58 ans après l’accession à la souveraineté internationale, l’échec des expériences politiques a conduit la République du Bénin, à un sous développement pire que l’époque coloniale. C’est du moins ce qu’on peut retenir des propos du Secrétaire général de la Confédération des Organisations syndicales indépendantes du Bénin (Cosi-Bénin), Noël Chadaré, lors de cet entretien accordé à votre quotidien.
L’Economiste : Le Bénin est en plein préparatif pour la célébration de son accession à la souveraineté. Quel bilan peut-on faire aujourd’hui, après 58 ans d’indépendance?
Noël Chadaré : Le bilan n’est guère reluisant.Regardons le pays après 58 ans de gestion dite indépendante : du point de vue infrastructurel, nous sommes comme un pays qui a vécu un cyclone. Les infrastructures routières sont détériorées. Sur le plan éducationnel, l’école a chuté. Le niveau des apprenants baisse de jour en jour. Sur le plan politique, c’est toujours les mêmes personnes qui sont là depuis les indépendances. Lorsque j’étais étudiant en 1996, ce sont les mêmes politiciens que je connaissais qui sont toujours là. Il n’y a pas de renouvellement générationnelle. Nous avons des politiciens en fin de cycle qui ne veulent pas laisser le pouvoir. Ils cherchent des moyens pour perpétuer leur présence sur la scène politique. Il n’y a pas de succession générationnelle. Notre économie aussi n’est pas solide. C’est un peu la ruine. Le chômage grimpe à grande vitesse. Ceux qui ont pris en main la destinée de ce pays depuis l’indépendance ont manqué d’ambition. Ils ont posé des actes dans leurs intérêts personnels. Il est vrai qu’on a une indépendance nominale mais le pays est encore dépendant des forces externes, de la France, des pays partenaires. Dans la réalité, nous dépendons de ces pays dits partenaires. En 58 ans nous sommes aujourd’hui un pays en voie de sous développement.Le bilan est donc négatif.
Il y a quand même des secteurs dans lesquels le Bénin aurait pu faire des avancées …
Nous sommes toujours restés comme des colonisés. On attend toujours des autres comme au temps colonial. Nous n’avons pas laissé cette mentalité d’être permanemment assisté. Notre plus grande richesse c’est la terre. Mais nous cultivons pour servir les matières premières brutes aux autres. Les pouvoirs publics s’accrochent à la culture du coton qu’on ne transforme même pas. Il n’y a pas une vision pouvant permettre de développer d’autres matières premières capablesde booster l’exportation et équilibrer la balance. Les années antérieures, le Bénin était connu pour lepalmier à huile qui était très développé. Aujourd’hui cette filière qui est assez transforméeest complètement à terre. Dans les autres pays vous verrez la diversification de l’agriculture.
Les mêmes politiciens au pouvoir, le sous développement permanent… à qui la faute ?
Mêmes s’il faut reconnaître que c’est la misère du peuple que ces politiciens exploitent, la faute est partagée à tous les niveaux. Il s’agit d’un peuple affamé et soufrant. La pauvreté est endémique et par conséquent on l’exploite de façon éhontée pour toujours se maintenir. Après tout c’est le peuple qui accepte car le choix de dirigeant n’a jamais été par conviction.Ceux qui ont de moyens les utilisent afin de toujours se maintenir au pouvoir.
Qu’est-ce qui vous fait dire qu’avec de nouvelles têtes dans la classe politique, il y aura un réel changement ?
C’est important de renouveler la classe politique avec des jeunes qui ne sont pas allés à l’école coloniale et qui ne sont pas mentalement dépendants de la France. Nous avons beaucoup de jeunes qui sont allés découvrir les stratégies de développement des autres pays autres que la France. Si ceux-là prennent le pouvoir, c’est évident qu’ils n’auront pas cette mentalité d’être toujours dépendants des autres.
Le gouvernement actuel a annoncé des réformes quitte à promouvoir la bonne gouvernance. Croyez-vous que ces réformes pourraient conduire vers un réel développement ?
