Les banques et établissements financiers jouent un rôle important dans le développement de l’économie béninoise et pour l’atteinte des objectifs du Programme d’actions du gouvernement (PAG). Les nombreuses réformes opérées depuis 2016 ont favorisé la dynamique d’une économie plus rayonnante. Mais que retenir ? Quels sont les agrégats actuels du secteur bancaire, les défis, enjeux et difficultés ? Lazare NOULEKOU, Président de l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers du Bénin (APBEF) s’ouvre à votre journal sur toutes ces préoccupations et bien d’autres.
L’économiste du Bénin : Quel est l’état des lieux de l’activité et du marché bancaire aujourd’hui au Bénin ?
Lazare NOULEKOU : Je vous remercie de l’opportunité qui m’est offerte de faire un point sur l’activité bancaire au Bénin. Je souhaiterais confirmer que l’économie béninoise traverse une période d’embellie depuis les cinq dernières années avec un taux de croissance de 7% en 2021 contre 3,8 % en 2020 sous l’effet de la crise pandémique.
Pour l’année 2022, une prévision de 7% est annoncée avec une projection de 7,8% en 2023, principalement portée par les secteurs de l’agriculture, de l’agro-industrie, de l’énergie, du tourisme, de l’économie numérique, des infrastructures qui sont intégrés dans la trajectoire du PAG.
Depuis 2016, le Bénin a engagé plusieurs réformes dans tous les secteurs économiques et ces réformes trouvent leur émanation dans les trois piliers du Programme d’Actions du Gouvernement (PAG).
Malgré les effets néfastes de la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19, l’économie béninoise parait assez résiliente malgré l’environnement international pénalisé par les problèmes de logistique et d’approvisionnement.
Au niveau du secteur bancaire proprement dit, en 2020, il a été constaté une progression de 6,5% du taux de croissance de crédit, de 5,8% du taux de croissance des dépôts et 11,4% du total bilan.
Comme vous l’avez constaté aussi, l’on note une amélioration du taux de créance douteuse. Depuis que l’APBEF a entamé le chantier d’assainissement de portefeuille des banques en 2016-2017 avec l’assistance des autorités, toutes les banques ont pris des mesures courageuses afin de tirer le taux de dégradation des créances douteuses vers le bas.
Au 30 juin 2021, le taux de dégradation était de 12,79 % contre 16,64% au 31 décembre 2019. Cela s’est fait avec l’assistance des autorités qui ont dû asseoir des réformes foncières avec la création de l’Agence Nationale du Domaine et du Foncier (ANDF) depuis 2015-2016. Ces réformes aussi ont touché l’administration judiciaire où il a été constaté une meilleure organisation au Tribunal du commerce qui bénéficierait dans le futur, de sa Cour d’Appel. Cette volonté politique et courageuse a donné des résultats assez encourageants à travers l’organisation mise en place. Citons aussi l’exemple de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) qui a renforcé les actions de recouvrement au niveau des banques. Enfin, les réformes opérées au niveau du Tribunal de première instance porteront certainement leurs fruits.
Malgré les effets néfastes de la pandémie, on a pu noter une progression des taux de dépôt et de crédit dans les banques. Comment l’expliquez-vous ?
Effectivement, le Bénin fait partie des pays qui ont su gérer autrement la crise pandémique et qui n’ont pas fermé leurs frontières. Le Nigeria aussi a ouvert à nouveau ses frontières, qui étaient précédemment fermées en août 2019. Par ailleurs, vous savez aussi que le business model du Bénin a évolué depuis 2015-2016 et au niveau du secteur cotonnier, le pays est devenu leader dans la sous-région. En effet, la production est passée de 269.000 tonnes à 730.000 tonnes entre 2016 et 2021. Pour la campagne qui est en cours, les estimations et prévisions sont dans une fourchette comprise entre 750 000 à 800.000 tonnes. De la même façon, plusieurs filières agricoles ont connu une bonne performance, notamment le soja, le cajou ou l’anacarde…
Ce dernier est d’une meilleure qualité dans la sous-région ouest-africaine et est prisé à l’international. La même dynamique est observée au niveau du secteur industriel qui prend un nouvel essor.
En outre, la réalisation des ouvrages et infrastructures du PAG 1 ont aussi contribué à une bonne progression des crédits accordés. Quant au financement des PMI et PME, il se poursuit avec l’accompagnement des autorités politiques et monétaires avec un taux de financement de l’ordre de 37% au 30 septembre 2021 et qu’il faudrait relever avec les dispositions prises.
Il faut noter que les opérations de syndication de crédit sur le marché régional ont aussi contribué à cette progression.
En termes de perspectives, le démarrage imminent de la zone industrielle spéciale de Glo-Djigbé ajoutera de la valeur à nos produits de base et offrira une meilleure compétitivité internationale.
Depuis que l’Etat a décidé d’aller sur le marché international, les banques ont beaucoup de liquidités parce que l’Etat est leur premier client. En plus, elles ont maintenant moins de clients emprunteurs. Qu’en est-il ?
