Les relations entre le Président Patrice Talon et la diaspora béninoise vont decrescendo. En France, au Canada comme aux Etats-Unis, des voix s’élèvent de plus en plus pour contester la gouvernance de l’homme élu en 2016. Interrogé su la question, Dénis Assongba, ce promoteur atypique de la culture béninoise et qui réside aux Etats-Unis depuis 32 ans estime que ces soulèvements ne sont que les résultats de l’échec des diplomates béninois. Dans cet entretien qu’il nous accorde, ce Béninois distingué à titre exceptionnel par le feu Président Mathieu Kérékou n’a pas cligné des yeux pour nous expliquer le comportement des diplomates béninois qui a conduit au climat actuel qui règne entre la diaspora et le régime en place. Enfin, le promoteur du Festival Africa vodoun a-t-il fait des propositions au Chef de l’Etat après avoir confessé tout son amour pour ses initiatives successives. Lisez plutôt !
L’Economiste : M. Assongba, depuis quelques semaines, la diaspora béninoise aux Etats-Unis donne de la voix contre la gouvernance du Président Talon. Comment appréciez-vous cette dynamique ?
Dénis ASSONGBA : Ce n’est de rien de nouveau. Et à mon avis, ce n’est pas la première fois qu’on constate de tels élans de la part de la diaspora béninoise aux Etats-Unis. Vous savez, chacun est libre de prendre les positions qu’il veut. C’est même cela que l’essence de la démocratie….
Et pourquoi maintenant ? C’est ce qu’on n’arrive pas à comprendre
Le Président Patrice Talon fait bouger les lignes. Il y a tellement de reformes que je me demande si cet homme arrive à dormir. Or, toute réforme va avec des changements d’habitudes. Cela dérange forcément. Ce n’est pas que la diaspora, au fait. Même au pays, il a des résistances. Et c’est normal. Certains citoyens ont perdu des avantages. N’attendez pas d’eux qu’ils applaudissent.
Jusqu’à une période récente, il suffisait juste d’avoir un parent à la présidence pour faire réussir son enfant ou un proche parent à un concours de recrutement à la fonction publique. Aujourd’hui, ce rêve est étranglé. Rien que cet exemple est suffisant pour attester de ce que Talon, faisant du bien au plus grand nombre se fait tout en même temps des ennemis.
C’est quoi alors directement le problème de la diaspora dans cette affaire ?
(Sourire) La diaspora quoi que vivant ailleurs est indirectement touché par ces réformes. Pire encore, les représentants de l’Etat ici aux Etats-Unis passent à côté de leurs missions et c’est ce qui envenime plus encore la situation. Notre représentation diplomatique devrait servir de pont entre cette diaspora et le pouvoir en place. Loin de rassembler, c’est elle qui divise les membres de la communauté et jette de la boue sur tout ce qui est construit au pays. Que voulez-vous à la fin ?
Ce qu’on voit là, la révolte de certains membres de la diaspora contre le régime en place découle de l’échec de la mission de nos diplomates. N’allons pas chercher ailleurs ; les diplomates éloignent la diaspora de Taon.
Nous vous entendons très souvent faire des critiques désobligeantes sur la conduite de ces diplomates béninois aux Etats-Unis. Pourquoi une telle démarche ?
(Etonné). Désobligeantes ? Mais… non. Je ne suis aucunement guidé par une intention malveillante. Mon objectif n’est pas de faire du mal à qui que ce soit. Et c’est malheureusement ce que certains ne comprennent pas. Que gagnerais-je, par exemple à salir la réputation ou la renommé d’un diplomate ? Mais rien.
Ce que je vise à travers ces dénonciations, c’est un changement de comportement. Il y a une tendance, une dynamique que nous constatons avec les diplomates béninois qui sont envoyés ici et qui ne sont pas de nature à faire avancer les choses. Ne me demandez pas de me taire face à certains abus.
