Le numéro 002 de l’émission ‘’Le club de l’économiste’’ a eu pour invité, le jeudi 31 octobre 2019, le professeur Igué John. L’ex ministre, professeur agrégé de géographie à la retraite et directeur scientifique du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (Lares), a fait le tour d’horizon de l’actualité économique du Bénin. Du secteur privé béninois à la monnaie unique de la CEDEAO en passant par la fermeture des frontières du Nigéria et la Zone de libre-échange continentale africaine, l’invité a répondu aux préoccupations des professionnels des médias présents. Lire ci-dessous, l’intégralité de son intervention.
Comment est structuré le secteur privé béninois ?
Pour gérer l’économie, il avait été quelques sociétés de traite à l’époque comme la BIAO. Ces dernières avaient la main mise sur le pays et parmi ces sociétés de traite, la majorité était d’origine européenne et avait pour intermédiaires quelques traitants libanais. A ces traitants libanais, il y avait quelques traitants béninois qui étaient associés et qui s’occupaient de la collecte de l’huile de palme et des noix de cajou. Ce secteur était un secteur privé qui utilisait la population coloniale jusqu’à ce qu’on en arrive à la révolution de 1972. Avant cette révolution il s’est passé un élément important ici, dans notre voisinage : c’est la crise de sécession au Nigéria, qu’on a appelé la guerre de Biafra. Pendant cette crise de sécession, l’économie du Nigéria avait beaucoup de problèmes. Et beaucoup d’opérateurs économiques nigérians qui ne pouvaient plus faire de bonnes affaires se sont dirigés vers le Bénin pour nous proposer d’autres activités. Parmi ces activités, la plus importante est celle du commerce du cacao. C’est à partir de ce commerce de cacao, qu’a émergé le secteur privé national. C’est avec ce commerce du cacao que les béninois ont eu accès à de grandes fortunes et en moins de 5 ans, ce secteur a rapporté à ces commerçants des milliards. Puis, pour conforter cette position, la révolution a fait des réformes qui sont allées dans le sens de la promotion du secteur privé national. Ces réformes portent essentiellement sur la nationalisation des banques comme la BIAO dont je vous ai parlée. Le siège de Bank of Africa, qui est en face du port, c’était le siège de la BIAO. Donc, l’Etat a nationalisé les banques étrangères et a renversé l’ordre d’accès aux crédits. Avant, c’était seules les anciennes sociétés de traite dont j’ai parlée qui avaient accès aux crédits bancaires. Quand la révolution est arrivée, elle a renversé cela et seuls les nationaux étaient prioritaires dans l’accès aux crédits des banques nationalisées par l’Etat et cela a permis donc à plusieurs commerçants béninois d’émerger. C’est comme ça que les nationaux ont commencé à émerger. Donc c’est comme ça que le secteur privé est constitué. Et ce secteur privé national a eu un relais important qui est constitué des femmes qui sont sur les marchés périodiques notamment Dantokpa. Ce sont ces femmes qui se chargeaient de distribuer les produits que ces commerçants importaient des marchés étrangers. Et c’est cela qui a donné un tonus au marché Dantokpa.
Aujourd’hui, si on fait la philosophie du secteur privé béninois, il comporte ces deux aspects là : les nationaux qui sont fortement dominés par les hommes et les femmes qui opèrent à partir de nos marchés notamment le marché Dantokpa. Ce marché Dantokpa est devenu le centre de promotion du secteur privé national parce qu’au plus fort de l’économie béninoise, ce marché faisait un chiffre d’affaires de près de 500 milliards par an. Ce qui est beaucoup pour un petit pays comme ça. Et de ces activités, beaucoup d’hommes ont émergé. Parmi ces hommes vous avez les yoruba et les femmes.
A ce secteur privé d’origine nationale, composé des yorouba de Porto-Novo et de la région du Plateau, se sont greffés les activités du secteur étranger. Ce dernier a beaucoup changé. Les anciennes maisons de traite ont fermé parce qu’elles n’ont pas pu supporter la concurrence et surtout la modification de crédit instaurées par la révolution. Beaucoup ont fermé et les européens sont partis et ont vendu le fonds de leurs commerces à des étrangers comme les arabes, les libano-syriens, et les gens du Magreb. Puis, après ces arabes, les crises qui ont secoué le Ghana et le Nigéria ont fait venir ici beaucoup d’indo-pakistanais, qui sont venus s’ajouter aux libano-syriens vers les années 1970. Puis, après, avec la crise du Nigéria, les ‘’Ibo’’ sont arrivés massivement. Et ce sont les libanais et les indo-pakistanais qui constituent le secteur privé étranger aujourd’hui. Tous exercent dans le secteur du transport. Puis aujourd’hui les chinois sont arrivés et les turcs aussi. Donc, c’est l’essentiel du secteur privé. Tous ce sont regroupés aujourd’hui autour de trois structures qui gèrent le secteur privé béninois. La première, c’est la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin (CCIB), la deuxième, c’est le Conseil des investisseurs privés du Bénin (CIPB) et la troisième structure est le Conseil national du patronat du Bénin. Tous sont dans ces trois structures et les animent. Mais le Conseil des investisseurs privés du Bénin qu’on appelle CIPB est dirigé par monsieur Roland Riboux et est composé de 42 entrepreneurs privés qui ont investi dans le pays plus d’un milliard FCFA. C’est parmi eux qu’on trouve aujourd’hui quelques industriels comme la brasserie, la béninoise, comme les fabricants de ciment qui sont actuellement au nombre de quatre et les fabricants de fer à béton, ainsi de suite. Voilà comment le secteur privé est composé. C’est eux qui animent la vie économique aujourd’hui. Entre le secteur privé national et étranger, il y a des rapports mais tous pour la plupart sont dans les secteurs formel et informel à la fois.
Quelle est la contribution du secteur privé à l’économie béninoise ?
