peut apporter une réponse. Moi je suis un afro optimiste parce que nous avons une chance, c’est la jeunesse et cette jeunesse-là, il faut l’accompagner, la stimuler, l’encourager parce que ce n’est pas évident. Mais c’est ce travail-là que nous devons faire et c’est comme ça que demain nous aurons des champions à l’échelle africaine. On l’aura dans tous les domaines et le Nigéria a réussi. Dangoté c’est un champion. Il faut qu’on arrive à cela. Il faut qu’on arrive à une diversification des compétences, à une diversification des champions pour que demain nous puissions apporter des compétences. Tout le monde ne peut pas être champion, des PDG. Mais en tout état de cause, il faut des leaders qui drainent les autres et vous les journalistes, vous devez faire en sorte pour présenter une Afrique qui gagne, qui a envie d’aller de l’avant, une Afrique qui a des solutions, une Afrique qui apporte des solutions à ses problèmes, pas que des solutions qu’on vient calquer. Mais cela pour le faire, on a besoin de tous les acteurs y compris les journalistes. Ça ne va pas être facile mais il faut y croire et je pense qu’on va y arriver.
Réalisation : Bidossessi WANOU
Transcription : Maribelle EK