La croissance en Afrique subsaharienne, bien que marquée par un ralentissement en 2022, la Banque mondiale reste optimiste sur la situation des années à venir. Le dernier Africa’s Pulse de l’institution prévoit une croissance estimée à 3,9 % en 2023 et à 4,2 % en 2024. Mais nombreux sont les risques qui pèsent sur ces perspectives.
Félicienne HOUESSOU
Les perspectives de croissance varient considérablement d’une économie à l’autre en Afrique subsaharienne. En zone UEMOA, la croissance sera de 6,3 % en moyenne au cours des trois prochaines années. Mais le contexte actuel laisse voir de nouveaux défis de croissance économique, aggravés par l’invasion russe de l’Ukraine. Parmi les risques externes, le rapport met l’accent sur la stagflation grandissante qui pèse sur l’économie mondiale et les défis que cela pose pour la politique monétaire, un cycle de resserrement de la politique monétaire plus agressif que prévu dans les économies avancées, la résurgence d’un variant plus contagieux et plus virulent du coronavirus et des troubles civils dans plusieurs parties du continent dus aux prix élevés du combustible et de l’alimentation entraînés par la guerre en Ukraine, et la politique de tolérance zéro pour la COVID-19 appliquée en Chine. Les risques intérieurs potentiels comprennent une cascade de défauts de la part des États et des entreprises en raison d’un endettement insoutenable, la détérioration de la sécurité dans la région du Sahel et ailleurs, ainsi que des conditions météorologiques extrêmes. « Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a exacerbé le profil de l’inflation dans de nombreux pays… Des pays sont confrontés à un dilemme : soit lutter contre l’inflation avec le risque d’induire une récession, soit appuyer l’activité économique avec le risque d’une haute inflation. Dans ce cas, les politiques monétaires devront être bien équipées pour maîtriser une inflation entraînée par des facteurs de pression sur les coûts », explique le rapport. Un resserrement plus agressif des politiques monétaires pourrait générer des incertitudes similaires à celles observées lors du «taper tantrum » de 2013.
Les niveaux d’endettement sont élevés en Afrique subsaharienne et des pays de la région sont en situation de surendettement élevé ou modéré. Aussi, un resserrement agressif des conditions financières déclencherait des ruées vers les placements sûrs, qui pourraient ensuite peser sur les monnaies nationales, entraînant des dépréciations massives, et plus probablement des crises financières. La résurgence d’un autre variant de la COVID-19, très contagieux comme le variant Omicron et plus virulent comme le variant Delta, accentuerait la pression sur la région. A cet effet, les experts de la Banque mondiale estiment que les pays sont aujourd’hui trop fragiles économiquement, par rapport à l’époque pré-pandémique, pour recourir à des mesures plus restrictives, semblables à celles appliquées lors de la première vague. Un tel choc serait d’autant plus grave qu’il se produirait en même temps que le choc actuel des cours des matières premières. Des mesures telles qu’un confinement total seraient difficiles à mettre en œuvre, car elles entraîneraient une nouvelle récession, pire que celle de 2020 en raison du manque de marge de manœuvre budgétaire et des effets combinés. Par conséquent, de nombreuses personnes vulnérables seraient abandonnées à leur sort, ce qui pourrait entraîner des troubles sociaux dans de nombreuses parties de la région. Bien que la guerre en Ukraine ne devrait avoir que des effets limités sur la production de la région, ces effets indirects sur une inflation des prix énergétiques et alimentaires pourraient détériorer des conflits sociaux. Les retombées directes se feront sentir au travers des liaisons commerciales et financières, et les retombées indirectes, par l’intermédiaire des prix des matières premières.
Les risques intérieurs
Le niveau élevé de la dette publique en Afrique subsaharienne soulève des inquiétudes quant à sa viabilité, car de nombreux pays risquent de ne plus avoir accès aux marchés financiers internationaux. Les pays mettent en œuvre des mesures d’austérité pour éviter que la dette n’augmente davantage. Cependant, dans de nombreux pays, ces mesures ne bénéficient pas d’un soutien politique compte tenu de la pression exercée par le grand public. Face au creusement des écarts de rendement des obligations souveraines et des entreprises, le coût du service de la dette devrait augmenter. Cette situation pourrait à son tour entraîner une série de défauts de paiement. La Banque mondiale affirme que le commerce régional est déjà gravement menacé. Selon Albert Zeufack, économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique, alors que les pays africains sont confrontés à une incertitude persistante, à des ruptures d’approvisionnement et à la flambée des prix des denrées alimentaires et des engrais, la politique commerciale peut potentiellement jouer un rôle clé en garantissant la libre circulation des denrées alimentaires à travers les frontières dans toute la région. De même, la persistance des conflits dans certaines zones de l’AOA pourrait entraîner davantage d’instabilité et menacer l’Accord de libre-échange continental africain. Des conditions météorologiques défavorables pourraient compromettre les perspectives de la sous-région de l’AOA. Des conditions météorologiques extrêmes provoquent des perturbations dans la Corne de l’Afrique, engendrant une forte volatilité des rendements des cultures et du bétail. L’incidence récurrente de l’insécurité alimentaire en Éthiopie, à Madagascar et en Zambie est en partie due à des facteurs météorologiques. Ceux-ci accroissent la pression sur des approvisionnements alimentaires déjà limités dans le contexte de la guerre en Ukraine et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement. De même, des conditions météorologiques défavorables pourraient affecter l’approvisionnement en cacao provenant de Côte d’Ivoire et du Ghana, les deux plus grands producteurs mondiaux. Dans un espace budgétaire limité, Albert Zeufack exhorte les décideurs à rechercher des solutions innovantes telles que la réduction ou la suppression temporaire des droits d’importation sur les aliments de base pour soulager leurs citoyens.