- Les créances sur les entreprises ne sont pas des dettes…
- Avec la digitalisation des services, la fraude diminue
L’ancien Directeur général de la Caisse Autonome d’Amortissement, Gilles Guérarda entretenu les journalistes du quotidien L’économiste sur deux sujets qui préoccupent beaucoup de citoyens. Il s’agit de la pression fiscale et de la dette publique. En donnant son point de vue des deux notions, il a exposé la situation au Bénin et dans d’autres pays de l’Uemoa et dans le monde. Découvrez ici l’intégralité des échanges.
L’économiste : Qu’est-ce que la pression fiscale ?
Gilles Guérard : La pression fiscale est d’abord un déterminant de l’endettement. Il ne faut pas confondre la pression fiscale et le taux d’imposition moyen que les gens appellent aussi pression fiscale. La pression fiscale,est un amplificateur mais sans contrepartie directe auprès des ménages, des entreprises à l’intérieur et qui part des droits de douane. On peut ajouter aussi les cotisations sociales, ça dépend de ce qu’on veut établir. Donc en général, c’est les recettes fiscales divisées par le PIB. Le PIB, c’est la création de valeurs, des recettes générées à l’intérieur du Pays. Donc, ça nous donne un taux qui permet de comparer les économies ou l’évolution des économies des différents pays, notre performance économique, de pouvoir établir des politiques de développement. La pression fiscale n’était pas un élément préoccupant,il y a 10 à 15 ans, des Etats africainset même des partenaires techniques et des institutions financières pour amorcer le développement. Alors, pendant longtemps, depuis les années 60-70, les partenaires au développement se sont focalisés sur les niveaux d’entreprise, le transfert de fonds, l’aide publique au développement, ily a les transferts de la diaspora pour financer l’économie. Mais on a vu que ça, çaa atteint ses limites. Et surtout au niveau mondial, les exigences devenaient de plus en plus importantes. Et donc tout le monde a commencé à s’intéresser à la pression fiscale. Comment les Etats peuvent générer des ressources à l’internepour pouvoir amorcer leur propre développement ? Donc, ce qu’il faut d’abord retenir c’est que la pression fiscale est liée au niveau de développement et au niveau de revenu des populations. Il y a une corrélation positive entre la pression fiscale et le revenu par habitant : plus le revenu par habitant augmente, plus la pression fiscale augmente ; plus le revenu par habitant augmente, plus la populationa des exigences en matière de services publics et les exigences deviennent de plus en plus fortes pour pouvoir financer ces services publics demandés. Les Etats sont donc amenés à identifier les voies et moyens pour pouvoir augmenter la collecte des ressources internes et donc à définir un angle politique par rapport à cela. Et cela devient intéressant ; parce qu’amenés à regarder plus leurs politiques internes de collecte de ressources internes que d’aller rechercher des ressources externes auprès des partenaires sous forme d’aides publiques au développement ou de la diaspora. Comme vous devez faire une politique de développement pour financer vos besoins, qu’est-ce qui influe ? Vous auriez pu le constater, pendant longtemps les recettes douanières ont été supérieures aux recettes fiscales. Même au Bénin, entre 1960 et 2016, les recettes douanières ont été supérieures aux recettes internes. Ce n’est qu’en 2017 et 2018 qu’il y a eu cette inversion et où les recettes fiscales sont devenues plus importantes. La recette fiscale est influencée par quatre facteurs :L’ouverture de l’économie, les secteurs, le niveau d’Urbanisation ou l’informel et la transparence. La première chose, avec l’ouverture de l’économie, on va faire des barrières tarifaires pour lesrecettes douanières. Ce qui fait que les Etatsdevraient chercher d’autres ressources pour pouvoir baisser les recettes douanières. Pour pouvoir les compenser,et baisser les recettes douanières, les Etats ont dû commencer par une mobilisation accrue des recettes intérieures. C’est ce qui a fait qu’on a commencé par s’intéresser à la pression fiscale. La deuxième chose, l’assiette fiscale est très réduite parce que nous sommes dans des économies où le secteur agricole est très important et le secteur informel est très important. Dans les pays où le secteur agricole est élevé, forcément vous avez des recettes internes plus faibles, des trésors qui ne sont pas taxés ni directement ou indirectement or le secteur agricole représente 30 à 40% du PIB.Ce qui est faible, il y a toute une partie de l’économie qui échappe à la collecte des impôts. Nous avons des densités très faibles au niveau des populations. Comme les populations sont éparpillées sur toute l’étendue du territoire, il est difficile d’aller collecter des impôts parce qu’il faut avoir les structures et autres pour le faire. L’urbanisation peut entraîner une augmentation des recettes mais l’Urbanisation peut entraîner aussi l’informel. Dans les activités informelles, si nous consommons plus, nous payons plus d’impôts. Le quatrième pointconcerne la transparence et l’acceptation de l’autre. Si un pays a des politiques budgétaires transparentes, il remonte contre la corruption et atteint l’efficacité administrative dans la collecte des impôts, et quand cette collecte des impôts augmente, elle est d’autant plus acceptée parla population quand il y a un impact social sur leur environnement. Si le gouvernement a une politique efficace d’enregistrement publique de services publics, de santé, d’école, etc. il nous faut accepter identifier pour collecter dans le secteur primaire, le secteur secondaire et on peut facilement leur imposer, la transparence budgétaire. Donc ce sont les déterminants de la pression fiscale ; la performance de la pression fiscale.
