Au Bénin, si l’environnement juridique est désormais favorable à la maîtrise de la fécondité avec le vote de plusieurs lois sur la santé sexuelle et de la reproduction (SR) dont la loi N°2021-12 du 20 décembre 2021 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la SR, les normes et facteurs socioculturels, principalement le pouvoir décisionnel de l’homme, demeure un obstacle à l’utilisation de la contraception. Une situation qui compromet la vie des femmes et plombe les efforts de développement entrepris par le Gouvernement en matière de santé, d’éducation, d’emploi et d’environnement pour la capture du dividende démographique.
Falco VIGNON
« Je suis le chef de famille et c’est moi qui décide du nombre d’enfants à faire. Mes épouses n’ont pas à s’imposer à moi. Si elles osent, je les renvoie. L’enfant est une richesse et étant agriculteur, j’en ferai autant pour avoir la main d’œuvre », raconte Bernard T., la cinquantaine révolue, qui ne passe pas pour un inconnu à Datinonko, Commune de Tori-Bossito dans le Département de l’Atlantique.
Plus jeune que Bernard, Ramane a 23 ans. Réparateur de vélo à Cotonou, le jeune homme, qui se prépare à fonder un foyer, n’admet pas qu’une femme sans enfant utilise les méthodes contraceptives. « Moi, je ne peux pas admettre que ma copine sur qui j’investis, qui n’a pas encore d’enfants, se mette sous contraceptif. Si elle l’a fait, c’est parce qu’elle sort avec d’autres partenaires en cachette. Et quand je l’ai découverte, elle m’a dit que c’est pour ne pas tomber enceinte avant la fin de sa formation. Mais moi, je sais que c’est faux ce qu’elle m’a raconté et je l’ai renvoyée », a-t-il balancé d’un ton ferme.
Fatiguée de subir le diktat de son mari, Liliane, âgée de 30 ans, affaiblie par les maternités successives, appelle au secours. « En onze (11) ans, nous avons six (6) enfants et mon mari, gérant de bar à Ladji, l’un des quartiers du 6ème arrondissement de Cotonou, capitale économique du Bénin, en veut encore malgré nos difficultés et mes problèmes de santé. Pour notre sixième enfant, j’ai frôlé la mort en accouchant à la maison. Mon mari n’avait pas l’argent pour m’emmener à l’hôpital et une semaine après l’enfant est mort. Il est contre la contraception parce qu’il estime qu’il n’a pas encore atteint le nombre d’enfants qu’il souhaite », a-t-elle confié toute désespérée et avachie.
Nécessité de relever les défis pour une transition démographique réussie
Les cas de Bernard, Ramane et du mari de Liliane ne sont pas des cas isolés. Ils sont encore des milliers d’hommes au Bénin à ignorer les bienfaits de la parenté responsable pour eux-mêmes, leurs familles et pour la nation entière et interdisent à leurs partenaires de faire recours à la contraception. Entre autres raisons évoquées par ces »opposants » à la pratique contraceptive, on note le manque d’information complète et adéquate sur les méthodes contraceptives, les interdits religieux, l’analphabétisme, la crainte des effets secondaires des contraceptifs, les idées reçues sur la contraception, les pesanteurs socioculturelles qui accordent encore de nos jours dans bon nombre de localités trop de pouvoir et de force à la seule volonté de l’homme.
Pourtant la contraception ne signifie pas la limitation des naissances. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la contraception permet aux populations d’atteindre le nombre d’enfants souhaités et de déterminer l’espacement des naissances, afin d’améliorer l’état de santé et le bien-être du groupe familial auquel ils appartiennent et ainsi contribuer efficacement au développement social de leur pays.
Que disent les chiffres ?
Selon les résultats de la dernière Enquête démographique de santé (EDS-V) réalisée en 2017-2018, le taux de prévalence contraceptive au Bénin est l’un des plus faibles de la sous-région (12,4%) avec une fécondité élevée à 5,7 enfants par femme. Les besoins non satisfaits (BNS), selon la même source, s’élèvent à 35%. Cela signifie que les femmes continuent, malgré les efforts et la volonté politique du Gouvernement en faveur de la santé reproductive à travers l’assouplissement des lois, le respect des engagements du Partenariat de Ouagadougou (Po) et du Family plannings 2030 (FP30) et le projet d’autonomisation des femmes en vue de la capture du dividende démographique au Sahel (SWEDD-Bénin), d’être exposées à un risque accru de grossesses non désirées, d’avortements dangereux et de complications liées à la grossesse et à l’accouchement.
Les données de l’EDS-V indiquent que le taux de mortalité maternelle pour 100.000 naissances vivantes au Bénin est de 397, soit 1 600 décès maternels évitables en 2017. Ce qui voudrait dire que 4 femmes sur 10 meurent chaque jour de causes liées à la grossesse au Bénin. « C’est un problème qui a un impact négatif sur les individus, les familles, les communautés et la nation », déplore Dr Jean Baptise Oga, Professeur et Chercheur au Laboratoire de Recherche en Economie et en Gestion (LAREG) et au Centre d’excellence pour la recherche en économie générationnelle (CREG). Selon ses explications, la santé de la mère et de l’enfant est un défi majeur à relever d’ici à 2030 pour une exploitation judicieuse du Dividende démographie (DD) au Bénin. Le dividende démographique étant défini comme l’accélération de la croissance économique résultant d’une modification de la structure par âge d’une population (natalité, décès, migration), Dr Camille Guidimè au LAREG et au CREG préconise la mise en activité massive de la jeunesse actuelle et l’investissement dans le capital humain. « Si chaque mari et chaque maillon de la société fait de l’espacement des naissances aux moyens de méthodes modernes de contraception une priorité, nous pouvons disposer davantage de ressources pour la formation du capital humain afin de profiter pleinement du DD » a expliqué Dr Camille Guidimè. « Lorsque les couples parviennent à faire exactement le nombre d’enfants qu’ils désirent, cela réduit le nombre d’enfants qui ont besoin de services d’éducation, de santé et autres services communautaires », a soutenu Dr Thiery Lawalé, Directeur de la Santé de la mère et de l’enfant et des Soins infirmiers et obstétricaux (DSME-SIO). Il s’en suit alors la nécessité logique pour les parents et la société de dégager plus de ressources pour assurer l’éducation et la formation de compétence des enfants. La parenté responsable permettra donc aux ménages d’augmenter leurs épargnes et à l’Etat d’augmenter les investissements au profit du bien-être de la population avec un renouvellement de la population sans accélérer son vieillissement.
Urgence d’agir
La parenté responsable se réfère à l’ensemble des pratiques et des comportements adoptés par les parents pour assurer le bien-être et le développement optimal de leurs enfants. Englobant entre autre la planification familiale, l’accès aux soins de santé, l’autonomisation des parents, elle constitue l’une des rares stratégies de développement à moindre coût qui a un impact incommensurable sur la réduction de la mortalité maternelle et infantile. Elle représente également un facteur déterminant dans la réduction de la pauvreté. L’espacement des naissances grâce aux moyens modernes par les couples apparaît donc comme une nécessité voire une urgence dans la course vers la capture du dividende démographique en marche au Bénin. Il est donc urgent que les époux et les hommes en particulier partagent la conviction du Gouvernement dans le bien-fondé de la parenté responsable et s’engagent avec le Projet SWEDD-Bénin pour la capture du Dividende Démographique.