Depuis qu’on a fait la conférence nationale et qu’on a déclaré l’économie libérale, c’est eux qui gèrent la super structure économique. Par exemple, le Conseil des investisseurs privés du Bénin au cours de l’une de leur réunion a dit qu’ils ont investi dans le pays plus de 250 milliards FCFA ces dernières années et a créé plus de 10.000 emplois et rapporte à l’Etat, un bénéfice de près de 80 milliards FCFA. Il y a de cela deux ans au cours d’une de leur réunion. Donc c’est le CIPB qui constitue le fer de lance de l’économie béninoise en raison de l’importance de leurs investissements. C’est au niveau officiel ça. Certains ce sont organisés autour du Conseil national du patronat et d’autres sont à la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin. Ce sont les mêmes individus qu’on retrouve dans ces structures. Ces gens dont je vous ai parlés qui sont organisés autour du CIPB et autour du patronat béninois structurent l’économie nationale au niveau officiel. Mais leurs activités touchent le secteur informel. Par contre, la majorité des autres dont je vous ai parlés, les entrepreneurs béninois, les indo-pakistanais, les Ibo, les turcs et les chinois, tous opèrent davantage dans le secteur informel et dans le secteur formel. Et c’est eux qui sont les grands animateurs de l’économie informelle. J’en ai parlé dans mon livre, il y a un chapitre sur ça. Si vous lisez, vous allez voir tout ça dedans. Mais du point de vue de la dynamique de l’économie au niveau national, c’est le secteur privé qui assure l’essentiel. Il produit plus de 80% d’emplois et plus de 65% du PIB national. Donc la richesse provient du secteur informel et la sécurité nationale provient du secteur informel avec 80% d’emplois et 65% du PIB. Donc le secteur formel comme je vous l’ai dit est toujours un secteur de dépendance.
Dans ce que je vous ai dit, j’ai oublié de mentionner les opérateurs des réseaux GSM qui sont venus tout récemment comme MTN et Moov que vous connaissez. Tous font partie aujourd’hui de cet ensemble de gens qui opèrent dans le pays et engrangent des bénéfices assez importants. Mais l’inconvénient de ce secteur informel comme je l’ai dit, c’est que ceux qui font de l’argent, une partie des profits qu’il trouve dans leurs activités n’est pas investi dans le pays. Donc, on ne sait pas où est-ce qu’ils investissent. C’est alors le secteur informel qui laisse son argent dans le pays. Par exemple dans le secteur du kpayo, le bénéfice annuel, c’est plus de 40 milliards FCFA. Et ces 40 milliards FCFA sont totalement investis dans le pays. Le secteur des zémidjans, c’est dans l’ordre de 35 milliards FCFA. Et ces 35 milliards sont totalement investis dans le pays. Les femmes qui sont à Dantokpa, la plupart investit dans le pays. Donc, voilà la situation dans le pays. La circulation de l’argent dans le pays est assurée en de très grandes parties par le secteur informel.
L’édition 2020 du rapport du groupe de la Banque mondiale sur le climat des affaires dans le monde, Doing business a été publiée le jeudi 24 octobre 2019 et le Bénin a avancé de quatre points avec un score de 52,54. Quelles appréciations faites-vous de ce classement ? Est-ce qu’il reflète le quotidien du béninois lambda à votre avis ?
Je ne peux pas me prononcer sur cela parce qu’on ne sait pas sur quels indicateurs joue la Banque mondiale. Est-ce que c’est les indicateurs officiels ou officieux ? Quand on n’a pas une réponse à cela, il est très difficile de dire que les indicateurs de la Banque mondiale sont fiables ou non fiables. Voilà mon point de vue. Tant qu’on n’a pas les indicateurs sur lesquels la banque mondiale a calculé ses chiffres, il sera très difficile de se prononcer là-dessus. Toujours est-il que par rapport à la manière dont on gère la comptabilité nationale, il y a toujours des biais et ces biais font que les chiffres qu’on avance ne reflètent toujours pas la réalité. C’est des indicateurs. C’est à partir de ces indications qu’on classe les pays aujourd’hui.
La banque mondiale se base toujours des chiffres officiels donnés par le gouvernement et ne se base pas sur les chiffres informels. Est-ce cela veut dire que le gouvernement ne mesure pas la taille de l’informel ?
Notre pays a une particularité que la Banque mondiale n’intègre pas dans son classement. Nous faisons partie des rares pays africains à avoir deux systèmes monétaires entre le franc CFA et le Naira. Dans le calcul de la comptabilité nationale, c’est le pouvoir du franc CFA qui est pris en compte. La quantité du Naira qui anime les échanges en raison de notre profonde relation avec le Nigéria n’est toujours pas prise en compte. Donc, cela se traduit énormément par d’importants biais dans ce que l’Etat fournit à ces partenaires étrangers et nous avons plaidé pour cela pendant longtemps ici. Que l’on mette au niveau de l’Etat, des structures qui soient capables de collecter le naira qui circule dans le pays pour qu’on puisse évaluer son importance et l’intégrer dans la comptabilité nationale. C’est à cause de ça que Bio Tchané, quand il était ministre des Finances, a autorisé la création des bureaux de change. On croyait que ces bureaux de change allaient collecter le naira pour qu’on puisse en profiter et mesurer la quantité du naira. Malheureusement, aucun bureau de change ne collecte le Naira.
Donc le Naira s’échange essentiellement à partir des marchés parallèles. Le nombre des acteurs du marché parallèle de change dans le pays est de 2809 individus sur l’ensemble du territoire.
La quantité de ces 2809 acteurs de bureaux de change ici au pays est extrêmement importante. Ça se chiffre à plusieurs milliards. Ces milliards n’ont jamais été intégrés dans la comptabilité nationale. Donc cet aspect est un aspect extrêmement important. Ça nous donne des avantages que nous ne mesurons pas ici.
Donc les gens sont beaucoup plus riches que ce qu’on pense. C’est pour cela qu’on n’a pas de très graves tensions sociales ici. Donc quand on parle de la pauvreté, elle n’est pas aussi sévère dans notre pays à cause de sa situation par rapport à l’utilisation du naira et à la proximité avec le Nigéria.
Tout à l’heure dans votre développement vous disiez que le secteur informel investit plus dans le pays et le secteur formel n’investit pas dans le pays. Comment peut on comprendre cette contradiction ?
Dans les pays à monnaie non convertible, tout le profit généré par les activités économiques est centralisé au niveau de la Banque centrale de ces pays. Donc la Banque centrale suit la performance des principaux acteurs économiques du pays, et en suivant leurs activités, la Banque leur impose d’investir obligatoirement dans le pays une partie de leurs bénéfices et que si vous ne faites pas ça, vous ne pouvez pas demander le transfert de ces bénéfices vers l’extérieur.