Quel est le taux de la pression fiscale acceptable ?
Dans les pays industrialisés où l’administration est beaucoup plus efficace dans la collecte des impôts, la pression fiscale est autour de 30% à 50% à peu près. La France est à un taux de 48%. Vous avez certains pays, les Etats Unis sont à 27% et l’Allemagne à 38%. Leur économie est capable de cerner l’assiette fiscale, identifier le revenu des personnes imposables, avoir une matière qui puisse collecter. En Afrique subsaharienne, le taux est autour de 20% contrairement aux pays occidentaux. La moyenne, c’est l’objectif idéal par rapport à la structure de nos économies.
Est-ce qu’il y a eu une norme ou un seuil de pression fiscale?
La norme, c’est de prendre le taux moyendes pays à économie similaire par lesquels vous êtes entourés.Donc l’Uemoa par exemple a une norme, un objectif de 19% qui est un objectif que les pays de l’Uemoa doivent atteindre. Certains sont au-delà et d’autres sont en deçà. La norme, c’est le taux moyen pour que tous les pays avancent de la même manière. Beaucoup de pays sont endeçà de cet objectif. Puisque vous avez l’objectif, vous évaluez les déterminants et mettez en place les politiques pour atteindre cet objectif. C’est possible avec la rigueur de travail. C’est le Sénégal qui doit être à 21%. Le Burkina 14%, le Togo était entre 18% et 19%. Si j’avais un PIBqui n’a pas suivi de rebasage depuis 15 ans, il y a un déphasage du PIB. C’est ce qui s’est passé au Bénin et quand on a fait le rebasage, qu’on appelle rebasage du PIB. Cela a permis de faire un bond de PIB Important mais du coup la pression fiscale chute, parce que la pression fiscale, c’est la réalité de la collecte. Donc le PIB, on part dans les pays puis on évalue la croissance économique de chaque année mais à un moment, il faut faire un recensement global de l’économie pour savoir qu’est-ce qui manque et la part de chacun. Au Bénin, on était à 14%, on est retombé à 8%.
Avec tout ce qu’on paye là ?
Je voudrais que les gens ne confondent pas la pression fiscale avec le taux d’imposition moyen qui est élevé au Bénin, on est à 56%. Donc on est très élevé. C’est le taux d’imposition moyen des entreprises. Donc ça prend les différents impôts auxquels sont assujetties les entreprises. La pression fiscale, c’est la collecte des ressources par rapport au PIB. Et cette pression fiscale, c’est une donnée macroéconomique qui est déterminée par les quatre éléments. Donc, il faut avoir des politiques qui travaillent sur ces quatre éléments.
Qu’est-ce le taux d’ouverture commerciale ?