M. Assongba, de quoi parlez-vous concrètement ?
Ecoutez ! Lorsqu’une autorité diplomatique qui est payé sur le budget de l’Etat, que dis-je ? Un diplomate qui est entretenu à l’étranger avec l’argent des contribuables et qui, par exemple trouve le temps qu’il faut pour aller créer des difficultés à un ressortissant Béninois dans son emploi ; mieux encore lorsqu’il s’échine carrément pour lui faire perdre son boulot…. Et ce que je dis là s’est passé ce mois-ci. Lorsqu’un diplomate n’encourage pas ses compatriotes dans leurs initiatives mais les boycottent carrément…. Lorsqu’un diplomate refuse de recevoir un compatriote qui frappe aux portes de son ambassade…. Lorsqu’un diplomate ne cesse de dire à ses enfants de ne jamais penser à leur pays…. Et C’est sérieux en plus…. Lorsqu’une autorité consulaire oblige son compatriote à se faire établir une seconde carte consulaire quoi qu’il détienne une de régulière… lorsqu’une autorité consulaire sème la zizanie dans la communauté au lieu de travailler à résoudre les petites crises qui s’y naissent… Jamais, je ne pourrai vous raconter tout ce que j’ai entendu de la bouche de ces diplomates et tout ce que mes pauvres yeux les ont vu faire au cours de mes 32 ans de vie ici…
Est-ce grave à ce point ?
(Calme). C’est simplement scandaleux, mon cher journaliste. Notre diplomatie ne marche pas. Elle ne pourrait, jamais marcher dans ces conditions. Le problème, ce n’est pas Talon, ce sont les diplomates. Quelle est, au fait le gain de notre représentation diplomatique aux Etats-Unis ? Il n’y a pas que le Bénin qui soit représenté ici aux Etats-Unis. Mais la conduite des autres diplomates n’est pas similaire à ce qu’on observe chez les nôtres. Tenez, j’ai été impressionné par exemple d’entendre des togolais raconter comment, malades et hospitalisés, ils ont reçu la visite de leur ambassadeur. Cela n’a l’air de rien mais ça rapproche tout de même les citoyens de leurs diplomates. Mais quand vous entendez votre ambassadeur vous jeter à la figure qu’il n’est pas là sur concours et qu’on peut même le rappeler mais qu’il s’en fou. C’est décevant. Les diplomates béninois qui vous disent qu’ils ne sont pas là pour vous mais pour représenter le Bénin auprès de l’Etat américain.
Cela ne semble pas faux…
Mais c’est très faux. Ils ne font justement rien dans ce cadre là aussi. C’est un pur formalisme que notre ambassade ici. Nos ambassadeurs ne font rien. Qu’est-ce qu’ils ont négocié déjà cette année pour le peuple béninois auprès de l’Etat américain sans que ce ne soit déjà des projets et programmes traditionnels des américains aux pays pauvres ? Il m’est, même arrivé déjà de négocier des bourses d’études pour les étudiants béninois et qu’il ne suffisait pour notre ambassade que de ratifier mes négociations par une confirmation de mails. Vous ne me croirez pas si je vous disais que malgré les relances successives de l’Université de New York, l’ambassade n’a jamais daigné confirmer ce mail.
Cette distance de l’ambassade ne s’explique t-elle pas par le comportement de certains compatriotes de la diaspora ?
(Désolé) Non. Aucun comportement. Une ambassade est essentiellement attachée à deux fonctions et on n’a pas besoin d’aller à l’école pour en parler. Premièrement, représenter son Etat auprès de l’Etat d’accueil et y défendre ses intérêts ; secundo, protéger les intérêts de ses ressortissants dans l’Etat d’accueil. Si c’est le cas, comment comprendre que l’ambassade ferme ses portes à ses ressortissants et refuse de les recevoir ? Cela sort de l’ordinaire. Quelque soit le problème qu’il y a, tout ambassadeur doit s’atteler à venir au secours des ressortissants de son Etat. Les nôtres doivent avoir une mission insolente.
Pensez-vous que cette diaspora peut contribuer au développement de son pays ?
Le rôle joué par la diaspora dans l’évolution d’un pays est significatif. Allez le demander où vous voulez. Dans leur fonction quotidienne, ils rencontrent les hommes d’affaire, les bailleurs de fonds ; ils drainent des capitaux vers leur pays. Je dirais simplement que la diaspora est incontournable dans le processus de développement d’un pays. L’appréciation de la gouvernance d’un pays par sa diaspora est un facteur déterminant dans la considération de cet Etat par les institutions internationales. Or, ce sont elles qui décident de tout. L’ONU, le FMI, la banque mondiale…. La diaspora peut influencer la relation de celles-ci avec le pays.