Dans la zone CFA, ce n’est pas le cas. Donc ce que les gens font comme recettes, ils peuvent les mettre à la banque comme ils peuvent ne pas les mettre à la banque ou alors ils peuvent les mettre dans des sacs de jutes et aller les déposer dans des comptes au Togo ou en Côte d’Ivoire ou au Burkina Faso. Donc l’Etat ne contrôle rien du tout par rapport au Naira pour qu’on puisse leur imposer le taux d’investissement à réaliser sur les bénéfices. C’est la difficulté des pays à monnaie utilisateurs du franc CFA.
Comme on est dans une communauté, ceux qui collectent le franc CFA au Bénin, ils sont libres de les placer dans les banques au Bénin ou dans les banques des sept autres pays de l’Uemoa. Ça fait que nous ne pouvons pas maîtriser leurs capacités à contribuer à l’essor de l’économie. C’est pour cela que seul le secteur informel nous permet de contrôler ce qui se passe.
Comment est-ce que vous pensez qu’on peut régler cette situation ?
C’est l’une des faiblesses de l’économie libérale. Dans l’économie libérale, tous les acteurs sont libres de faire ce qu’ils veulent de leurs ressources. Donc l’impact de l’Etat sur la richesse nationale est extrêmement faible dans la logique de l’économie libérale. C’est l’une des plus grandes faiblesses de l’économie libérale. Mais cette faiblesse est minimisée dans les pays où les gens possèdent leur propre argent.
Donc pour contrôler cela aujourd’hui, il ne faut pas que nous soyons dans le libéralisme sauvage que nous appliquons aujourd’hui. Il faut que l’Etat accepte de jouer son rôle de contrôle et de régulation. Or aujourd’hui si vous parlez de ce langage au niveau officiel, ils vont vous dire que vous êtes archaïques, que vous ne suivez pas l’économie moderne. Or, un pauvre ne peut pas se présenter en concurrence avec un riche. Est-ce que vous pensez que celui qui va en avion et celui qui va à pieds peuvent coopérer ensemble ? C’est le paradoxe de l’économie mondiale aujourd’hui. Et surtout dans les pays pauvres. On nous impose les mêmes rythmes que les pays qui sont déjà très avancés alors que nous sommes à la recherche de notre existence. Mais je vais vous dire une chose sur laquelle il faut que vous soyez très sensibles. La solidité des économies des pays développés, elle vient du secteur de l’Etat. Les Etats-Unis, l’Europe, l’Asie se sont développés sur la base d’un pouvoir d’Etat extrêmement fort. Or, nous, nous n’avons pas encore consolidé notre Etat ici et on nous dit de nous dessaisir de notre rôle régalien. C’est ce qui est à l’origine de notre pauvreté aujourd’hui.
Et je mets quiconque en défi de dire que j’ai menti par rapport à cela. Mais malheureusement pour les cadres de l’administration, leur discours, c’est la privatisation et l’Etat est devenu aujourd’hui déliquescent dans les pays pauvres.
Dans cette situation de déliquescence de l’Etat, on ne peut pas avancer. On sera toujours fragile. C’est la plus grande faiblesse de la libéralisation de l’économie dans nos pays. Quand Trump est arrivé au pouvoir, il a dit que les intérêts des Etats-Unis concernent seulement les Etats-Unis et il fait du protectionnisme aujourd’hui. Donc il est devenu un anti mondialiste et a demandé à beaucoup de sociétés américaines qui se sont délocalisées vers l’étranger de rentrer contre diminution de taxes à l’impôt. C’est lui qui a raison. Parce que nous tous qui sommes très fragiles, nous faisons la culture du libéralisme absolu. On ne sera que pauvre éternellement. Il faut absolument qu’on s’organise. C’est la solution à notre problème. Il faut que l’Etat joue son rôle. Seul l’Etat peut rendre justice, pas le privé. Seul l’Etat peut rendre justice à sa population. Le privé est mû par le profit. Avez-vous un privé qui s’occupe de la construction des routes ? Avez-vous un privé qui s’occupe de la fourniture en électricité ? Avez-vous un privé qui s’occupe de l’adduction d’eau ? C’est la question ça. Les besoins essentiels de la population, seul l’Etat peut les assurer et bien les assurer et veiller surtout à l’équité nationale. Donc c’est extrêmement important pour notre propre sécurité. Je vous cite un cas ici. On a connu une période de long délestage dans le pays et les entreprises du secteur privé avaient les moyens pour contribuer à la solution du délestage mais ils n’ont rien fait et ils critiquaient l’Etat jusqu’à ce que je sois allé voir les responsables du CIPB, et je leur ai tenu ce langage : « … De quoi discutez-vous lors de vos réunions ? Vos activités sont paralysées par le délestage, pourquoi vous ne pouvez pas créer vous-même votre secteur électrique, concurrentiel à l’Etat ? C’est ce que le Ghana fait ». Ils m’ont regardé et ils m’ont dit que les investissements à réaliser sont trop lourds. Ils n’ont pas de moyens pour ça. Donc les vrais problèmes relatifs à l’activité des habitants, seul l’Etat peut les gérer et non le secteur privé.
Quelle est l’historique du secteur informel au Bénin ? Pourquoi a-t-il pris autant d’ampleur ?
Avant la colonisation, l’Afrique de l’ouest était gérée par un secteur commercial extrêmement puissant ; gérée par quatre groupes d’acteurs qui régnaient sur l’ensemble de l’espace parce que les Etats traditionnels qu’on avait à l’époque ne s’occupaient pas de l’économie et recevaient partout où besoin se fait sentir ces quatre acteurs parmi lesquels se trouvent les haoussas du nord du Nigéria et du nord du Niger et d’une partie du Tchad. Ces haoussas sillonnaient l’ensemble de la région d’où la création de presque partout aujourd’hui des quartiers qu’on appelle Zongo ou Sabogali. Eux avaient l’économie et vendaient à toute la sous région africaine les tissus fabriqués chez eux ou importés des pays du Moyen orient et du Magrheb.
En contrepartie ils achetaient de la cola qu’ils vont vendre ailleurs. Puis à cela s’ajoute le bétail. Après eux, il y avait les Yorubas, après il y avait les Dioulas qu’on appelle les Wangaras ailleurs. Ce sont ces groupes-là qui géraient l’Afrique avant l’arrivée des colons. Ils géraient l’Afrique à travers un système qu’on appelle le système de caravane.