Le taux d’ouverture commerciale est un élément important. Plus vous êtes ouvert, votre douane doit baisser et trouver les éléments pour compenser. Dans les pays où les secteurs informel et agricole sont importants, vous avez très peu de recettes fiscales. Donc, on se focalise sur les secteurs industriels. Il y a des pays qui ont des revenus pétroliers et miniers très importants. Ces pays négligent la collecte des impôts intérieurs. Vous verrez que dans ces pays les gens ne payent pas les impôts. Le taux de pression fiscale est faible. Le taux est à 5% au Nigéria. Les gens ne payent pas les impôtset la TVA au Nigéria. Ils sont très dépendants des revenus pétroliers. Maintenant il faut pouvoir mesurer les efforts que l’Etat fait pour pouvoir améliorer sa pression fiscale. Le premier effort, c’est d’identifier les secteurs imposables et d’élargir l’assiette parce qu’on ne peut pas rester concentré sur un nombre restreint d’entreprises et les personnes qui paient les impôts. Pour élargir l’assiette, il faut diminuer l’informel. Pour cela, il faut tracer les activités. Ensuite, il y a la Tva qui n’était pas très importante 10 ans en arrière mais qui devient une ressource importante dans les Etats. Vous verrez qu’au Bénin, depuis 3 ans qu’on travaille sur la TVA, les recettes de TVA ont une croissance exponentielle parce que avec la digitalisation et les terminaux des factures normalisées, la fraude diminue totalement parce que plus personne ne peut y échapper. Donc la recette était là mais allait dans la poche des acteurs. Donc, rien qu’en luttant contre la fraude et la corruption, vous augmentez votre pression fiscale. Ainsi, vous vous donnez les moyens de vous auto financé et de devenir indépendant de l’aide extérieure. Il faut mieux pouvoir compter sur vos propres forces. Cette pression fiscale a un incident direct sur le taux d’endettement. Parce que quand on parle de taux d’endettement, on voit la capacité à s’endetter qui à son tour dépend de la capacité à rembourser. C’est la pression fiscale qui détermine votre capacité à rembourser votre dette. Si vous faites monter votre PIB et vous ne faites pas monter votre collecte de ressources interne, le taux de pression fiscale se dégrade. C’est pour ça qu’il devient urgent et déterminant d’augmenter les recettes internes. Toutes les études montrent une coloration positive entre le revenu par habitant et la pression fiscale. Plus le revenu par habitant augmente, plus les exigences de ces populations augmentent, plus la pression fiscale augmente, donc plus l’Etat doit investir dans les services publics. En matière de taux d’endettement, le Bénin est autour de 48%. Or le taux au niveau de l’Uemoa est de 70%. Si on considère tous les déterminants de la dette, on peut dire que le Bénin a une capacité jusqu’à 60%. Mais si on atteint ce seuil, ça sera tendu au niveau de la gestion de la trésorerie, notamment pour faire face au paiement des salaires, à l’investissement public… Mais quand vous êtes à 30 ou 35%, le pays peut facilement faire face à ses échéances sans aucune difficulté. Donc il faut rester en deçà des 50%. Le Bénin, ces dernières années, a changé la structure de sa dette. Les dettes sont réparties entre dettes externes et dettes internes. La dette interne, c’est des dettes en monnaie locale, la dette en CFA. Les créances sur les entreprises ne sont pas des dettes, c’est plutôt un engagement qui doit être payé en 3 mois ou 6 mois. Quand ça dépasse 6 mois, ça devient un impayé. La dette c’est le fait d’aller souscrire un emprunt auprès d’un tiers (auprès des banques, auprès des marchés) sur une durée définie avec des conditions. La dette est un acte positif.Les dettes auprès de la BAD, BOAD, Banque mondiale etc, ce sont des dettes extérieures à la zone Uemoa. Là où le Bénin a commencé depuis 2 ans, 3ans, c’est les émissions obligataires. Ce qu’on n’avait pas avant, ce sont les emprunts sur le marché international de l’eurobond qui commencent par représenter une partie importante de nos engagements.
Pour la dette intérieure, nous sommes à 1500 milliards, la dette extérieure bilatérale, multilatérale, commerciale, eurobond, nous sommes à peu près à 3250 milliards. Le total de la dette fait 4849 milliards avec un taux d’endettement de 49,3%. Donc en matière de dette publique, nous sommes à 38% en Euro et 31% en CFA. Pratiquement 60% de notre dette est en dette extérieure parce qu’on a eu ces eurobonds et des maturités plus longues et des taux plus bas. Ce qui fait que la charge de la dette est réduite. L’élément important, c’est la charge de la dette. Quand vous avez des maturités plus longues vous avez plus de facilité à rembourser dans le temps.
Le Bénin a payé par anticipation sa dette et cela a suscité beaucoup de commentaires…
Le paiement anticipé permet de faire des économies car, il réduit la charge de la dette. Le Bénin l’a récemment fait mais ce n’est pas la première fois.