D’abord, il faut préciser que la volonté affichée par l’État d’aller à l’international vers des eurobonds s’explique par un reprofilage de la durée de ses dettes contractées vis-à-vis du secteur bancaire local de manière qu’il bénéficie d’une durée de remboursement plus longue de plus de 15 ans, voire environ 20 ans et plus.
Ce reprofilage de durée couplé à une baisse de taux, comparé à l’offre des banques commerciales, présente des avantages pour l’Etat en ce sens qu’il atténue aussi bien les tensions de trésorerie que la réduction des charges d’intérêt tout en permettant de mener à bien les investissements.
En effet, cela ne pénalise pas totalement le secteur, mais en partie la croissance de crédit sur le plan local. Toutefois, il faut noter que les Banques béninoises sont aussi en compétition avec les Banques internationales et doivent s’ajuster par leurs offres et représentent les premiers acteurs du financement de l’État et de l’économie nationale.
Les banques et le financement de l’économie et du développement au Bénin, que retenir en 2021 et quels sont les perspectives pour 2022 ?
Pour cette année, le taux de progression de crédit sur la place du Bénin est de 5,6%. En dehors de cela, nous notons un début de dynamisation de l’activité agricole (soja, cajou, ananas et coton) avec les réformes engagées par l’Etat Béninois en 2020.
Le secteur primaire prend en compte plus de 2% du PIB au Bénin. De ce fait, les autorités politiques encouragent l’accompagnement bancaire du secteur agricole avec la création du Fonds National de Développement Agricole (FNDA) qui bonifie les taux d’intérêts débiteurs et garantit les crédits accordés.
Dans le cadre du financement des PME et PMI, l’APBEF a aussi signé en 2020, un accord-cadre avec le Ministère de l’Economie et des Finances à travers la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) pour ce qui concerne la bonification des taux d’intérêt accordés aux PME/PMI.
Pour ce qui concerne 2021, il est noté une progression du taux de crédit malgré la crise pandémique. Toutefois, des efforts restent à faire afin de satisfaire les demandes de crédit introduites par les PME/PMI dans les Banques avec l’accompagnement du Comité d’Identification des Structures d’Appui et d’Accompagnement (CISAE).
Quant aux perspectives, l’économie béninoise projette une croissance de 7% du PIB en 2022 avec la mise en production des usines en cours d’installation à Glo-Djigbé. Cela permet aux opérateurs économiques et banques d’accompagner diverses activités de manière à booster l’activité économique.
Du coup, les perspectives sont bonnes et prometteuses, étant donné que les agrégats macroéconomiques du Bénin sont toujours à un niveau favorable.
Le financement des PME-PMI avec les soucis de garanties et autres, où en sommes-nous ?
Pour ce qui est du dispositif du financement des PME-PMI, les Banques commerciales ont pris les dispositions pour l’accompagnement des acteurs en étroite collaboration avec le CISAE.
En effet, l’APBEF a transmis au CISAE les critères d’acceptation des risques liés aux divers financements et a mis en place dans les Banques des points focaux destinés à la prise en charge et au traitement diligent des demandes introduites. Au 30 septembre 2021, les réalisations enregistrées sont de 37% pour l’ensemble de demandes obtenues par les Banques.
Dans le souci d’améliorer cette performance en renforçant l’accompagnement des Banques, des pistes de solutions ont été identifiées et recommandées pour l’ensemble des acteurs. L’objectif de l’APBEF est d’accroitre davantage sa participation tout en veillant à la qualité du portefeuille.
Par ailleurs, l’APBEF a signé un accord-cadre avec le Ministère de l’Economie et des Finances qui est en cours d’exécution et qui permet aux PME-PMI de bénéficier d’une bonification totale de taux d’intérêts. Les banques aussi prennent en compte dans ce cadre le risque de crédit.
Dans la même logique, l’Etat accompagne aussi le secteur de l’agriculture et de l’élevage à travers le FNDA. Des dispositions idoines ont été prises par le Gouvernement pour que cette structure soit dotée de fonds de garantie afin d’accompagner les banques.
C’est ainsi que l’APBEF a signé en 2020 un accord-cadre avec le FNDA qui a permis d’atteindre un taux de financement d’environ 35% par rapport aux demandes obtenues.
Il faut noter que le financement des PME-PMI rencontre quelques difficultés, notamment la bonne gouvernance et aussi l’accompagnement dont elles peuvent bénéficier auprès des Structures d’Appui et d’Encadrement (SAE).
En outre, l’APBEF a aussi instauré un forum d’échanges avec la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour ce qui concerne la sélection et le choix de ces structures d’appui.
Certains investisseurs ne cessent de se plaindre des taux de prêt bancaire, souvent trop élevés. Que fait l’APBEF à ce sujet ?
En 2021, les banques béninoises font partie des banques qui appliquent des taux débiteurs assez bas sur le marché régional suivant les rapports de la BCEAO malgré le coût élevé des dépôts à terme (DAT) au Bénin.
L’APBEF encourage une tendance baissière des taux débiteurs.