Donc les commerçants arrivaient en grand nombre avec les marchandises et s’installaient. C’est comme ça que certaines localités ont émergé comme la ville de Djougou, Parakou, une partie de Kandi au Bénin. Donc on était dans cette logique de commerce régional qui n’a pas de frontière et qui s’appuyait essentiellement sur la zonation de l’Afrique de l’ouest en quatre bandes, du Sahara, du Sahel, du Soudan et la forêt.
Cette activité avait un caractère horizontal et était fondé essentiellement sur ce que produit le Sahara qui est différent de ce que produit le Sahel qui est différent de ce que produit la forêt qui est différent de ce que produit la zone soudanaise.
Quand la colonisation est arrivée, elle a mis fin à ça en créant une logique verticale qui nous lie avec le marché européen et ce que nous appelons la métropole. Donc d’une économie régionale favorable à la population africaine, on est arrivé à une économie de prédation favorable à l’Europe. Mais les populations ne vont pas quand même croiser les bras par rapport à leurs intérêts. C’est de là que sont nées deux logiques économiques. Une logique traditionnelle et une logique moderne. C’est la survivance de cette logique traditionnelle que nous appelons secteur informel aujourd’hui. C’est l’origine du secteur informel ça. Et ce secteur informel s’est adapté à l’économie coloniale en changeant la nature des produits qui circulaient dans la région et les modes de paiement. Avant les produits qui circulaient dans la région étaient des produits fabriqués par la région et la monnaie d’échange était le cauris et les pépites d’or. Quand les européens sont arrivés, ils ont complètement modifié en nous apportant du coton, du cacao, du café que nous ne connaissions pas avant. On a accepté mais il fallait s’adapter à cela.
Et ils nous ont imposé leurs monnaies qui à l’époque étaient le Franc ou la livre Sterling. Les commerçants se sont adaptés à ça selon leur logique mais ont continué à perpétuer l’économie de caravane sous d’autres formes. C’est l’origine du commerce informel ça.
Et cette tradition se perpétue encore aujourd’hui. Par exemple les activités sur les marchés périodiques Dantokpa, Ouando, Ifangni, Glazoué… c’est la survivance de l’économie traditionnelle.
Les caractéristiques structurelles du secteur informel, qu’est-ce qu’on peut en retenir ?
Ce qu’on peut retenir, c’est un secteur. Mais contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas un secteur inorganisé. Par exemple vous prenez le secteur artisanal qui fait partie du secteur industriel précolonial, parce que c’est dans ce secteur artisanal qu’on fabriquait nos cotons. Le chapeau que j’ai sur la tête, c’est une fabrication de nos artisans à l’époque, vous connaissez les chaises royaux, il y avait beaucoup de produits. Tout cela fait partie de l’artisanat. Ce groupe d’artisans n’a jamais disparu et s’est organisé en structure extrêmement solide.
Je vous donne un exemple. Au Burkina Faso il y a 250 000 artisans qui tissent le tissu que j’ai mis sur la tête. C’est pour cela que le pays aujourd’hui consomme local et porte local. Et ça leur permet de consommer une bonne partie de leur production de coton. Ce secteur artisanal est très bien organisé.
Il y a le conseil national du patronat chez nous ici. Donc très bien organisé en plusieurs secteurs. C’est eux aussi, le secteur de la transformation des produits primaires. Ceux qui font le gari, les kluiklui, l’huile de palme, tous sont organisés. C’est un secteur qui est extrêmement organisé ; qui n’est pas comme on a tendance à nous le faire savoir. Les économistes vont vous dire que c’est un secteur de survie. La finalité de l’économie moderne, ce n’est pas la survie, Connaissez-vous quelqu’un qui travaille si ce n’est pas pour sa survie. Les économistes vont vous dire que ce n’est pas un secteur d’accumulation capitaliste. Or sachez-le très bien. L’accumulation capitaliste, c’est ça qui cause la guerre partout. Donc si on veut arrêter la guerre et dormir tranquille, il faut réfléchir à l’accumulation capitaliste. Comment comprendre que 100 millions d’individus mettent la main sur la richesse de l’humanité alors qu’on est plus de 7 milliards aujourd’hui. C’est ça l’accumulation capitaliste. Tant qu’on sera dans cette voie, on aura jamais la paix, et on sera en train de se faire la guerre. Donc l’accent de l’homme est simple et est essentiellement porté sur la paix et la suivie. Donc quelle est la faute du secteur informel pour que les économistes qualifient cela d’une activité de survie ? C’est cela la question de fonds sur laquel je vous invite à réfléchir. Donc le discours économiste mondial est un discours faux et biaisé. Ce n’est ni un discours de paix ni de sécurité pour qui que ce soit. C’est un discours au profit de quelques multinationales seulement.
Est-ce à dire que ce secteur n’a pas de conséquences économique et sociale sur le pays ?
C’est le secteur informel qui assure la survie de tout le pays aujourd’hui. Il est devenu important. L’origine et le développement du secteur informel aujourd’hui viennent de nos réformes que nous engageons sans tenir compte du fait que la vie repose essentiellement sur la sécurité des citoyens et du pays. On dit à l’Etat de se dégraisser. Mais un pauvre ne peut jamais avoir d’économie parce que ses besoins sont énormes. C’est ce qui arrive à nos pays. Comment un pauvre qui a des besoins énormes peut avoir des économies ? Il y a beaucoup de choses sur lesquelles il faut que les intellectuels changent de discours et de paradigme.
On comprend que le secteur informel est une opportunité pour nos pays…
Non ce n’est pas une opportunité. Il s’est imposé pour permettre aux citoyens de vivre par rapport au caractère biaisé des réformes qui sont entreprises.
Comment peut-on profiter des réformes en étant dans le secteur informel ?
Ce secteur n’a pas de droit et ne fait pas d’ajustement structurel. C’est sa souplesse qui fait sa force. Et à cause de cela vous-même vous pouvez vous engager là-dedans tant que cela ne vous pose aucun problème.
Qu’est-ce qui empêchent les acteurs de ce secteur d’aller vers la formalisation ?