En 2018 on avait reprofilé la dette et il y avait un emprunt fait en Euro auprès de Deutsch banque qui avait servi à rembourser les banques commerciales locales et certains titres obligataires sur le marché pour 250 milliards. Les titres ou les prêts commerciaux auprès de ces banques locales étaient à des taux de 8,5% qui avaient été faits sous les gouvernements précédents, c’est exorbitant. Depuis 2016, on emprunte autour de 6% donc vous avez une différentielle de 2% dans la même monnaie. Maintenant quand vous allez emprunter à l’extérieur, vous empruntez à moins de 2%, ce qui fait une différentielle de 6 à 7%. Quand on avait fait le calcul en 2017 sur les 250 milliards sur la durée de la dette, on économisait 75 milliards d’intérêts. Cette économie peut servir à faire autre chose.
Le Bénin n’a pas 100 milliards dans un compte, aucun pays n’a ça. Même pas la France dans son compte. C’est votre capacité à rentrer de l’argent qui vous donne cette capacité à emprunter. Donc la trésorerie, c’est à la semaine qu’on fait le point par rapport à la disponibilité de ce qui est rentré.
Quand on fait le modèle qui nous permet de calculer la soutenabilité de la dette, on projette la dette sur les 25-30 ans avec les charges et intérêts et on fait les prévisions macroéconomiques, le taux de croissance, etc. et on voit, quand on va prendre un nouvel emprunt, on fait la simulation. On met ça là-dessus pour voir ce que ça va donner au taux d’endettement dans 7-10 ans etc. Le partenaire peut dire : cette date n’est pas bonne pour vous, je ne vous prête pas. Mais quand vous faites ce reprofilage et que vous passez de 56% à 41%, vous augmentez votre capacité de lever des fonds. Quand je passe de 56% à 41%, je peux aller demain et prendre de l’argent immédiatement, sans avoir à sortir de l’argent parce que j’ai pris de l’argent auprès d’une institution, Deutsche Bank, et j’ai remboursé une autre institution, je les ai payés. Maintenant c’est à Deutsche Bank à qui je dois. Mais ce que je dois à cette banque, au lieu de le devoir sur 05 ans, je le dois sur 15 ans. Donc, mes semestrialités sont différentes. Au lieu de lui payer sur 8%, je le paye sur 2%. Donc la charge d’intérêt est différente. La soutenabilité est calculée sur la capacité à rembourser semestriellement.
Payer plus tôt la dette ne cause pas de dommages à l’emprunteur ?
Nous sommes dans un marché financier ouvert, c’est concurrentiel. Si quelqu’un veut vous prêter à 2% et que vous voulez rester à 8%, libre à vous de rester à vos 8% si d’autres sont prêts à venir les chercher. Il n’y a aucune obligation. Maintenant, c’est vrai que les banques qui ont prêté à 8% se sont retrouvées avec plus de liquidités. Les banques commerciales ont beaucoup de ressources financières.
Quels sont les objectifs des injections de liquidités hebdomadaires de la BCEAO dans l’Union ?
Cela permet aux banques d’avoir de la liquidité pour faire face à certaines dépenses.
Pourquoi les échéances sont souvent courtes et non longues?
De façon générale, c’est par rapport à la structure de nos économies. On n’a pas de ressources à long terme. Quand vous faites une émission, il faut adapter la maturité par rapport à la capacité des gens qui veulent vous financer. Vous verrez que dans certains pays ils ne vont pas au-delà de 01 an ou 03 mois-06 mois. Parce que les gens n’ont pas confiance et se disent j’irai déposer mon argent auprès d’un Etat pendant 05-06 ans, je ne sais pas ce qui va se passer. Il préfère donner 3 mois ou 6 mois à 1 an parce qu’il va être prêt à reprendre ses ressources. Donc il y a la perception de l’économie du pays, la culture des investisseurs. Ça, c’est une opinion personnelle, il y a certaines populations qui sont orientées sur le commerce. Ils préfèrent faire tourner leurs fonds et faire de plus-values et recommencer. Ils n’ont pas une vision à moyen et long terme parce que c’est un problème culturel, éducatif, etc. c’est pourquoi il n’y a pas beaucoup d’industries. Parce qu’une industrie, c’est investir sur 5-10-15 ans et plus. Mais si j’ai 1 milliard FCFA et que je le mets ici et je fais une opération de commerce rapide et je gagne 200 millions FCFA, pourquoi choisir de le mettre dans une industrie et dans 10 ans je ne suis pas sûr de gagner 200 millions ? Compte tenu des expériences des uns et des autres dans les différents pays, on hésite à bloquer son capital sur du moyen long terme. Cette façon de raisonner se retrouve au niveau des investissements sur le marché financier.
