Le secteur postal s’avère un pilier essentiel pour l’inclusion financière, mais reste confronté à des écueils qui empêchent de libérer les chaînes de valeur dont il recèle. Dans un contexte de déficit de financement et d’infrastructures, le défi est grand mais pas insurmontable pour les acteurs.
Aké MIDA / Photo : Infrastructures postales
Dans l’hypothèse d’une absence totale d’infrastructure postale, le produit intérieur brut (Pib) annuel d’un pays subirait une réduction médiane de 6,96 %, d’après le Rapport sur la Situation du secteur postal en 2023 intitulé « Voie hypercollaborative vers le développement postal » de l’Union postale universelle (Upu). Cette révélation témoigne de l’importance du secteur et de la forte corrélation entre développement économique et développement postal, éclipsant le taux habituel de contribution directe des services postaux au Pib qui se situe généralement entre 0,5 et 1 %.
Les chiffres sont particulièrement éloquents en Afrique où le secteur a généré un revenu cumulé de 890 millions de dollars Us sur un Pib cumulé d’environ 2 980 milliards de dollars Us en 2022. Au total, 65 % de ce Pib provient du secteur financier dont 35 % de la poste traditionnelle. Avec plus de 25 000 bureaux et 59 048 employés l’année dernière, le secteur postal africain reste un pilier essentiel pour l’inclusion financière, selon le consultant-formateur Parfait Enagnon Agblonon, ancien directeur général de la Poste du Bénin. Mieux, renchérit-il, il permet de développer la logistique et ainsi, la résilience économique du continent.
Le secteur postal joue un rôle essentiel dans la connectivité des régions éloignées, des communautés mal desservies, facilitant ainsi le commerce, le transport de biens et de services, et la distribution de courriers, colis et marchandises. Cependant, de nombreux pays africains sont confrontés à des contraintes financières qui entravent le développement et l’amélioration de leurs services postaux, signale Judith Baï Glidja, directrice générale de La Poste du Bénin.
Enjeux de financement
Où trouver de l’argent pour construire une poste forte, durable et résiliente ? La question était au cœur du forum sur le financement du secteur postal en Afrique tenu du 21 au 23 novembre dernier à Cotonou. Les enjeux liés au financement du secteur postal en Afrique sont multiples et incluent la modernisation des infrastructures postales, la formation du personnel, l’adoption de nouvelles technologies, la diversification des services et la compétitivité sur un marché en constante évolution, estime Judith Glidja. De plus, poursuit-elle, la numérisation croissante des communications a un impact sur la demande de services postaux traditionnels, ce qui nécessite une adaptation stratégique pour assurer la viabilité du secteur.
Il est question de travailler à créer des infrastructures de connectivité de classe mondiale pour permettre au secteur postal de jouer pleinement son rôle. L’on se rend compte de l’ilportance de la contribution du secteur postal dans la réalisation de chacun des objectifs de développement durable (Odd). « Le secteur postal peut apporter une contribution pertinente à la réalisation de chacun des Odd ».
Au nombre des obstacles à l’essor du secteur, l’expert souligne les tensions géopolitiques et les conflits, l’inadéquation du réseau postal par rapport aux besoins multiples et multiformes des clients, l’accès limité aux technologies de pointe, les difficultés de régulation du secteur informel qui représente au moins 36 % du Pib en Afrique. Aussi, le secteur postal travaille sur un marché contestable et reste à forte intensité de main-d’œuvre au lieu d’être un secteur à forte intensité de connaissances, ajoute-t-il. Cela suppose le recrutement des talents et le développement des compétences dans le secteur. Il s’agit aussi de combler le déficit crucial en infrastructures. La Banque africaine de développement (Bad) estime à 108 milliards de dollars par an le besoin de financement en infrastructures en Afrique.
Leviers
Pour Judith Glidja, les changements voulus dans le secteur postal ne peuvent être opérés sans un accompagnement de l’Etat et d’autres acteurs stratégiques. En effet, explique-t-elle, selon les besoins spécifiques du secteur postal et les objectifs gouvernementaux, cet accompagnement peut se matérialiser par des investissements directs, la mise en place d’un environnement réglementaire favorable, des exemptions fiscales, d’un soutien à l’innovation, le développement des politiques de service universel postal.
Pour sa part, l’expert Parfait E. Agblonon se demande s’il ne faut pas se tourner vers les banques de développement et les banques commerciales, les caisses de dépôts et de consignation, l’épargne dormante des fonds de pension ou les marchés financiers, au lieu d’attendre les fonds gouvernementaux avec les contraintes qui sont les leurs. Il suggère de nouer des partenariats avec le secteur privé, tout en mettant l’accent sur l’innovation, le montage des projets éligibles et bancables et les meilleures pratiques visant à lever les goulots d’étranglement du secteur.
Pour ce faire, il importe d’agir sur quatre leviers pour relever le défi du financement du secteur postal, selon l’expert. Il cite : la connectivité et la digitalisation des réseaux, la mise en place d’un parcours client performant, l’appui à la transition énergétique et l’innovation ouverte ou l’hypercollaboration, notamment l’ouverture aux start-up capables d’accompagner le développement du secteur postal.
Pour lui, l’entrée en vigueur le 1er janvier 2021 de l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) constitue une « grosse opportunité » pour le développement du secteur postal, en ce sens que le marché continental représente 3 400 milliards de dollars. L’investissement d’un montant record de plus 2 milliards de dollars consenti en 2021 dans les entreprises de technologies financières en Afrique est aussi une occasion à saisir. Les acteurs postaux devront trouver les voies et moyens pour convaincre les Etats et les institutions à mieux investir dans ce secteur porteur, recommande-t-il.