La guerre imposée par la Russie à l’Ukraine présente chaque jour un nouvel épisode. Après les sanctions contre la Russie, elle a développé une politique de le gel du blé en réponse aux milliers de sanctions économiques qui lui sont infligées par les pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dont l’Union européenne (UE) est devenue le bras actif et opérationnel. Les effets pervers de cette politique ont amené la Turquie à s’impliquer en médiateur. Un accord signé entre Moscou et Kiev permet à nouveau la libre circulation du blé suivant des couloirs sécurisés.
Jean-Claude KOUAGOU
Kiev et Moscou ont signé deux textes identiques mais séparés, à la demande de l’Ukraine, qui refusait de parapher tout document avec la Russie. C’est le fruit de la médiation enclenché depuis le début du conflit par la Turquie. Ankara joue en effet de ses relatives bonnes relations avec les belligérants ukrainien et russe pour s’imposer comme négociateur dans le conflit. La Turquie affirme qu’elle est parfaitement neutre entre l’Ukraine et la Russie. La réalité est qu’elle ne l’est pas totalement, ni aux yeux de Kiev, ni aux yeux de Moscou. La Russie a vendu des missiles de longue portée à la Turquie, elle y construit une centrale nucléaire et elle lui fournit du gaz. En même temps, Ankara fournit à Kiev des drones armés Bayraktar TB2, efficaces contre des colonnes de blindés, mais pas décisifs. Dans tous les cas, l’Ukraine et la Russie ont signé le 22 juillet 2022 un accord avec l’ONU et la Turquie pour relancer les exportations de céréales par la mer Noire. Les quatre délégations se sont retrouvées à Istanbul, en présence du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, du président turc, Recep Tayyip Erdogan, ainsi que des ministres de la défense turc et russe et du ministre des infrastructures ukrainien. La cérémonie s’est déroulée sous les drapeaux de la Russie et de l’Ukraine soigneusement séparés par les bannières bleues de l’ONU et rouges de la Turquie, médiatrice depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022. Cet accord, âprement négocié depuis avril à l’initiative de M. Guterres, va soulager les pays dépendants des marchés russe et ukrainien. A eux deux, ils possèdent 30 % du commerce mondial du blé.
La Russie ripostait à l’OTAN par le gel de blé
La souveraineté réelle des Etats repose sur leur capacité à être autonome sur tous les plans : sécuritaire, monétaire, alimentaire. En cela, la Russie l’est, non pas en raison de sa puissance nucléaire, mais en termes de maîtrise de la production du blé qui est une « arme silencieuse terrible ». Et, le gel du blé est pour la Russie, une réponse adéquate aux milliers de sanctions économiques qui lui sont infligées par les pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dont l’Union européenne (UE) est devenue le bras actif et opérationnel. Plus de 10.000 sanctions essentiellement économiques seraient infligées à la Russie. Cette déclaration du représentant permanant de la Russie à l’ONU, Vassili Nebenzia, atteste de l’importance des mesures coercitives prises par les pays membres de l’Union Européenne (UE) contre le pays de Vladimir Poutine dans la guerre qui l’oppose à l’Ukraine. Au lendemain du 24 février 2022, l’Union Européenne (UE) a imposé une série de nouvelles sanctions contre la Russie. Ces sanctions viennent s’ajouter aux mesures déjà imposées à la Russie depuis 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée. Dans le même mois de février, l’UE a imposé six séries de sanctions à l’encontre de la Russie, comprenant des mesures restrictives ciblées (sanctions individuelles), des sanctions économiques et des mesures diplomatiques. L’objectif des sanctions économiques est d’imposer à la Russie de lourdes conséquences pour ses actions et de contrer efficacement les capacités de la Russie à poursuivre l’agression. Les sanctions individuelles visent des personnes responsables d’avoir soutenu, financé ou mis en œuvre des actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces actions. En tenant compte des sanctions individuelles qui ont déjà été imposées précédemment à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014, l’UE a sanctionné 98 entités et 1158 personnes dont le président Vladimir Poutine, le ministre des affaires étrangères de la Russie, Sergueï Lavrov, des oligarques liés au Kremlin, 351 députés qui ont voté en faveur de la reconnaissance de Donetsk et de Louhansk le 15 février 2022, des membres du Conseil national de sécurité, des fonctionnaires et des militaires de haut rang, des hommes d’affaires de premier plan (c’est-à-dire des personnes actives dans l’industrie sidérurgique russe et d’autres personnes qui fournissent des services financiers, des produits militaires et des technologies à l’État russe), etc.