Il y a une autre façon de mesurer la contribution de la diaspora au processus de développement du pays. Rien qu’en 2017, le montant des fonds envoyés dans les pays à revenus faibles ou moyens a atteint 466 milliards de dollars contre 429 milliards en 2016. L’African Institute for Remittances (AIR) avait déjà estimé à 65 milliards de dollars le montant des transferts de fonds de la diaspora africaine en direction du continent ; un montant qui fait plus du double de l’aide publique au développement pour l’Afrique. C’est pour montrer un peu ce que peut apporter une diaspora à un pays.
Cela dit, il y a d’autres facteurs qui doivent être pris en compte. On peut bien s’interroger, et vous avez raison de le demander, si a diaspora, cette diaspora béninoise peut contribuer de façon efficiente au développement du pays. Tel quel actuellement, la diaspora béninoise n’est pas rentable pour le Bénin. Il s’agit d’une diaspora divisée, finalement déconnecté de son pays d’origine dont il a presque honte. Ce n’est pas ainsi qu’il pourra penser à son émergence.
Et alors ?
Chacun des membres de la diaspora devrait s’engager et s’impliquer d’avantage. Moi, j’ai choisi le volet culturel du PAG (NDR : Programme d’actions du Gouvernement). Il faut que chacun mette la main à la pâte. C’est cela la solution.
Les autorités ne semblent pas aimer vos analyses….
Et c’est dommage. On me taxe même d’opposant, d’après ce qui m’a été rapporté. Et cela me fait rire. A quoi serais-je un opposant ? Si c’est à la conduite de ces vautours des contributions des pauvres béninois, alors je le suis. Autrement, je ne vois pas de quoi l’on parle. Mon amour pour Patrice Talon est connu. Il a des idées qui me plaisent et je sens chez lui de la volonté. C’est important pour la relève d’un pays comme le Bénin. Je ne peux pas être opposant à sa politique. Je ne suis, d’ailleurs demandeur de rien. Allez vous renseigner à l’Ambassade. Plus encore, c’est moi qui y fais encore des dons et ne cesse, même de me montrer disponible pour d’autres besoins. Ce n’est pas parce que je suis riche, ni parce que je ne sais pas quoi faire avec mon ragent. C’est juste parce que j’aime mon pays et je fais de mon mieux pour qu’il ait une bonne réputation à l’étranger. Et c’est malheureux que je sois resté incompris jusque là. Récemment, j’ai organisé un festival pour honorer le Bénin, un projet dans lequel j’ai dépensé moi-même près de 12 mille dollars et soyez rassuré que je n’y ai vu aucun diplomate. Voilà de quoi nous parlons.
Quelle est, selon vous la solution à tout ceci ?
Le Président de la République devrait mieux s’entourer. Il est important que ses collaborateurs s’inscrivent dans la même dynamique que lui et voient dans la même direction que lui. Autrement, je dis que c’est un gaspillage de temps et d’énergies. Il doit redéfinir les missions des diplomates béninois ; des consignes clairs et les mettre au service de la diaspora.
Il y a quelques jours, l’Université de New York a mis sous les feux de rampe le Bénin dans tous ses attraits culturels, artistiques, littéraires, etc…. Ne me demandez pas combien de béninois étaient à ce rendez-vous et ne me demandez pas non plus si c’est vrai que ce sont des nigérians qui ont préparé les mets béninois. J’ai eu grand honte quand les organisateurs ont exposé publiquement avoir, pourtant informé les autorités diplomatiques béninoises depuis le mois de Juin. C’est scandaleux.
Un mot pour conclure cet entretien ?
Je remercie le Chef de l’Etat que j’encourage vivement dans les réformes qu’il a lancées. Quand on force les choses, on a forcément des adversaires et des ennemies mais cela ne devrait pas être un facteur de découragement. Je voudrais profiter de cette opportunité pour me rendre aussi disponible sur les projets de promotion de la culture béninoise ici aux Etats-Unis. Tout peut nous diviser mais le Bénin et sa culture pourraient nous rassembler et solidifier nos liens.
Enfin, je voudrais prier nos frères et sœurs de la diaspora d’accompagner l’Etat dans la résolution des problèmes qui entravent la quiétude de nos parents restés au pays. Le bruit ne fait pas du bien ; le bien ne fait pas du bruit, disait St François de Sales. Et c’est à cette sagesse que je voudrais nous convier. Je vous remercie.