Le sommet Finance en commun (FiCs), qui s’est tenu du 18 au 20 octobre 2022 à Abidjan, était l’occasion pour plus de 500 banques de partager leurs expériences en matière de financement climat. La question de la transition énergétique en Afrique était au centre des débats. Mais pas que cela…
Falco Vignon
« Nous avons tout en commun. Et c’est seulement en commun que nous forgerons la puissance d’une finance climatique mondiale aux transitions justes, vertes et positives. C’est tout l’objet de ce sommet qui ne doit pas être un sommet de plus, un sommet vague, un sommet de paroles et de promesses, mais un sommet d’engagements, d’actes, de courage et d’audace ». C’est sur ces mots que Patrick Achi, le Premier ministre ivoirien, donnait, mercredi 19 octobre, le coup d’envoi de la troisième édition du sommet Finance en Commun (FiCs), au Centre des conférences du Sofitel d’Abidjan.
L’événement, co-organisé par la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque européenne d’investissement (BEI) pour la première fois en Afrique, a réuni, pendant deux jours, plus de 500 banques publiques de développement (BPD) dans le monde autour de la thématique de la transition énergétique juste en Afrique. Une grande assemblée générale avant la COP 27, qui aura lieu en Egypte, au mois prochain ; les BPD veulent accorder leurs violons sur plusieurs points.
« Ces deux dernières années, nous avons renforcé nos engagements en matière climatique. Dans le contexte actuel, certains pourraient penser à rétropédaler. Je pense que nous devons maintenir le cap », a déclaré Werner Hoyer, président de la BEI, en insistant sur le fait que « la COP 27 sera la COP de la mise en œuvre ». Même son de cloche chez Akinwumi Adesina, président de la BAD : « S’il y a jamais eu un moment pour travailler ensemble et financer ensemble, c’est bien maintenant. C’est pourquoi, ensemble, dans le cadre de la finance en commun, nous devons faire davantage pour mettre en commun nos ressources et optimiser les réserves de capitaux du secteur privé pour le financement du climat. ». Alors que les promesses d’accompagner l’Afrique dans sa transition énergétique et à faire face aux réchauffements climatiques peinent à être tenues, les banquiers du développement veulent surtout, d’une seule voix, changer la donne et mettre le pied sur l’accélérateur.
D’autant que sur les 100 milliards $ par an promis par les pays développés au continent, seulement 19 milliards $ ont été déboursés à quelques semaines de la COP 27. De plus, le continent est de loin le plus touché par les effets climatiques néfastes. Dans un rapport de la BAD, abondamment cité par les parties africaines lors du sommet, les experts montrent que sur les 10 pays les plus touchés par les changements climatiques, 9 sont en Afrique. Une autre réalité est que les pays africains les plus touchés sont ceux qui sont les moins lotis en matière de financement. Un double constat amer partagé par les participants. « L’Afrique, qui ne représente que 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, souffre de manière disproportionnée du changement climatique, avec des pertes de 7 à 15 milliards de dollars par an, qui devraient atteindre 50 milliards de dollars par an d’ici 2035 »,constate amèrement Akinwumi Adesina, alors que les besoins de financement s’alourdissent de jour en jour, à mesure que la planète enchaîne les crises.
Renforcer les mandats des BPD
Face à ce gap, Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD), a appelé les gouvernements à renforcer les mandats et les capacités financières des BPD en canalisant notamment les droits de tirages spéciaux vers les Banques multilatérales de développement (BMD). Une option sur laquelle la BAD, pionnière, a concentré la plupart de ses plaidoyers depuis le début de la Covid-19.
« La fourniture de DTS supplémentaires par l’intermédiaire des BMD peut compléter les efforts du FMI. La BAD est en mesure de mobiliser trois à quatre fois le montant des DTS, grâce à l’effet de levier et de levée des ressources importantes pour les investissements en Afrique et pour la recapitalisation des institutions africaines de financement du développement, dans le cadre du programme « Finance en commun », affirme Akinwumi Adesina.
Une force de frappe
Selon la base de données des BPD constituée dans le cadre du FiCs, on dénombre dans le monde 522 établissements, dont 20% en Afrique. Elles totalisent 23 200 milliards $ d’actifs, et représentent 12,5% des nouveaux investissements qui sont faits chaque année, soit 2300 milliards FCFA. Pour Alvaro Lario, président du Fonds international de développement agricole (FIDA), les banques de développement ont une véritable force de frappe, par leur expertise, et aussi par leur volume de financement. C’est d’ailleurs ce qui motive Rémy Rioux à inciter l’ensemble des 522 BPD à suivre les pas des institutions financières de développement qui font déjà partie de l’International Development Finance Club (IDFC), un réseau de 27 banques de développement nationales, régionales et bilatérales. Dans ce creuset, on retrouve la BAD, la BOAD, l’Africa Finance Corporation ou la Bank of development of southern Africa. Soit plus de 4 000 milliards $ d’actifs. L’an dernier, « le club IDFC a atteint un record de 224 milliards $ de financement vert en 2021. Il s’agit d’une augmentation de 20% par rapport à 2020. Si toutes les banques multilatérales de développement s’engageaient à consacrer 20% de leurs engagements annuels à la finance verte, elles pourraient octroyer plus de 500 milliards $ de financement climatique par an, ce dont nous avons besoin pour faire face au changement climatique », plaide pour sa part Rémy Rioux.
La BAD à l’avant-garde
La BAD, de son côté, a annoncé qu’elle continuerait à soutenir les pays africains dans le renforcement de leur dispositif de production alimentaire. Ainsi, elle revendique avoir déjà débloqué, en « un temps record », 1,13 milliard $ pour 24 pays dans le cadre de sa « Facilité de production alimentaire d’urgence », dotée d’un portefeuille global de 1,5 milliard $. La facilité devrait aider 20 millions d’agriculteurs africains à produire rapidement 38 millions de tonnes. « Nous avons été très rapides. Dans les 45 jours qui ont suivi le lancement de la Facilité, la Banque a approuvé l’octroi de 1,13 milliard $ à 24 pays, et nous espérons atteindre 35 pays d’ici la fin de l’année », a détaillé Akinwumi Adesina, en rappelant que son institution prévoyait en tout d’investir 10,5 milliards $ dans l’agriculture au cours des cinq prochaines années. Un gros portefeuille qui, à lui seul, ne suffira pas à faire face à l’ensemble des besoins agricoles du continent.
Falco Vignon