Quelle est la corrélation positive entre pression fiscale et le revenu par habitant ?
Le revenu par habitant, c’est le PIB par habitant. Quand les revenus d’une population augmentent, elles deviennent de plus en plus exigeantes en matière de services publics. Un bon système de santé, une éducation de qualité, etc. Face à ces exigences, l’Etat se doit de les satisfaire parce qu’ils produisent des riches pour le pays. Donc, quand le revenu par habitant augmente, le PIB augmente. L’Etat doit trouver les ressources pour satisfaire ces besoins. Il va trouver ces ressources sur les droits de douane, sur la pression fiscale. Donc mobiliser plus de ressources intérieures pour financer les besoins de ses populations qui augmentent. C’est une corrélation positive montrée par nos études. On a l’exemple ici. La production agricole augmente, les agriculteurs veulent envoyer leurs enfants à l’école. Les demandes pour l’école sont importantes. Qu’est-ce que l’Etat fait ? Elle doit financer l’école, les cantines, recruter des professeurs. Il faut qu’il augmente la collecte des impôts. Si vous voulez avoir la paix sociale, vous devez satisfaire ces besoins.
Pourquoi le Bénin ne pourrait pas suivre l’exemple du Japon qui priorise la dette intérieure ?
Vous ne pouvez pas faire de la dette intérieure si vous n’avez pas de revenus suffisants. Il faut que les habitants épargnent et investissent dans leur pays. On n’a pas d’épargne. L’autre épargne qui finance la dette intérieure, c’est les cotisations sociales. C’est l’autre moyen de se financer. Le Bénin a une très bonne base de cotisation sociale, c’est vrai, parce que la CNSS est une des premières Caisses Nationales de Sécurité Sociales de la sous-région, même en Afrique, en matière de ressources. Elle a bien investi, elle a bien géré et ça peut servir de levier d’investissements. C’est ce qui est en train de se passer. Avant la CNSS investissait seulement dans les bons de trésor et d’obligation aussi bien en interne que dans la sous-région. Maintenant, on les oriente plus à travers la Caisse des Dépôts et Consignations qui gère 40% des ressources pour venir financer les investissements internes. Comme ça, ils vont financer 2145 logements sociaux, le marché de Kouhounou. On ne va pas chercher les fonds à l’extérieur.
Quel lien y a-t-il entre les impôts et la pression fiscale ?
Il y a un lien, puisque ce sont les impôts qui deviennent pression fiscale. Mais c’est deux mesures différentes. Il y a le fait de mesurer à quoi est assujettie une entreprise. Elle va payer la TVA, la patente, l’impôt sur les salaires, l’impôt sur le revenu des sociétés et autres. C’est tout ça qui fait la charge fiscale d’une entreprise. L’impôt sur les sociétés n’a pas la même base que la patente qui repose sur les loyers, etc. Quand on prend le total de ces impôts, en valeur absolue payée par l’entreprise avec les taux, il faut que ça donne ce taux de charges fiscales. Nous avons une TVA de 18%. Le taux sur le patrimoine selon les pays change, l’impôt sur la patente, ça change suivant les pays, il n’y a pas une harmonisation absolue. Dans d’autres pays, l’impôt sur les sociétés se situe à 35%. Mais par exemple, quand vous prenez l’impôt sur les salaires, je crois qu’il y a eu une réforme il n’y a pas longtemps où ils ont augmenté la dernière tranche. Si vous faites l’historique des différentes tranches, au début des années 90, le Bénin avait un taux de 80% pour la dernière tranche alors que d’autres pays étaient à 40%. Après, au début des années 2000, le Bénin a passé ce taux de 80 à 40% mais pour 500.000 FCFA. La dernière tranche est fixée à 500.000. Mais d’autres, il y en a qui sont à 1.000.000 ou à 1.500.000 mais à un taux de 40%. Donc, ça ne fait pas une pression fiscale. Et récemment, ils ont changé, c’est dans le budget, je crois, l’impôt sur le revenu, la dernière tranche. Mais ça permet de donner au salarié un pouvoir d’achat.