Ils ne peuvent pas aller vers la formalisation pour plusieurs raisons. Tout cela a été développé dans mon livre. Ils n’ont pas été à l’école. La majorité est analphabète. Or pour faire la formalisation, trop de papiers à remplir. Qui va les aider à remplir ? Vous savez, si vous avez un compte à la banque et que vous n’avez pas de carte d’identité, il faut avoir trois témoins qui vont certifier des informations sur vous. Est-ce un moyen facile ? Donc le système moderne que nous mettons en place exclut beaucoup de gens et ces gens doivent quand même vivre. Ce secteur moderne est un secteur d’élite et combien sont élites ? L’autre difficulté, c’est que ça prend trop de temps et puis on vous suit pour vous créer des impôts qui ne correspondent pas à vos revenus. C’est fort de tout cela que les gens préfèrent rester dans l’informel.
Vous avez été ministre, quand vous étiez à ce poste, qu’est-ce que vous avez fait pour aider ce secteur à s’en sortir ?
J’ai été ministre en charge du secteur privé. J’ai amené tous les opérateurs du secteur notamment les petites et moyennes entreprises au Ghana pour voir comment leurs homologues travaillent. Quand j’ai vu que leur travail ne peut pas affronter le marché régional, je leur ai fait comprendre que pour progresser dans le monde, il faut se comparer aux autres au lieu de s’enfermer chez soi. Ils étaient 50. Nous avons signé des contrats car les ghanéens sont très performants surtout en menuiserie. J’ai aussi mis des fonds à leur disposition pour les appuyer. Mais je n’ai pas pu faire grand chose parce que les béninois ne peuvent pas se mettre ensemble pour travailler. Dans mon livre j’ai expliqué aux acteurs du secteur informel que s’ils ne se mettent pas en coopérative, ils ne peuvent pas avancer. Ils sont obligés de se mettre ensemble pour partager les expériences. Combien de béninois peuvent le faire ? De plus, ceux qui ne sont pas allés à l’école continuent d’être méfiants face à ceux qui y sont allés. Il est difficile que les deux puissent collaborer alors que ce sont les lettrés qui se présentent comme la lumière des pauvres. La difficulté est là et on ne s’en sort pas. C’est honteux d’aller chez soi sans pouvoir parler sa propre langue. C’est le cas de la plupart des béninois. Pour l’avenir de notre pays, il faut qu’on accepte de mettre les langues nationales dans le système éducatif pour briser la barrière entre les lettrés et non lettrés. Quel est ce pays dans lequel on s’adresse à la population dans une langue qu’elle ne comprend pas ? Les pays développés n’ont pas ces contraintes. Vous restez dans les ministères pour parler français et lorsque quelqu’un vient du village vous n’arrivez même pas à échanger avec lui. On a trop de ces difficultés qui font qu’un petit individu qui ne peut même pas communiquer avec ses propres parents se lève pour dire qu’il veut moderniser un peuple qu’il ne connait pas. Ce n’est pas possible, il faut que nous qui sommes allés à l’école puissions nous arranger de sorte à communiquer avec les autres. Ce sont les pays qui ont fait ces réformes qui s’en sortent. Les pays qui se développent dans la sous-région sont des pays dans lesquels les élites sont en parfaite harmonie avec les illettrés. L’Etat de Lagos a décidé à partir de 2020, de ne plus parler l’anglais dans les services publics. Ces questions ne posent pas encore de problème ici au Bénin. C’est tout ceci qui a fait que je n’ai pas réussi quand j’étais au gouvernement.
La population est à 80% dans le secteur informel. Est-ce qu’avec l’avènement de la monnaie électronique, il peut y avoir des impacts sur le secteur ?
L’avènement de la monnaie électronique, c’est pour vous qui manipulez les smartphones. Ma tante et ma sœur au village utilisent les signes pour identifier les numéros. Donc le singe pour identifier un numéro et le coq pour un autre. C’est le cloisonnement de la société. Mais avec le temps ils vont s’adapter. Une des raisons qui va accentuer l’informel. Il y a d’autres qui ne pourront pas suivre la numérisation et vont créer leur système que vous allez encore qualifier d’informel. C’est ainsi que le mot est arrivé.
L’actualité sur les échanges commerciaux entre le Bénin et le Nigéria, c’est la fermeture des frontières. Quels sont les conséquences de cette situation ?
Il faut savoir que toutes les populations du Bénin, du Nigéria, du Togo et du Ghana, sont les mêmes. Et pour vous donner un exemple, depuis la Mauritanie jusqu’en Angola, le long des côtes, les langues vernaculaires sont les mélanges du français, de l’anglais ou du portugais. Mais depuis Accra jusqu’au Niger, il n’y a pas de langue vernaculaire. Cela veut dire que dans un passé récent nous communiquions avec une seule langue. Si vous ne partez pas de cette logique vous ne pouvez pas comprendre que nous étions au départ les mêmes avant que la frontière n’arrive. La frontière c’est juste des bornes faites avec des lignes. Mais il y a combien de lignes par kilomètre ? L’idée de frontière c’est dans les papiers seulement. Sur la base de cela les européens nous ont cloisonnés. Cela ne peut pas marcher car les populations n’ont jamais accepté. A Ilara à Kétou, dans la même maison, il y a des béninois et des nigérians. Les populations ont maintenu leurs positions et donc il y a toujours des problèmes avec les voisins à cause de ses frontières. Nous avons des économies qui se pénètrent.
Dans certains villages frontaliers, vous verrez des champs au Nigéria mais la maison est au Bénin. Comment parlez de frontière dans ces cas ? Donc la fermeture ne concerne que les points de passage officiels. Elle ne concerne pas les 800 kilomètres de passage qui nous séparent avec le Nigéria. C’est une fermeture partielle avec des conséquences sur le secteur privé. Celui qui fait le commerce avec les pays voisins a besoin de ces passages pour faire circuler sa marchandise. C’est ceux qui sont frappés par la frontière. Comme la situation pèse sur le secteur privé, les ressources de l’Etat sont touchées : les impôts, taxes et autres recettes douanières. Ce sont des impacts considérables sur la vie économique du pays. Au Nigéria aussi, l’impact est partagé. Il y a 650 petits marchés à Lagos. Tous s’approvisionnent en grande partie de la tomate venant d’Adjohoun, du piment de Kpomassè et de Sèmè-Podji, de l’ananas d’Abomey-Calavi, Zè et Tori. Tout est paralysé chez eux comme chez nous ici. Donc ces histoires de frontières désorganisent nos économies à tous. Actuellement la question n’est pas de se plaindre de cela mais de chercher à comprendre les raisons qui ont poussé le Nigéria à fermer ses frontières. Il avait déclaré 28 jours, nous sommes à 2 mois aujourd’hui et les frontières sont toujours fermées. Ensuite chercher comment cela impacte la vie des autres et voir les solutions alternatives qu’on peut y apporter. Sur la question aujourd’hui, la stratégie de l’Etat est de constater ces réformes. La diplomatie n’est pas suffisamment active pour faire face à la situation. Or nous connaissons la cause de la fermeture des frontières. Il faut que la diplomatie s’active pour voir les politiques à mettre en place pour soulager ceux qui sont victimes de cela. Chez les producteurs d’ananas, de tomates c’est la panique. Face à la crise de la tomate au Togo, j’ai appris que le gouvernement a décidé d’acheter 200 kilogrammes de tomate chez les producteurs pour les empêcher de la pénurie. C’est cette volonté qu’on ne remarque pas ici. Il faut la stratégie pour qu’on ouvre et la stratégie pour protéger les gens.
