Au lendemain de la première guerre mondiale, l’Afrique a exprimé l’envie de se doter d’une compagnie de transports aériens d’une marque identitaire : Air Afrique. C’est en effet, le nom donné à plusieurs compagnies aériennes africaines. Air Afrique a d’abord été le nom d’une compagnie fondée en 1926 et qui a pris en 1928 le nom de Transafricaine avant de revenir à l’appellation de départ. La plus récente compagnie d’Air Afrique a disparu en 2002.
Falco VIGNON
A l’initiative de l’État français est créée le 11 mai 1934 la Régie Air Afrique, dont l’objectif est de rationaliser l’exploitation des lignes aériennes des colonies françaises d’Afrique. Son exploitation débute le 7 septembre 1934 avec l’inauguration d’une ligne postale entre Alger et Niamey. Cette ligne est rapidement prolongée et ouverte aux passagers congolais le 27 avril 1935. Elle absorbe progressivement les lignes aériennes Nord-africaines (LANA) créées en 1934, la Transafricaine de 1928 et le 1er janvier 1937 la Régie Malgache est créée. La plus récente Air Afrique est constituée le 28 mars 1961 par un accord liant onze Etats africains francophones. Cet accord résulte du constat qu’aucun de ces pays n’avait les moyens financiers de se doter seul d’une compagnie aérienne nationale, mais aussi de la volonté de créer une grande compagnie africaine. Détenant chacun 6,54 % du capital, les onze pays fondateurs sont : le Cameroun ; la République Centrafricaine ; le Congo-Brazzaville ; la Côte d’Ivoire ; le Dahomey (Bénin); le Gabon ; la Haute-Volta (Burkina Faso); la Mauritanie ; le Niger ; le Sénégal ; le Tchad. La Sodetraf (UTA majoritaire et Air France) détient 33 % du capital et un tiers dispose du solde. Le siège de la compagnie est symboliquement installé à Abidjan et le premier directeur général (1961-1973) en est le Sénégalais Cheikh Boubacar Fall (décédé en 2006). Les premiers vols ont lieu le 15 octobre 1961 avec un Super Constellation loué par Air France. La répartition du capital va varier au fil du temps des changements de partenaires. Le Togo a rejoint le groupe le 1er janvier 1968, entrant dans le capital à hauteur de 6 % par prélèvement sur les parts détenues par Sodetraf, le Cameroun s’en retire en septembre 1971 pour créer Cameroon Airlines, suivi par le Gabon en 1976. Le réseau Air Afrique s’étoffe rapidement pour desservir vingt-deux pays africains, l’Europe (Bordeaux, Lyon, Marseille, Nice, Paris, Genève, Zurich, Rome, Las Palmas) et New York City. A la fin des années 1970 la flotte compte trois McDonnell Douglas DC-10-30, sept Douglas DC-8, un cargo DC-8-63F et trois Caravelle. Au début des années 1980 est lancé un programme de modernisation de la flotte avec en particulier l’introduction des premiers Airbus A300. En 2002 elle possède entre autres des Airbus A310, A300, A330 et des DC-10.
