Chaque jour quelque part en Afrique, les économistes prédisent que l’économie de tel pays va croitre de tel pourcentage en telle année. Cependant, il semble que ces informations, souvent décrites comme une bonne nouvelle par des membres des gouvernements et leurs alliés, constituent un non-évènement pour les pauvres (près de 500 millions) dont les conditions de vie continuent de s’empirer. Pourquoi la croissance n’a aucun effet sur la vie des pauvres ?
Issa DA SILVA SIKITI
Bien qu’il écoute les informations à la radio et à la télévision, David avoue que le volet économique du journal ne l’intéresse pas. « Je me concentre sur les informations politiques, environnementales et sportives et un peu sur la santé. Les histoires de croissance économique sont des mensonges concoctés par les États et les économistes pour nous distraire. C’est simple, ces sont des mythes qui n’ont rien à avoir avec la réalité car ils n’ont aucun impact sur nos vies », déclare-t-il à L’économiste du Bénin.
Dans un rapport publié en mai 2024, pour le compte de l’University of Notre Dame et du London’s King’s College, Paddy Carter, Michele Davies, Eva Dziadula, Joseph Kaboski et Paul Segal révèlent les raisons de la frustration de David à propos de la « mythique » croissance économique : « La croissance ne parvient pas à réduire la pauvreté lorsqu’elle est concentrée dans des secteurs qui profitent principalement aux élites, sans créer beaucoup d’emplois et avec peu de retombées sur le reste de l’économie, et lorsque les gouvernements ne parviennent pas à générer des recettes et à augmenter les dépenses dans les services publics et les programmes sociaux ».
Et d’ajouter : « La croissance ne parvient pas à réduire la pauvreté lorsque les liens économiques avec la vie des pauvres sont faibles et que les gouvernements ne parviennent pas à en utiliser les bénéfices pour encourager la diffusion de l’activité économique ou pour des programmes de lutte contre la pauvreté ».
Les élites au banc des accusés
Souvent pointés du doigt pour leur rôle prédominant dans la progression de la pauvreté sur le continent, les élites africaines rejettent parfois le blâme sur les pays colonisateurs qu’ils accusent d’être à la base du malheur éternel des populations africaines. « C’est faux, c’est elles (élites) les coupables qui détournent les deniers publics et s’accaparent de la majorité des marchés publics. Les économistes qui nous cassent les oreilles avec ces chiffres mythiques de croissance font aussi partie de ces élites », se plaint une source en colère.
Selon Alexandre Moreau et Kevin Brookes, experts en sciences politiques, cités par le journal canadien Le Devoir, réduire la pauvreté reviendrait à miser sur les politiques publiques créatrices de richesse comme la réduction du fardeau fiscal, la libéralisation du marché du travail, la lutte contre la corruption et la libre circulation des biens et des services.
« Toute politique allant à l’encontre (entre autres) de ces grands axes génère des effets pervers en permettant trop souvent à des petits groupes de s’enrichir au détriment de la grande majorité des consommateurs et des contribuables », ont-ils martelé.