Manifestation des sanctions
Les sanctions contre des personnes consistent en une interdiction de voyager et en un gel des avoirs. Les interdictions de voyager empêchent les personnes inscrites sur la liste de pénétrer sur le territoire de l’UE ou de transiter par celui-ci, que ce soit par voie terrestre, aérienne ou maritime. Le gel des avoirs signifie que tous les comptes appartenant aux personnes et entités inscrites sur la liste, ouverts dans des banques de l’UE, sont gelés. Il est également interdit de mettre à leur disposition, directement ou indirectement, des fonds ou des avoirs. Cela garantit que leur argent ne peut plus être utilisé pour soutenir le régime russe et qu’ils ne peuvent pas non plus tenter de trouver refuge dans l’UE. De même des marchandises ne peuvent plus être importées de Russie vers l’UE. En juin 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté un sixième train de sanctions qui interdit notamment l’achat, l’importation ou le transfert de pétrole brut et de certains produits pétroliers de Russie vers l’UE. Les restrictions s’appliqueront progressivement : d’ici à six mois pour le pétrole brut et d’ici à huit mois pour d’autres produits pétroliers raffinés. Etant donné que la majeure partie du pétrole russe livré à l’UE est transportée par voie maritime, ces restrictions couvriront près de 90 % des importations de pétrole russe en Europe d’ici la fin de l’année. Cela réduira considérablement les bénéfices commerciaux de la Russie. L’UE a interdit aux transporteurs routiers russes et biélorusses d’entrer sur le territoire de l’UE, y compris pour des marchandises en transit. La liste des produits faisant l’objet de sanctions comprend aussi le charbon et d’autres combustibles fossiles solides (étant donné qu’il existe une période de liquidation pour les contrats existants, cette sanction s’appliquera à partir d’août 2022). Il est interdit d’importer de la Russie l’acier et le fer, le bois, le ciment et certains engrais, les produits de la mer et les spiritueux (par exemple le caviar, la vodka). Cette sanction vise à restreindre la capacité de l’industrie russe à acquérir des biens essentiels, ainsi qu’à perturber le commerce routier à destination et en provenance de la Russie.
Autres secteurs visés par les sanctions
L’Union européenne n’entend laisser aucune chance à la Russie. Ses sanctions visent à asphyxier le pays de Poutine et le contraindre à abdiquer. Ainsi, plusieurs secteurs font les frais de l’embargo européen. On peut citer l’aéronautique, les technologies, les banques, etc. Déjà en février 2022, l’UE a refusé l’accès de ses aéroports à tous les types de transporteurs russes et leur a imposé une interdiction de survol de l’espace aérien de l’UE. Cela signifie que les aéronefs immatriculés en Russie ou ailleurs et donnés en location simple ou en location-financement à un citoyen ou à une entité russe ne peuvent atterrir dans aucun aéroport de l’UE et ne peuvent même pas survoler les pays de l’UE. L’interdiction s’étend aux avions d’affaires privés. Etant donné que les trois-quarts de la flotte aérienne commerciale actuelle de la Russie ont été produits dans l’UE, aux États-Unis ou au Canada, l’interdiction devrait, au fil du temps, entraîner l’immobilisation d’une partie importante de la flotte russe d’aviation civile, même pour les vols intérieurs. En outre, l’UE a interdit l’exportation vers la Russie de biens et de technologies destinés à l’industrie aéronautique et spatiale. Par ailleurs, l’Union européenne a interdit toutes les transactions avec la Banque centrale de la Fédération de Russie relatives à la gestion des réserves et des actifs de ladite banque centrale. A la suite du gel de ses avoirs, la banque centrale n’a plus accès aux actifs qu’elle a stockés dans les banques centrales et les institutions privées de l’UE. En février 2022, les réserves internationales de la Russie représentaient 643 milliards de dollars (579 milliards d’euros). Le fait de détenir des réserves en devises permet, entre autres, à un pays de maintenir le taux de change de sa propre monnaie à un niveau stable. En raison de l’interdiction des transactions à partir de l’UE et d’autres pays, on estime que plus de la moitié des réserves russes sont gelées. L’interdiction a également été imposée par d’autres pays comme les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, qui détiennent