Qu’est-ce que le gouvernement béninois peut faire pour dénouer cette crise ?
Il faut que la diplomatie s’active.
Mais qu’est-ce que le gouvernement béninois pourrait faire pour résoudre le problème ?
Mais je ne sais pas. J’ai dit tout à l’heure qu’il faut que la diplomatie béninoise s’active. Je n’ai pas dit l’essentiel ?
Quels sont les accords que le Bénin pourrait signer avec le Nigéria pour mieux profiter de ce voisin ?
Buhari est un homme et nous le sommes aussi. Ce n’est pas la première fois que cette situation arrive. Mais comment est-ce qu’on faisait pour dénouer la crise avant ?
Vous savez, il fut une année ici, à cause de ces mêmes problèmes de contrebande, les nigérians avaient installé cinq camps militaires le long de leur frontière et sur notre territoire depuis Parakou jusqu’à Malanville. Chaque camp avait 1500 militaires. C’était vers les années 87. Le gouvernement révolutionnaire a couru et n’a eu aucune réponse. Il a fallu que deux individus se lèvent seulement pour résoudre le problème en moins de 15 jours. On a fait la conférence à Badagri et le jour où on faisait l’homologation de la conférence, les cinq camps sont partis sans négociation. Donc on a l’expérience sur la manière dont on gère ces problèmes. Et ceux qui ont fait cela sont vivants dans le pays, qu’est-ce qu’on fait d’eux ? C’est la question de fond ça. Donc il n’y a aucun problème qui n’ait pas de solution. Mais cela dépend de comment est-ce que vous l’aborder. Donc c’est pour cela que j’ai dit, la solution, c’est que la diplomatie s’active, si elle ne s’active pas, on restera là et si elle s’active du mauvais côté, on restera là.
Selon vous, faut-il peut-être que le Bénin essaie de voir des solutions quant à sa dépendance vis-à-vis du Nigéria ?
Si vous raisonnez tel que vous le faites là, la fermeture restera éternelle. Quelle est la dépendance que vous voyez vis-à-vis du Nigéria et comment se manifeste pour vous cette dépendance ? Donnez-moi des exemples.
Il y a la réexportation
Mais qui vit de la réexportation ?
Les opérateurs économiques béninois ?
Mais vous-même, vous n’en vivez pas ?
Justement…
Vous savez, la réexportation date de la guerre du Biafra. Les nigérians sont arrivés ici et ils nous ont dit : « si vous produisez tout, même le savon, nous allons l’acheter. Mais arrêtez de nous transformer en poubelle. C’est la poubelle, ce que vous faites venir du marché international. C’est le discours ça. Mais, il faut que vous sachiez, s’il n’y a pas un besoin, aucune activité ne peut exister. Donc si nous faisons de la réexportation, c’est parce qu’il y a un besoin quelque part. Donc soyons honnêtes et non uniquement à l’écoute du discours officiel. Mais posons-leur la question. Si le Bénin fait de la réexportation depuis 1966 et que ça continue aujourd’hui, c’est qu’il y a un besoin quelque part ; donc c’est ça le fond du problème. Je vais vous dire ceci et je crois l’avoir déjà dit une fois, tous les chiffres que produisent les nigérians là, aucun n’est juste sur leur pays, y compris l’effectif de leur population aujourd’hui évalué à 200 millions. C’est des conventions. Personne ne peut vérifier si le Nigéria compte effectivement 200 millions d’habitants. Vous savez comment se fait le recensement dans ce pays-là non ? Dans toutes les zones musulmanes, c’est le chef de famille qui vient se présenter à la porte pour dire : « chez moi, j’ai tel nombre de gens ».Vous ne pouvez pas vérifier or vous savez que la distribution des ressources de développement est proportionnelle à l’effectif de la population. Donc chacun a tendance à gonfler ou à diminuer. Or, face à un chiffre qui n’est pas juste, comment pouvez-vous organiser votre approvisionnement et de façon correcte ? C’est ça qui est à l’origine de la réexportation et on n’a pas péché. C’est eux-mêmes qui en sont à l’origine et on peut négocier sur cette base-là. Pire, on est en complicité avec eux. Vous avez jamais suivi ce que font les Ibo ? Ils sont partout dans nos villages ici, donc on est trop lié ? Le problème de fond, de mon point de vue est ailleurs. Parce qu’il suffit de peu pour qu’il y ait incendie ou pour qu’on éteigne. Les questions sont là et chacun joue sur ses forces pour frapper son ennemi ou son ami. C’est pourquoi j’insiste sur la diplomatie.
Qu’est-ce que la Zone de libre-échange continental peut apporter à notre pays, le Bénin ?