Des chocs exogènes et scandales périclitent Air Afrique
Air Afrique est durement touchée par les chocs pétroliers et ses derniers directeurs généraux ne parviennent pas à rétablir l’équilibre financier et sont contraints de suspendre ses opérations en novembre 2001. Déclarée en faillite le 7 février 2002 après une lente agonie, elle est mise en liquidation le 27 avril 2002. La liquidation de la défunte compagnie Air Afrique est en passe de devenir le plus gros et long scandale financier du continent. Vingt-ans (20) après cette liquidation, les ex-travailleurs sénégalais courent toujours derrière leurs indemnités estimées à 10 milliards de francs CFA contrairement à leurs anciens collègues Ivoiriens, Burkinabés, Nigériens, Mauritaniens, Maliens etc. qui, eux, ont perçu leurs droits depuis longtemps ! Et pourtant, au moment de sa disparition, Air Afrique avait au Sénégal des actifs de 47 milliards FCFA (Fonds, villas, terrains, agences, avions, hangars etc.) pillés par les autorités et dignitaires de l’ancien régime du Président Abdoulaye Wade. Sans oublier les liquidateurs et, surtout, les autres sociétés et compagnies aériennes (Air Sénégal International, Air Sénégal, Ahs, Shs) frauduleusement créées sur les « débris » voire les actifs d’Air Afrique. Face à ce pillage sans nom, le collectif des ex-employés d’Air Afrique compte engager une ultime bataille de l’air contre les liquidateurs devant les juridictions internationales. La liquidation de la défunte compagnie multinationale Air Afrique est un vrai scandale d’Etat. Dès l’annonce de sa liquidation en août 2002 lors de la conférence de Brazzaville, le Tribunal de commerce d’Abidjan avait désigné un liquidateur judiciaire étranger voire neutre ayant pour mission de recenser tous les logements de fonction (villas), les biens immobiliers, les titres fonciers, les avions, les pièces détachées, les hangars, les dettes, les créances et les fonds afin de faire l’inventaire en vue d’indemniser les 4.000 agents et cadres de l’ex-compagnie panafricaine. Des employés toutes nationalités confondues puisqu’on trouvait parmi eux aussi bien des Béninois, des Burkinabés, des Congolais, des Centrafricains que des Ivoiriens, des Maliens, des Mauritaniens, des Nigériens, des Sénégalais, des Tchadiens et des Togolais. Ce, en accord avec tous les chefs d’Etats des pays. Au Sénégal, le président de la République d’alors, Me Abdoulaye Wade, s’était démarqué de cet accord commun du Tribunal d’Abidjan en ces termes : « Non, je suis le siège (Ndlr : Dakar mais en réalité le siège de la compagnie se trouvait à Abidjan) ! Je vais créer ma propre liquidation pour désintéresser les employés sénégalais dont je suis le président… Et aucun Etat africain ne le fera à la place du Sénégal… », avait-il fermement fait entendre. Ce jour-là, personne n’aurait imaginé qu’en se démarquant de ses pairs, Me Abdoulaye Wade et son ministre des Transports aériens aiguisaient en réalité leurs appétits sur l’actif du bureau d’Air Afrique à Dakar estimé à près de 47 milliards CFA. La compagnie disposait aussi d’un riche et vaste patrimoine financier, matériel et foncier comportant deux avions Airbus A300 cloués au sol, un parc de matériels de piste pour l’Assistance en escale (Handling), des pièces de rechange Avions et Servitudes, divers équipements aéronautiques ainsi que dix villas dans le quartier chic du Point E, un immeuble à la Place de l’Indépendance (racheté par une banque), un Centre de formation aéronautique (Cefopad), un terrain de 9 hectares dans la zone aéroportuaire de Yoff, des liquidités bancaires, des réserves foncières etc..