également une partie des réserves de change de la Russie. Par conséquent, la Russie ne peut pas utiliser ses avoirs étrangers pour fournir des fonds à ses banques et limiter ainsi les effets d’autres sanctions. Même les réserves d’or stockées en Russie semblent désormais plus difficiles à vendre en raison des sanctions internationales qui frappent des entités russes. L’UE a en outre interdit la vente, la fourniture, le transfert et l’exportation vers la Russie de billets de banque libellés en euros. L’objectif, afin d’empêcher le contournement des sanctions, est de limiter l’accès du gouvernement russe, de sa banque centrale et des personnes physiques ou morales en Russie aux espèces libellées en euros.
Des sanctions relevant du droit international
Toutes les sanctions de l’UE sont pleinement conformes aux obligations découlant du droit international et respectent les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Lorsque les Etats membres de l’UE parviennent à un accord politique, les actes juridiques nécessaires sont préparés par le Service européen pour l’action extérieure et/ou la Commission européenne et soumis au Conseil pour adoption. Les règlements et décisions du Conseil, en tant qu’actes juridiques de portée générale, sont contraignants pour toute personne ou entité relevant de la juridiction de l’Union, c’est-à-dire pour toute personne ou entité au sein de l’UE, tout ressortissant de l’UE en quelque lieu que ce soit, ainsi que pour toutes les entreprises et organisations constituées conformément au droit d’un État membre de l’UE.
Une riposte russe basée sur le gel du blé
Aux nombreuses sanctions infligées à la Russie par l’Union européenne, Vladimir Poutine réplique en douce. L’ancien officier militaire du KGB brandit d’une part sa puissance nucléaire, véritable artillerie lourde de destructions massives en temps réel. Car, l’armement russe fait entre autres du missile Satan 2 serait capable de réduire en 6mn toute la France en cendres. D’autre part, la Russie, en tant que premier producteur du blé en fait une arme de guerre. En effet, le blé que produit la Russie et dont elle en a le contrôle et la quasi-totalité du monopole sur le marché mondial, l’amène à livrer une guerre de faim aux pays soutenant l’Ukraine. L’une des conséquences de cette guerre est la fermeture des accès à la mer noire par l’armée russe qui prive plusieurs centaines de millions de personnes d’un blé indispensable à leur survie. La stratégie russe satisfait à la réponse du berger à la bergère. Si les sanctions imposées au pays, à ses dirigeants et à ses hommes d’affaires visent à l’asphyxier, Vladimir Poutine s’engage dans le bras de fer avec force détermination. Le but ultime de Vladimir Poutine en engageant une bataille de faim est de parvenir à une situation de blocage. Il y a quelques semaines, le chef de l’Etat russe, s’adressant en particulier l’UE déclarait ce qui suit : « vous pouvez prendre toutes les sanctions que vous voulez contre nous, les Russes n’auront pas faim. Par contre le reste du monde, oui. Et c’est vous Occidentaux qui seraient responsables de cette situation ». Ce message accusateur et menaçant du président Poutine trouve bien son fondement dans sa maîtrise de la production du blé. Le 17 mai 2022, Poutine faisait savoir : « pour sa part, la Russie fait face avec assurance aux défis extérieurs. D’une part, grâce à sa politique macroéconomique responsable et d’autre part, grâce aux décisions systémiques prises pour renforcer sa souveraineté économique ainsi que sa sécurité technologique et alimentaire ». L’autosuffisance agricole, n’est pas une incantation du président russe. C’est le résultat de 10 ans d’amplification de la production de céréales. Sur la production de blé, l’évolution est spectaculaire. En 2001, la Russie produisait 36 millions de tonnes de blé et n’en exportait quasiment pas. En 2006, elle produit 45 millions de tonnes dont 11 millions qui soient exportés. C’est déjà à l’époque 11% des échanges mondiaux. En 2020, la production dépasse les 80 millions de tonnes. Elle exporte 21% des flux mondiaux. La Russie est désormais souveraine sur le plan alimentaire et c’est le plus important exportateur du blé au monde. Du Bengladesh à la corne de l’Afrique en passant par l’Egypte, la survie de plusieurs centaines de millions de personnes est désormais conditionnée aux décisions russes.