Vous avez parlé de taux d’ouverture commerciale, de quoi s’agit-il ?
Oui, taux d’ouverture commerciale pour les marchandises. C’est un phénomène qui a commencé dans les années 80, 90 où les occidentaux ont poussé à la baisse des droits de douane pour faciliter le libre échange des marchandises dans le monde et rendre l’achat de bien moins cher. C’est dire que plus vous baissez vos droits de douane, plus vous êtes ouverts au monde et c’est cela qu’on appelle le taux d’ouverture commerciale. Mais la conséquence est que, si vous n’avez pas une industrie, vous importez beaucoup donc il faut protéger des secteurs industriels pour pouvoir favoriser un développement industriel. Or, pendant des années, les pays africains ont été obligés d’ouvrir les frontières sans restriction ; ce qui fait que des produits se sont déversés en masse.
Pourquoi les produits fabriqués au Bénin coûtent plus cher que ceux importés ?
Oui parce qu’on a des facteurs de production élevés. On a une énergie qui coûte cher, on a la fiscalité, on a la fraude, on n’a pas les matières premières, donc il faut s’industrialiser par rapport aux matières premières que vous avez. Et pour cette ouverture des frontières, l’Afrique a baissé les tarifs douaniers donc les Etats étaient obligés d’aller chercher des compensations parfois pour financer leur budget. Et on voit que beaucoup de pays africains dépendent des recettes douanières. Même si nous au Bénin, on a changé de paradigmes, les recettes internes ont dépassé largement les recettes douanières, ça n’a pas été le cas jusqu’en 2017. Depuis les indépendances, on dépendait des recettes douanières. C’est très facile, on a la frontière et on peut facilement taxer, appréhender etc. Il a fallu arrêter la fraude à la douane. Parce que beaucoup importaient mais ne payaient pas de taxes extérieures. Non seulement ils sous-payaient mais il y avait des sociétés fictives qui importaient et qui avaient des chiffres d’affaires de plusieurs milliards mais étaient inconnues aux impôts. Nous, on a vu des sociétés avec plusieurs milliards de chiffre d’affaires qui n’ont jamais payé aucun impôt. Et vous cherchez où est-ce que cette société existe, vous ne trouvez pas. Et en pistant, on trouve un monsieur avec une sacoche et quelques papiers. Et les marchandises en fait, il sert seulement à importer et quand ça rentre, ça disparaît dans des entrepôts d’autres qui sont là. Donc, ils vont vendre mais n’ont jamais payé l’impôt intérieur. Ils ne sont pas prêts à payer l’impôt sur les sociétés, la TVA etc. justement parce que ces marchandises n’existent pas. C’est le nettoyage de la base IFU qui a permis de stopper cette fraude, de fusionner les impôts et les douanes. Quand leurs bases ont été fusionnées, ça a permis de sortir des milliers, je dis bien des milliers d’IFU fictifs.
On peut dire aujourd’hui qu’il n’y a plus de fraude ?