D’Abdoulaye Wade à Macky Sall, le Sénégal au banc des accusés
Vingt ans (20) après la disparition d’Air Afrique, sur les 850 employés sénégalais, seuls 500 agents aux petits et moyens salaires ont été définitivement indemnisés par l’Etat du Sénégal. Entre temps, près de 150 ayants droits sont décédés. Et aujourd’hui encore, 250 ex-employés sénégalais d’Air Afrique dont la plupart sont des directeurs, des pilotes, des cadres, des chefs d’escale et des chefs de département peinent toujours à se faire indemniser. Ce, contrairement à leurs anciens collègues Béninois, Burkinabés, Congolais, Centrafricains, Ivoiriens, Maliens, Mauritaniens, Nigériens, Tchadiens et Togolais qui ont été tous payés par leurs Etats respectifs. Pire, le syndic crée par l’ancien régime de Me Wade a vu se succéder trois liquidateurs pour fortunes diverses et qui n’ont jamais fait la reddition des comptes après 20 ans de fonctionnement. Il est vrai qu’en 2005, l’Etat avait fait voter une loi mettant en place un fonds social alimenté par une redevance dont le taux était fixé à 2 % puis 4 % du chiffre d’affaires de toutes les sociétés d’assistance aéroportuaire. La mise en place de ce fonds avait pour objectif de contribuer au désintéressement des travailleurs sénégalais de l’ex-Air Afrique. Depuis lors, c’est le statu quo. Et pourtant, nous renseigne-t-on, le fonds social continuait à être alimenté par lesdites sociétés. C’est en particulier ce qui aurait permis à l’ancien régime de créer une nouvelle compagnie dénommée Air Sénégal International en partenariat avec le Maroc. Durant cette période, rien que le « Handling » générait, chaque année, des bénéfices estimés à près de 15 milliards cfa. Une manne financière qui devait être mise à la disposition du Trésor public pour contribuer au règlement définitif des droits légaux des ex-salariés restant à indemniser. Malheureusement, les fonds se sont volatilisés entre les mains des autorités étatiques de l’ancien président Me Wade. Sans oublier la gestion nébuleuse des fonds et biens d’Air Afrique de la part des liquidateurs judiciaires. Lesquels se sont enrichis avec des honoraires exagérés et autres micmacs fonciers comme des vautours sur les débris de la défunte Air Afrique. Telles sont les accusations portées par les responsables du collectif des ex-employés qui ont décidé finalement d’ester devant les juridictions internationales contre tous les liquidateurs sénégalais d’Air Afrique et l’Etat du Sénégal. De même que les sociétés et compagnies aériennes frauduleusement crées sur les « carcasses » de la multinationale africaine. Encore une fois, les autres Etats de la défunte multinationale avaient, eux, utilisé en priorité les ressources financières générées par les « Handling » pour payer l’intégralité des droits légaux de leurs nationaux.
Une fausse alerte d’Etat à bord !
Dès son accession à la magistrature suprême en 2012, le président Macky Sall avait manifesté sa volonté de régler définitivement le dossier d’Air Afrique. Autrement dit, d’indemniser les 250 ex-salariés à qui l’Etat du Sénégal reste devoir un montant global de 10 milliards FCFA environ. D’ailleurs, en 2016, le président Sall avait ordonné la création d’une commission pour la mise en place des modalités de paiement de toutes les sociétés en liquidation dont faisait partie Air Afrique. A l’issue de ces travaux dirigés par l’ancien ministre Oumar Youm, un rapport avait été soumis au Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne pour la liquidation des droits de tous les ex-travailleurs d’Air Afrique en utilisant l’argent généré par le fonds social en priorité. Ainsi une réunion avec le Premier Ministre a eu lieu en mars 2017. Et à l’issue de cette réunion tenue sur demande de l’ex chef du Gouvernement, une rencontre de consolidation des montants s’était tenue sous la supervision du ministre du Travail. Des travaux qui avaient abouti à la rédaction d’un document final signé le 23 mars 2017 par le Syndic principal chargé de la liquidation, la Comptabilité de l’Anacim, gestionnaire du Fonds Social, et les Représentants du personnel. Ce document complet de référence avait été transmis au Premier ministre par les soins du ministre du Travail de l’époque. Connu pour ses déclarations euphoriques, le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne avait confié aux responsables du collectif que le président de la République Macky Sall lui avait donné des instructions fermes pour liquider les droits de tous les ex-travailleurs Air Afrique. Ce, en utilisant en priorité l’argent généré par le fonds social. Pour prouver sa bonne foi, Boun Abdallah Dionne avait assuré ses interlocuteurs de l’imminence du règlement définitif de la question. Hélas ! A leur grand regret, quatre ans après, rien n’a été fait ! Pire, les ex-employés d’Air Afrique n’ont aujourd’hui plus aucune nouvelle de ce dossier. Une triste situation qui atteste le double crash d’Air Afrique dont les ex-employés sénégalais enfin, ceux d’entre eux qui sont toujours en vie souffrent toujours coincés sous les décombres de leur défunte compagnie…