Une parfaite maîtrise du blé par la Russie
L’armement militaire russe fait vraiment trembler le monde entier et tenir au garde à vous plusieurs soldats de régiments internationaux. Dans cette guerre contre l’Ukraine, la Russie a bien peaufiné une stratégie militaire qui cadre avec ses objectifs géopolitiques. De ce point de vue, la Russie ébranle les autres puissances aussi bien des pays de l’UE que des Etats-Unis. Mais en plus de l’armement militaire, la Russie comptant sur son autosuffisance alimentaire et sa parfaite maîtrise de la production mondiale du blé livre en secret une guerre de faim contre ses adversaires. L’occupation du Dombass participe de la stratégie russe de priver les pays inamicaux de blé. A cet effet, le pays de Vladimir Poutine se déploie à maîtriser la production ukrainienne. C’est l’occupation du Dombass par la Russie. La région du Dombass assure à elle seule 40% de la production du blé de l’Ukraine. Elle assure aussi la maîtrise des flux sortants de blé. C’est la raison du blocage complet du port d’Odessa, contrôlé par la Russie. Le blé russe et le blé ukrainien donnent à Vladimir Poutine la maîtrise de la moitié de la production mondiale de blé et surtout ses flux. Les Russes sont donc les maîtres du robinet à blé, sachant que les pays comme l’Egypte ou le Liban, dépendant à 100% du blé provenant de la Russie. Le rééquilibrage des forces entre la Russie et les pays de l’UE peut conduire à un contrat de supplier Poutine à libérer le blé. Le Secrétaire général des Nations-unies s’est inscrit dans cette logique. Les réflexions se mènent pour trouver des moyens logistiques afin de sortir le blé d’Ukraine sur rails ou sur routes. Mais cette alternative comporte des limites. En effet, c’est très compliqué de transporter des quantités importantes de blé par des wagons ou par les conteneurs par la route. De ce fait, d’énormes quantités de blé sont bloquées dans les bateaux à Odessa et vont bientôt pourrir. Les effets de l’attitude russe à faire main basse sur le blé, commencent par se ressentir. Et les Russes en sont conscients. La solution envisageable pour une sortie de crise au bénéfice de tous, c’est Moscou qui la donne ouvertement. « Il faut lever les sanctions », martèlent les Russes. Selon le représentant permanant de la Russie à l’ONU, Vassili Nebenzia, plus de 10.000 sanctions frappent la Russie depuis le 24 février 2022. Elles ont entraîné, selon lui, la fermeture des voies de communication, une crise logistique, la fermeture des ports, d’assurance, des restrictions sur les opérations bancaires. Comme le dit très bien Dimitri Medvedev, ancien président de la fédération de Russie, « le blé, c’est une arme silencieuse, mais une arme terrible ». Le responsable russe de l’ONU a expliqué que « les menaces s’adressent aux pays inamicaux qui ont introduit des sanctions contre la Russie et non à ceux qui sont menacés de pénurie. Ceux-là ce sont nos amis. En ce qui les concerne, on ne suspendra pas nos exportations. Les récoltes de blé en Russie cette année sont record ». La Russie joue donc avec la faim. Ça fait au moins 10 ans qu’elle prépare ses cartes. Sanctions économiques prises par l’UE contre nourriture détenue par la Russie : voilà la problématique de la guerre en Ukraine.