Les bonnes idées ne manquent pas dans le Programme d’actions du gouvernement. Mais là où le bât blesse, c’est que la mise en œuvre de ces réformes n’est pas inclusive. Tantque ces réformes ne seraient pas inclusives, elles ne nous amèneront nulle part. J’apprécie les intentions du gouvernement mais il faut associer tout le monde pour qu’ensemble on puisse diagnostiquer les maux qui minent le développement de notre pays. Par exemple pour les travailleurs nous n’avons pas été associés aux réformes nous concernant. Dans la plupart des réformes qui se font depuis peu, on observe un semblant de résoudre un problème alors qu’en réalité il y a déjà une idée arrêtée qu’on veut faire passer de force. On nous fait croire à des illusions.
Est-ce que le Béninois aujourd’hui peut être fier de sa devise ?
Fraternité-Justice-Travail. Primo, il n’y a pas de fraternité. C’est l’individualisme qui règne. On ne fait que penser à soi, le ‘’biglotchémè’’ qui veut dire ‘’tout dans mon sac’’. Secundo, nous ne pouvons pas dire qu’il y a une véritable justice qui se fait dans le pays. Le peuple est dans la misère pendant qu’un petit groupe profite de tout.Le deux poids deux mesures dans les décisions qui sont prises et les actes qui sont posés. Les gens sont traités selon qu’ils sont de tel ou tel côté. Le pauvre et le riche ne sont pas logés dans une même enseigne. Tertio, nous sommes dans un pays qui n’aime pas le travail. Les gens veulent de l’argent le plus facilement que possible. C’est à dire prospérer d’un seul clic, tout le monde court vers l’argent facile. C’est ce qui justifie le phénomène de ‘’gayman’’ et de cybercriminalité qui s’accroit dans le pays. Certains veulent devenir politiciens parce qu’on sait que là-bas on peut rapidement détourner,voler pour devenir riche. Nous sommes en train de devenir une société dans laquelle la morale a complètement déserté le forum.
Comment corriger alors le tir ?
Il faut qu’on ait l’esprit de sacrifice dans notre pays. Le Béninois n’aime pas se battre pour la patrie. Chacun pense à ses propres intérêts, et c’est mauvais pour tout développement.C’est aussi une question d’éducation et il va falloir bouger les choses à ce niveau. Le devoir de citoyen, c’est travailler pour son pays, respecter le bien public, être prêt à se sacrifier pour son pays. Il faut instaurer la morale dans les écoles primaires pour enseigner aux enfants les valeurs qui permettent aux citoyens de penser à son pays avant de chercher ses propres intérêts. Le patriotismes’enseigne et c’est indispensable.Nous les adultes, nous sommes déjà comme des bois secs. Nous sommes dans une mentalité de ‘’tout pour moi, rien pour les autres’’.
Je pense que la vraie solution pour notre pays ce n’est pas de fêter l’indépendance nominale mais de faire un bilan. Avec la conférence nationale, nous avons réussi à instaurer la démocratie ; il faudrait encore qu’on s’asseye pour faire une évaluation et prendre les décisions qui s’imposent.Nous ne cessons de reculer à chaque fois. Nous allons vers le sous développement depuis les indépendances. Les gens de la période révolutionnaire se sentaient mieux car nous n’avons rien fait pour développer notre pays si ce n’est les stratégies de détournement, de corruption et de mauvaise gestion des biens.
Un mot pour conclure
Je souhaite aux Béninois bonne fête de l’indépendance nominale parcequ’en réalité, nous ne sommes pas indépendants. Je souhaite qu’on revoit la manière dont nous célébrons cette fête qui est monotone. Il faut que cela soit des occasions de réflexion sur les disfonctionnements de notre société.Le poisson pourrit par la tête. Dans la lutte contre la corruption, il y a déjà des disparités. Ceux à qui on reproche des miettes sont sanctionnés pendant que ceux qui sont proches du pouvoir sont sous le parapluie de la rupture. Cette situation instaure la peur mais ne résout pas le problème.
Réalisée par Félicienne HOUESSOU