La CAN jouée par la Côte d’Ivoire à domicile a été un grand succès sportif, logistique et économique pour le pays. La Côte d’Ivoire n’a pas investi à perte. Elle a récolté le triple de ce qu’elle a investi pour l’organisation de la plus grande compétition footballistique sur le continent. La semaine dernière, le ministre ivoirien de la Communication a fait le point financier de la compétition.
Belmondo ATIKPO
Pour la 34e édition de la Coupe d’Afrique des Nations de Football organisée en Côte d’Ivoire, c’est plus d’un milliard d’euros qui a été déboursé par le gouvernement en échange d’un afflux de visiteurs et d’une forte consommation de ces touristes qui ont sillonné le pays pour suivre leurs équipes nationales. Mais au-delà de cet enjeu majeur basé sur le tourisme, les retombées économiques de cette CAN sont appréciables dans différents domaines. “Au cours de cette compétition, nous avons eu deux forums économiques. Un forum économique à Korhogo, un forum économique à Bouaké. Le forum économique de Bouaké, qui a eu déjà plus de 200 milliards d’intentions d’investissement. C’est plusieurs pays qui ont participé à ce forum économique là ”, a dit AMADOU COULIBALY, Ministre de la Communication de la Côte d’Ivoire. Les grands événements comme la Coupe d’Afrique des nations sont toujours des défis de taille pour les pays organisateurs, mais aussi une source de rentabilité. Les autorités ivoiriennes et le comité d’organisation, ont axé les leurs sur la visibilité accrue pour Abidjan, mais aussi la stabilité du pays. “Nous sommes persuadés qu’avec ce niveau d’investissement, les opérateurs viendront parce qu’ils ont un pays qui est sûr, un pays qui est stable. Vous savez, la stabilité est très importante. Si aujourd’hui, nous avons pu atteindre ce niveau, c’est parce que nous avons une stabilité depuis 15 ans. Nous avons un même régime, ça rassure les investisseurs qui savent qu’ils peuvent se projeter ”, a-t-il poursuivi. Le développement du pays hôte de la CAN prend désormais une nouvelle tournure après l’exploit de cette organisation. Pour pérenniser cette dynamique, le gouvernement de Côte d’Ivoire entend poursuivre les actions de développement amorcées plus tôt, tout en maintenant le niveau d’investissement.
Un défi politique
Le chef de l’Etat ivoirien a fait du succès de l’événement une priorité politique, au point de confier en urgence à son nouveau premier ministre Robert Beugré Mambé, nommé le 16 octobre, la supervision de la compétition. La pression est à la mesure des enjeux : vitrine diplomatique et levier d’influence, la CAN doit également être un moteur de croissance pour le pays. « Le sport est un outil de puissance polymorphe, qui peut notamment être utilisé pour attirer des investisseurs », rappelle Lukas Aubin, spécialiste de la géopolitique du sport à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Soucieux d’affermir son statut de locomotive économique régionale, le pays a engagé des travaux de grande envergure. Au total, l’Etat a investi plus de 500 milliards de francs CFA (environ 760 millions d’euros). Quatre stades « ultramodernes » ont été construits à Ebimpé (en banlieue d’Abidjan), San Pedro (sud-ouest), Yamoussoukro (centre) et Korhogo (nord). Deux autres ont été rénovés à Abidjan (sud) et Bouaké (centre) et 24 terrains d’entraînement ont été aménagés.
Des projets immobiliers colossaux
Dans le même temps, les axes routiers reliant les villes hôtes ont été réhabilités pour faciliter le déplacement des équipes et des supporters. L’autoroute Abidjan-Yamoussoukro a été rallongée jusqu’à Bouaké et la voie reliant Abidjan à San Pedro modernisée. « Tous les secteurs du BTP ont bénéficié de cette CAN. Les aciéries, notamment, tournent à plein régime », se félicite un responsable d’une entreprise du secteur, préférant garder l’anonymat. C’est toutefois dans le secteur du tourisme que les attentes de retombées économiques sont les plus fortes. Son développement est la priorité du gouvernement depuis le lancement en 2019 du programme « Sublime Côte d’Ivoire ». Cette stratégie nationale, cofinancée par l’Etat (1 500 milliards de francs CFA) et le secteur privé (1 700 milliards de francs CFA) ambitionne de propulser le pays dans le top 5 des destinations africaines et d’en faire un « leader africain du tourisme d’affaire ». En plus des stations balnéaires modernisées et des circuits touristiques aménagés, se construisent des projets immobiliers colossaux, à l’instar du luxueux complexe hôtelier « Serena village » à Abidjan ou de la tour « Abidjan Business City », futur épicentre de l’économie ivoirienne et régionale. A la faveur du tournoi, l’office national du tourisme espère que les dizaines de milliers de visiteurs attendus s’éloignent des stades pour « découvrir les charmes et les attractions du pays ». Une application mobile, « Pass touristique », a été développée pour répertorier des sites à visiter et faciliter les réservations. « Tous les secteurs, de l’hôtellerie à la restauration, en passant par les transports, mettent les bouchées doubles pour être prêts. Tout ce dynamisme a des répercussions positives sur l’emploi », observe Ladji Karamoko Ouattara, chercheur enseignant en relations internationales.
Mais l’embellie sera-t-elle durable ?
Une fois les touristes repartis et la fête achevée, certains craignent que la machine économique s’essouffle, voire déraille, comme ce fût le cas au Cameroun, pays hôte de la compétition en 2022. Avec un budget similaire à celui de la Côte d’Ivoire, Yaoundé n’est pas parvenu à pérenniser les emplois créés par la CAN et à faire refluer la pauvreté, accentuée par l’inflation. Bien que leur pays affiche une certaine robustesse économique, la croissance est estimée à 6,2 %, l’inflation maintenue autour de 4 % pour 2023, les Ivoiriens ne sont pas à l’abri d’un désenchantement. « En plus d’être très difficile à mesurer, la capitalisation économique sur un événement n’est pas systématique », avertit Lukas Aubin. L’avenir des stades, non démontables, pose également question. Les voir tomber en désuétude, comme celui d’Athènes après les Jeux de 2004, serait un échec politique et un motif de colère sociale. Ladji Karamoko Ouattara reste toutefois optimiste quant à leur future utilité : « Les stades ne sont plus l’apanage du sport. Il y a aujourd’hui un fort dynamisme culturel dans le pays. Des concerts, des spectacles ainsi que des meetings politiques ou religieux pourront être organisés ». Difficile de savoir si cela suffira à amortir les investissements.
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