Avec des investissements massifs, le Bénin mise sur la noix de cajou pour se doter de filières à forte valeur ajoutée. Mais compte tenu de la concurrence extérieure, la branche transformation met à mal cette vision.
Félicienne HOUESSOU
Surnommée « l’or gris », la noix de cajou prend de plus en plus d’importance et est considérée dans de nombreux pays comme une « solution miracle » en raison de son potentiel diversifié. Comme le reste des producteurs africains (Côte d’Ivoire, Nigeria, Guinée Bissau), le Bénin exporte la grande majorité des noix sous forme brute, principalement vers l’Inde. Selon le cabinet de statistiques agricoles Planetoscope, c’est un manque à gagner considérable, puisqu’une fois transformée sa valeur est presque doublée. Elu en 2016, le président Patrice Talon, bien décidé à changer la tendance en favorisant la transformation des matières premières locales, a fait de la noix de cajou un des secteurs prioritaires via son programme agricole « Cajou demain ». Après trois années, le bilan est écœurant. Certes, on note de bonnes performances tant dans la production que dans l’exportation. Mais du côté de la transformation, les prix objectifs affichés sont peu satisfaisants. Nombre d’obstacles empêche ce secteur de sortir du gouffre.
Primo, les transformateurs subissent une double concurrence de la part des indiens et des vietnamiens qui occupent le marché mondial avec près de 75% des ventes. Les transformateurs indiens raflent la noix de cajou béninois parce qu’elle présente un bon grainage et fournit l’amande la plus blanche et est très prisée. Ceux-ci sont prêts à surenchérir le coût de la tonne pour gagner le monopole des importations de noix de cajou béninois.
Secundo, les transformateurs béninois n’ont pas accès au marché indien (très rémunérateur) pour la vente de leurs amandes blanches, du fait de très fortes taxes à l’importation. Ils se tournent donc vers les marchés européens et américains qui s’alignent sur les prix vietnamiens, sans tenir compte de la qualité exceptionnelle des amandes blanches béninoises.
Tertio, l’écart des coûts de transformations entre le Bénin et ses concurrents est énorme : 250 dollars (147.962 FCFA) la tonne au Vietnam, 350 dollars (207.147 FCFA) la tonne en Inde et 475 dollars (281.128 FCFA) la tonne au Bénin. Le coût de la transformation est nettement plus élevé au Bénin que dans les deux autres pays. Selon les transformateurs béninois écoutés, cette situation s’explique de trois différentes manières : le surcoût d’installation et de maintenance des équipements de l’ordre de 40% par rapport aux unités asiatiques ; le coût de transformation supérieur à 50% de celui des transformateurs asiatiques, d’un coût de l’énergie inférieur, de programme de mécanisation et d’autonomisation soutenus par l’Etat ; le coût financier plus élevé d’environ 50% en Afrique par rapport aux transformateurs asiatiques, compte tenu des taux d’intérêt plus élevés pratiqués chez nous et du fait que l’Asie s’approvisionne en noix d’origines différentes tout au long de l’année contrairement aux transformateurs africains qui ne s’approvisionnent que dans leur propre pays et doivent supporter une charge financière liée à la gestion de leur stocks. De plus, lors de la transformation, les vietnamiens enregistrent au plus 15% d’amandes cassées. Contrairement au Bénin qui va jusqu’à 45% d’amandes cassées. Alors que cassée, l’amande blanche rapporte moins en termes de valeur ajoutée.
De mal en pire
La rentabilité des transformateurs de noix de cajou se situait entre 0 et 10% du chiffre d’affaires. En 2018, tout s’est détraqué. Situation : en début de campagne, les acheteurs étrangers d’Afrique de l’ouest et surtout au Bénin ont fait monter les prix jusqu’à un million FCFA la tonne bord champ. Dans le même temps, le prix des amandes blanches qui était supérieur à 5 USD/lb (environ 3000 FCFA), a chuté jusqu’à 3,3 USD/lb (environ 2000 FCFA). Résultat : les transformateurs béninois se sont retrouvés, piégés entre le prix élevé de la matière première et un produit fini qui avait chuté de 30%. Selon le PDG de Fludor Bénin, Roland Riboux, les pertes occasionnées s’évaluent à 400 dollars la tonne (environ 240 millions FCFA par millier de tonne).
Une mine d’opportunités mais sous menace
Sur ce marché concurrentiel dominé par l’Inde (25% des 2,2 millions de tonnes de production mondiale), le Bénin est un des principaux producteurs du continent africain avec 100.000 tonnes récoltées sur les deux dernières campagnes. Outre l’augmentation de la production locale, la transformation est le moyen pour permettre au pays de mieux profiter de la filière noix de cajou.
L’amande, qui ne représente que 22% de la noix, n’est pas le seul élément dont le pays peut tirer profit. Une dizaine d’entreprises locales, dans le nord et le centre du Bénin, utilisent les pommes de cajou, le pédoncule charnu, de couleur jaune à rouge, qui se trouve au-dessus des noix, pour les transformer en jus de fruits. Quant aux coques, elles sont utilisées dans les cimenteries. A en croire Roland Riboux, le nouveau produit dérivé, le baume de cajou remplace des produits chimiques et a de nombreux usages industriels : dans certaines peintures, des systèmes de freinage, dans l’aéronautique et même dans l’industrie pharmaceutique.
La chaîne de valeur de l’anacarde dans son ensemble offre ainsi une plate-forme pour l’autonomisation économique des femmes et l’emploi des jeunes. Les estimations de l’initiative du Cajou Compétitif, Com Cashew, un projet GIZ régional de partenariat public-privé en dit long. « Près de 400 000 emplois ont été créés au cours des 9 dernières années dans la production de noix de cajou, dont 40% étaient réservés aux femmes », peut-on retenir.
Mais ce pan de la filière est dans de sales draps. Sur une production effective de l’ordre de 27 000 tonnes de noix de cajou brutes transformées annuellement (pour une capacité de 60.000 tonnes), les unités perdraient environ 2 milliards FCFA dans l’année (soit 88 425 FCFA par tonne). Des contre-performances qui ont récemment provoqué la fermeture des portes de la sectionCajou de l’entreprise Fludor Bénin après trois années d’investissement et de travaux. Le premier responsable de cette société, révèle avec désolation « nos autres activités s’en portent plutôt bien car ce sont elles qui couvraient les pertes de la transformation des noix de cajou ». Et pourtant, stimuler la production nationale de cajou et relever le défi de la transformation locale, étaient deux objectifs prioritaires du Programme d’actions du gouvernement (PAG), qui veut faire de cette noix le deuxième produit d’exportation du pays après le coton. Si l’on se réfère aux données estimées par le spécialiste N’Kalô, la production s’accroît plus vite que la transformation dans les pays de l’Afrique de l’ouest. Mais au Bénin, la situation est autre.