Ça devient difficile. Certes, il y en a mais ça devient difficile. Avec la digitalisation de l’économie, tout est cerné. Par exemple, si vous allez payer aujourd’hui quelque part et la facture n’est pas normalisée, vous ne pouvez pas venir l’enregistrer dans votre comptabilité et récupérer la TVA. Les impôts vont le rejeter si c’est une facture simple, il faut que la facture soit normalisée parce qu’elle est enregistrée directement aux impôts. Maintenant, si le vendeur, lui-même, il ne fait pas la facture normalisée, comment il récupère la TVA quand il va s’approvisionner ? Il ne peut pas. Donc lui aussi il est obligé de demander à son fournisseur de lui facturer la TVA parce que s’il n’a pas la TVA pour déclarer pour sa compensation, pour sa foi….Donc le fournisseur, c’est pareil puisque lui, il a déjà payé la TVA à la douane que le Trésor public a récupérée aux impôts. Donc il faut qu’il récupère à la vente. Donc quand il va vendre ses produits au client et aura payé la TVA, lui, il pourra réclamer la TVA qu’il a payée. Et s’il a importé 100% des marchandises et que ça ne se reflète pas dans son chiffre d’affaires, ou il n’a ni déclaré la marchandise, ni le chiffre d’affaires, …ça vient d’où ? Donc il est dans votre intérêt, même en tant qu’individu d’exiger la facture normalisée au-delà de la conscience citoyenne, c’est pour votre propre intérêt économique. Vous devez exiger la facture normalisée. Et maintenant, pour votre propre intérêt pécuniaire, vous savez qu’il y a un tirage au sort sur les factures normalisées comme une loterie. La facture normalisée devient un billet de loterie. Qu’est-ce que ça coûte pour un Etat de donner une maison qui vaut 50 millions si ça permet de monter les recettes en milliards ? Ça, c’est des pratiques en Afrique de l’Ouest. Chaque trimestre, il avait un tirage au sort sur les factures normalisées, avec des lots tels que maison, moto, voiture. On met un budget de 100 millions, 400 millions, si ça nous permet d’augmenter la collecte de recettes de 20 à 30%. En plus, vous rendez service à vos populations, vous donnez, maison, moto, véhicule à vos populations, … il n’y a rien de mal à cela. Donc en tant que citoyen, chef d’entreprise et personne individuelle, vous devez exiger la facture normalisée. Vous avez tout à gagner. Celui qui n’exige pas la facture normalisée, pour moi, il joue contre lui-même.
Mais le gros souci, ce sont les petits artisans du coin, un électricien, un menuisier, un mécanicien qui va payer une pièce à côté ou vient vous faire une prestation, ce n’est pas évident…
Oui mais on peut le faire en ligne même si vous n’avez pas la machine et même « le baba » a accès à cela et doit pouvoir la faire. Et puis, au lieu de faire avec cette catégorie qui va vous facturer moins cher sans pouvoir vous permettre de récupérer la TVA, si l’entreprise discute avec une structure, elle va vous facturer un peu plus cher mais vous récupérez vos TVA. Faites vos calculs. Collaborez avec une entreprise régulière pour vos services. Vous savez, à la banque, on demande par exemple de respecter à 200% la règlementation. Les entreprises les plus performantes sont celles qui respectent la règlementation. Pourquoi il y a des banques qui arrivent à faire des taux de rentabilité de 20% en respectant la règlementation dans le pays, payer les impôts, de bons salaires, etc. et d’autres entreprises qui exercent dans le même pays disent, je ne paie pas les impôts parce que je ne m’en sors pas. On est assujetti aux mêmes impôts, mais d’autres disent quand on paie les impôts on ne s’en sort pas, mais non, c’est juste qu’ils ne veulent pas payer les impôts. Pourquoi les banques qui sont les secteurs les plus règlementés, les plus surveillés au monde, vous êtes tellement réglementés que vous ne pouvez même pas mettre une virgule de côté mais elles arrivent à gagner des dizaines de milliards. Et d’autres secteurs qui disent ah non, je vais frauder parce que si je paie les impôts, je ne m’en sors pas. Et pourquoi certaines grandes entreprises de la place s’en sortent si c’est cela ?
Non mais, elles ne manquent pas de frauder non plus ?
On vous dira qu’elles fraudent mais elles font plutôt de l’optimisation fiscale. Elles sont tellement contrôlées et ce n’est pas comme nous, tous les trois ans ou…, chez elles, c’est chaque année. Le reste, c’est des idées reçues. Elles discutent point par point avec les impôts. On les redresse, elles contestent jusqu’à compréhension et clarification. Mais ce n’est pour autant elles vont truquer, ce n’est pas sur le chiffre d’affaires elles vont cacher des choses, je pense que c’est beaucoup plus subtil, c’est sur des interprétations.
Quel intérêt pour un particulier à délivrer une facture normalisée ?
Ce n’est pas nécessairement pour le particulier. Mais le particulier, s’il travaille pour une entreprise, il n’a pas le choix. Si vous travaillez pour une entreprise, vous devrez la délivrer, même si lui il n’est pas assujetti à la TVA, il ne va pas facturer la TVA parce que pour être assujetti à la TVA, il faut avoir atteint un niveau d’activité. Donc sur sa facture, il ne met pas la TVA mais l’entreprise va retenir l’AIB.
Que direz-vous pour conclure ?
Je remercie d’abord tous ceux qui ont participé aux échanges. Il est important de savoir davantage sur la pression fiscale, ses déterminants et la dette publique.
La Rédaction