En dépit de tout ce qu’on dit pour accroître l’inclusion financière, les populations rurales continuent pour la plupart par jeter leur dévolu sur les circuits informels d’épargne tandis que des banques se plaignent du faible taux d’épargne. Quelle est la part de responsabilité des banques dans cette réticence et que fait l’APBEF pour encourager l’inclusion financière « formelle » ?
Les banques fournissent des efforts assez importants pour mettre à la disposition de la clientèle, une gamme assez variée de produits de manière à ce que l’on puisse faire le maximum de collecte de ressources. Depuis plusieurs années, en dehors des moyens classiques, les banques s’orientent aujourd’hui vers la digitalisation et l’inclusion financière au Bénin.
Aujourd’hui, les opérateurs Telecoms qui utilisent le « mobile money » sont en partenariat avec les banques à travers les intégrations de plateformes.
Quant au secteur informel, ce dernier présente des risques assez élevés.
Est-ce que les tracasseries et les délais trop longs d’opérations ne découragent pas aussi les populations à venir dans le secteur formel ?
C’est en effet une réalité qu’il ne faut pas occulter. Mais si nous prenons en compte la gamme de produits digitaux offerte par les Banques (GAB, TPE, sous-agents bancaires, mobile et Moov money …) sur le marché, nous devons nuancer notre analyse.
Certaines pièces reconnues par l’Etat béninois telles que le Certificat d’identification personnelle (CIP), la LEPI et autres sont souvent systématiquement rejetées dans les banques. Votre réaction et que fait l’APBEF ?
L’APBEF a reçu une lettre circulaire du Ministre d’Etat en charge de l’Economie et des Finances pour ce qui concerne l’acceptation du Certificat d’Identification Personnelle (CIP) par les Banques. Cette note a fait l’objet de circulation entre les membres et est pleinement appliquée.
L’association suit rigoureusement les instructions données par les autorités.
Que faites-vous à l’interne pour accompagner l’État à lutter contre le blanchiment des capitaux ?
Les Banques exercent leur activité sous la supervision de la Commission Bancaire et elles sont tenues de lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme en veillant aussi bien à l’entrée en relation d’affaires avec les clients qu’au contrôle des opérations effectuées.
Aussi, les Banques collaborent-elles étroitement avec la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF), la Brigade Economique et Financière (BEF) qui jouent un rôle important dans le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux.
Les cryptomonnaies ou monnaies virtuelles prennent aujourd’hui de l’ampleur et la BCEAO donne même progressivement son aval. Est-ce qu’il n’y a pas là une menace pour les banques ?
Pas du tout. Il n’y a pas de menaces pour les banques qui restent dans leurs activités traditionnelles encadrées par les textes en la matière.
L’essentiel, c’est l’encadrement par les textes que les uns et les autres font de cette activité à travers une bonne gouvernance.
A vous suivre, c’est à croire que tout va bien à l’APBEF. Sinon, parlez-nous de vos soucis et difficultés.
L’état des lieux effectué avec le cabinet DELOITTE au 30 juin 2021 a montré des résultats encourageants si bien qu’à cette période, tous les agrégats sont en hausse avec un taux de dégradation qui est passé à 12,79%.
A cela, s’ajoute une meilleure performance de la rentabilité du secteur bancaire comparée aux années antérieures principalement consacrées à l’assainissement des portefeuilles des anciennes Banques. Du coup, les Banques ont une meilleure visibilité et accompagnent davantage l’économie nationale.
L’APBEF a aussi déjà échangé avec les autorités pour la création de la Cour d’appel du tribunal de commerce.
Au passage, l’APBEF remercie les autorités pour les résultats probants obtenus et aussi les efforts accomplis au niveau de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET).
Cependant, pour ce qui concerne la problématique liée à la formalisation des garanties, les banques ont relevé des insuffisances avec certains notaires. Ce point doit être adressé parce qu’il pénalise et retarde les procédures de recouvrement devant les tribunaux.
L’objectif poursuivi est la réduction du taux de dégradation des créances et le renforcement des fonds propres dans le respect des dispositions des Accords de Bâle.
Est-ce qu’il y a une norme en ce qui concerne le taux de créances douteuses ?
Le secteur n’a pas de norme, mais chaque Etablissement de crédit fixe ses normes en fonction de sa politique de crédit et de ses appétits.
La place bancaire du Bénin a pu rattraper son retard grâce au soutien des autorités et aux diverses réformes supra-listées.
L’APBEF, par ma voix, remercie le Ministre d’État chargé de l’économie et des finances, le Garde des sceaux, ministre de la Justice, et tout le gouvernement pour les efforts accomplis. Nous pouvons faire mieux que la moyenne régionale d’environ 13% en 2021 et nous-en sommes convaincus.
D’ici à fin 2022, 2023, le Bénin occupera une meilleure position pour ce qui concerne la qualité du portefeuille au sein de l’UEMOA.
Avez-vous d’autres points particuliers ou quelque chose à ajouter ?
L’APBEF tient à remercier aussi la clientèle et tout le secteur bancaire pour la confiance faite aux Etablissements de crédits et les résultats obtenus. L’Association encourage la clientèle à faire confiance aux banques de manière à relever le taux de bancarisation au Bénin.
Propos recueillis par Bidossessi Oslo WANOU