Vous savez, nos chefs d’Etats, ne peuvent pas ne pas agir et ils ne peuvent pas ne pas prouver à leurs populations, qu’ils travaillent et se soucient de leur bien-être. On n’a pas encore réglé la question de l’Uemoa dans la complémentarité du marché. Vous savez, l’Uemoa est créée depuis 1994 et l’Uemoa fait toutes les réformes macroéconomiques pour que le marché se réalise. Mais c’est 11% du commerce régional aujourd’hui. On n’a pas réglé cette question. Comment faire pour que le commerce de l’Uemoa quitte les 11% et on va s’asseoir à Kigali. On ne s’est pas posé la question de savoir, pourquoi, depuis, c’est 11% seulement de commerce qu’on fait dans l’Uemoa or vous savez très bien que ces 11% sont restés ainsi parce que nos économies ne sont pas complémentaires. Le Burkina fait du coton, le Bénin fait du coton, le Mali fait du coton. Qu’est-ce vous voulez qu’on échange entre nous ? Donc il faut régler ça. De la même manière, la CEDEAO, pareille. Nous sommes tous dans les économies du coton, du café, du cacao, de l’ananas, qu’est-ce qu’on va commercer ? Puis on saute ça et on va faire la Zone du libre-échange continentale. J’appelle ça la fuite en avant devant les responsabilités essentielles. Or, quand on va décider de ça aujourd’hui, c’est les grands pays qui sont organisés qui vont en profiter. La question de poubelle qui gêne aujourd’hui le Nigéria, c’est ça qui va s’intensifier encore avec la Zone de libre-échange continental pour les pays qui ne sont pas organisés. Qu’est-ce que vous allez mettre sur marché continental au Bénin ici ? C’est là la question de fond. Il ne s’agit donc pas de prendre une décision. Les pays qui sont intéressés par la Zone de libre-échange continentale aujourd’hui, c’est le Maroc. Vous voyez pourquoi, le Maroc voulait être membre de la CEDEAO ? Maintenant on l’a bloqué à ce niveau puis, il ne parle plus de la CEDEAO; le marché continental, c’est bien! L’Afrique du Sud, le Nigéria, la Tunisie, l’Egypte en partie, voilà les pays qui sont intéressés par la Zone continentale d’échanges. Dites-moi, le Bénin peut apporter quoi là-bas ? C’est une zone que les chefs d’Etats créent pour montrer aux gens qu’ils ne dorment pas. Mais son fonctionnement est lié à beaucoup de facteurs : la complémentarité des économies, la question des modes de payement. On n’a pas encore réglé la question monétaire. On peut faire un marché continental sans payer ? Mais avec quelle monnaie ? Et la question des infrastructures ? C’est autour de ses dispositions que se crée une zone continentale. Le Nepad a marché avec les voies transversales qu’on a mises en place ? Donc mes jeunes frères il faut que vous soyez très conscients de tout cela et exigeants envers vous-même et que vous écoutiez d’une seule oreille, les messages que colporte la communauté internationale par rapport à votre sécurité et votre bien-être. La zone continentale ne peut pas marcher si on n’a pas réglé la question de complémentarité des économies, la question des infrastructures de communication et celle des moyens de payement. Pour moi, c’est donc un discours au profit de quelques pays malins seulement.
Quels sont alors les défis auquel seront confrontés les pays ayant intégré la Zlecaf ?
Le premier défi, être les poubelles des plus organisées. Or en devenant les poubelles des plus organisées, vous serez toujours en train de vous appauvrir parce que vous consommez sans vendre. C’est ça. De toutes les façons, je ne suis pas sûr que ça marche. C’est des dispositions qu’on met en place. Tout comme, l’Uemoa, c’est des dispositions qu’on a mises en place, la CEDEAO, c’est des dispositions, mais les actions de la CEDEAO ont quand même réussi à avoir un succès : la libre circulation des personnes et des biens. Donc le premier problème qui va se poser à la Zlecaf, c’est la libre circulation. Vous êtes sûrs que les camerounais vont vous permettre de rentrer sans visas au Cameroun? C’est les questions sur lesquelles il faut s’entendre ça. Les préalables sont énormes et on ne s’est pas assis autour de ces préalables puis on décide. C’est pour cela que je dis que je n’y crois pas moi. Les préalables sont énormes à résoudre mais qui a pensé à ces préalables-là ?
Qu’est-ce qui justifie le fait que les Etats qui utilisent le franc CFA n’aient pas progressé au même titre que les autres pays africains ?
Les pays du FCFA ne progressent pas, ce n’est pas moi qui ait dit ça, C’est Guillaume, un spécialiste de la question, ancien professeur à Clermont-Ferrand. C’est eux qui forment les africains et les formatent pour qu’ils ne changent jamais de raisonnement et de mentalité. Je pèse bien mes mots. C’est eux que la France a mis dans la formation des élites africains pour bomber leurs cerveaux. Donc il a publié un rapport en 2016 et dans ce rapport, il a dit que le PIB nominal des pays africains de la monnaie CFA depuis l’indépendance n’a jamais progressé d’un iota. Le PIB de nos Etats n’a jamais progressé de façon réelle dans les chiffres qu’on avance. On fait des ajustements en fonction de la population mais le fond du problème reste. Quand vous comparez cette réalité par rapport aux pays à monnaie convertible comme le Nigéria et le Ghana, la Siéra Léone et la Gambie, leurs PIB progressent. La première conclusion à tirer est : le prélèvement colonial est très très fort dans les pays à utilisation de la monnaie CFA, dans la mesure essentielle de leur épargne qui devrait servir à doper la production d’impact sur place. D’accord, c’est l’inconvénient du franc CFA pour nous ça.
Le deuxième inconvénient est d’ordre technique. Dans la situation mondiale dans laquelle on est aujourd’hui, ceux qui gèrent la monnaie n’ont pas la maitrise technique d’une gestion de monnaie, notamment par rapport à l’arbitrage, avec les autres monnaies étrangères. Donc nous gérons des portefeuilles tellement simples. Nous-mêmes, nous avons intérêt à avoir des techniciens formés, compétents dans l’arbitrage monétaire sur le plan international. Comme nous ne gérons pas nos devises sur place, nous ne pouvons pas faire ça. Je ne sais pas si je me suis fait comprendre. Allez interroger la BECAO qui est là, s’ils ont des spécialistes sur la gestion de l’arbitrage monétaire international. La Gambie a formé des gens pour ça. Donc nous n’avons pas en gérance la monnaie CFA en faisant gérer les réserves par d’autres pays étrangers qui ont les compétences techniques dans la gestion monétaire sur lesquelles nous n’avons pas la compétence. Si le Bénin décide de sortir du FCFA, il faut qu’il recrute des experts pour lui gérer cet aspect. Quand j’étais au gouvernement, connaissant ma position de gauche, un expert de la BECAO m’a dit pardon, fait une communication en conseil des ministres pour qu’on commence à former des experts dans ce domaine-là parce qu’on ne peut pas rester à gérer les mêmes portefeuilles tous les jours. Je suis allé voir le président et il m’a dit si je suis sûr que cette monnaie va changer de sitôt… Je ne lui ai pas avancé des preuves inutiles et on est parti tous les deux déçus. Donc vous voyez non il y a trop de problèmes dans le franc CFA. Comment est-ce que vous pouvez avoir des économies que d’autres pays gèrent pour vous et vous ne pouvez pas avoir d’emprise sur cela pourtant c’est votre économie ? Ça c’est des questions sur lesquelles on doit nécessairement réfléchir.
La monnaie unique Eco gardera la parité entre l’euro et le franc CFA au début de sa mise en circulation. Pensez-vous que cela puisse permettre aux pays de la CEDEAO d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés en voulant rompre avec le franc ? Ou ce sera juste un changement de nom ?
Il n’aura pas de parité entre l’Eco et le Franc CFA dans la monnaie CEDEAO unique là. Les anglophones n’accepteront jamais ça, voilà ce qui se passe. Ça c’est des informations que je vous apporte en tant que journaliste vous pouvez vérifier ça. C’est Macron qui a appelé Macky Sall et Ouattara pour dire que depuis qu’il est arrivé au pouvoir, il y a eu beaucoup de contestations sur le franc CFA. Que lui ne peut pas ne pas anticiper sur le problème que les gens posent et comme anticipation il suggère de proposer la transformation du franc CFA en Eco dans le cadre de la monnaie unique ; puisse que c’est comme ça on a décidé d’appeler cette monnaie depuis des années. Au lieu que Macky Sall et Ouattara aillent discuter avec leurs pairs, depuis Paris ils font une déclaration et dans la perspective de la monnaie unique ils ont proposé que le franc CFA devienne Eco. Sans discuter avec Macron des modifications, des règles qui lient le franc CFA à la France monétaire. Or le Nigéria fait 70% des économies de la sous-région. Voilà où on en est aujourd’hui. Et je trouve que Buhari a raison parce que j’ai déjà dit ça dans l’interview qu’on m’a accordée. La monnaie, ce n’est pas de la blague ; si vous n’avez pas une économie forte, une institution forte il n’y a pas de miracle. Il faut une économie forte et une institution forte or aujourd’hui pour gérer une économie forte on a suggéré la convergence macroéconomique à tous les Etats. Ce sera très difficile à tous les quinze Etats membres de la CEDEAO d’arriver à trouver cette convergence ; parce que c’est un exercice extrêmement difficile lié à la conjoncture internationale et régionale qu’on n’arrive pas toujours à maitriser ; comme par exemple l’abondance des pluies au moment où les paysans ont besoin d’avoir une seconde saison sèche. Donc il y a beaucoup de choses qui faussent votre équilibre macroéconomique. Donc la convergence macroéconomique est un principe mais très peu d’Etats peuvent l’avoir, je ne sais pas si je me suis fait comprendre. Donc la création de la monnaie est un acte essentiellement politique. Aucun pays n’a créé la monnaie sur la base de la convergence macroéconomique. Mais si on fait cet acte économique il faut s’assurer de deux choses, qu’on dispose d’une économie qui permet de distribuer la monnaie et une institution forte que les gens vont respecter. La CEDEAO est une institution forte, l’Uemoa est une institution forte. Donc pour que cette monnaie unique soit forte, il faut que ça s’adosse derrière un Etat. Parce que si l’Euro marche aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui a mis toute sa fortune, toute sa force économique et sa rigueur de gestion. Donc il nous faut un Etat comme ça qui se porte garant pour gérer la monnaie unique sinon ça va être de la gabegie. Or on n’a pas encore trouvé cet Etat ; ce n’est pas qu’il n’y en existe pas. On n’y a pas encore pensé ; si on y pense on va en trouver. J’ai déjà fait cette conférence au sommet de l’Uemoa mais les gens ne m’ont pas écouté et je leur dit qu’une monnaie n’est pas seulement une question administrative. Or l’argument que les gens qui utilisent le franc CFA avancent est essentiellement administratif. Vous ne pouvez pas avoir 30% et vous imposez aux 70% qui restent.
Tout ce qu’on dit là, il y a une question qui se pose à nous tous qui est de notre liberté à décider de notre avenir. Si on n’a pas la liberté à décider de notre avenir mes jeunes frères, on sera dans la même condition de pauvreté dans cet univers, compléter pas la fuite. Parce que quand les gens sont pauvres et misérables, c’est la révolte qui s’ensuit… Donc il faut que nos chefs d’Etat prennent conscience de cela. Ce n’est pas la guerre. Il n’auront jamais la victoire par la guerre contre Boko Haram.. Ils n’auront la victoire que s’ils règlent de façon profonde la pauvreté dans les pays.
Le Bénin est auréolé d’une croissance économique encourageante alors que la population n’en ressent pas les effets. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Les questions de chiffres qu’avancent les autorités dans le monde sont une chose et la réalité est autre chose. L’Etat a besoin de donner une bonne image. Je vous ai dit que la difficulté à avoir des chiffres réels dans le Bénin est liée à plusieurs facteurs, dont deux sont importants. C’est un pays à deux systèmes monétaires. On ne peut pas prendre un seul pour évaluer pour dire qu’on a la solution. Et depuis qu’on a fermé la frontière quelle est son incidence sur les activités économiques ? On n’est à la fin de l’année. C’est pourquoi les populations ont développé d’autres stratégies qui dopent le secteur informel aujourd’hui.
Quelles sont les actions à poser pour mener le Bénin vers un développement durable ?
C’est très simple je ne crois pas qu’un pays peut utiliser la langue d’autrui pour s’en sortir. Nous qui sommes les élites, il faut que nous réglons ce problème de communication avec les populations à la base. Pour moi, c’est le BA Ba du développement. Je ne connais pas un pays qui porte la veste des autres pour dire qu’il va s’en sortir. Tous les pays indépendants d’Afrique sont dans cette contradiction. Deuxièmement même si nous sommes dans cette contradiction, il faut que nous mettions en place une stratégie qui puisse nous permettre de régler un problème essentiel pour moi. Quel rôle le Bénin veut jouer dans le concert des nations et de la société internationale ? On ne peut imiter quelqu’un et vouloir le dépasser, personne. C’est elle qui a le secret de ce que vous imitez, à tout moment, elle peut changer. Et si elle change, qu’est-ce que vous allez devenir ? Tant qu’on ne va pas régler ça le développement durable ne se fera pas.Transcription réalisée par la rédaction de L’économiste