Le 23 février 2022, le Gouvernement du Bénin a décidé en Conseil des ministres d’arrêter l’octroi des autorisations de concessions d’exploitation de mines de calcaire d’une part, et de réaliser d’autre part « des études préparatoires d’un projet de construction d’une cimenterie de capacité 5000 tonnes/jour de clinker, soit 1.600.000 tonnes/an de ciment, extensible à 3.000.000 tonnes/an ». Cette décision serait motivée par la volonté du Chef de l’Exécutif, Patrice Talon de lutter contre une surexploitation probable des gisements nationaux de calcaire et le risque d’épuisement rapide des ressources minières. Il s’agirait d’une mesure visant à réguler et mieux gérer les ressources non renouvelables dans le secteur des mines et de la construction. Le Consultant Industriel Arsène K. FADO apprécie la décision et éclaire sur ses implications.
Monsieur Arsène FADO, vous êtes Expert industriel et cimentier. Présentez-nous brièvement les acteurs du secteur du ciment au Bénin.
- Arsène FADO : Il faut bien distinguer les secteurs de l’exploitation des mines à ciel ouvert de calcaire et la production de clinker et/ou du ciment à base de calcaire bien que ces deux (02) activités soient très liées. En effet, dans le secteur de la production de clinker et/ou du ciment, on peut citer quatre acteurs majeurs que sont la Société des Ciments du Bénin (SCB) qui importe du clinker et produit du ciment depuis 1969 ; le groupe cimentier
LAFARGE sous le nom LAFARGE-SCB qui exploite le calcaire, produit le clinker et ciment depuis 1975 ; le groupe cimentier international HEIDELBERG sous l’appellation CIMBENIN qui importe le clinker et produit le ciment depuis 1978 et enfin la Nouvelle Cimenterie du Bénin (NOCIBE) qui exploite le calcaire, produit du clinker et du ciment depuis 2013.
L’exploitation des gisements de calcaire est donc dominée par ces deux cimentiers producteurs de calcaire que sont SCB-LAFARGE et NOCIBE.
Que représente chaque acteur du secteur et que peut-on dire de la gouvernance du secteur ?
Il faut dire que la NOCIBE, dont l’arrivée a permis depuis 2014 de baisser le prix du ciment, est aujourd’hui de loin la plus grande cimenterie du Bénin avec une production de ciment estimée à plus d’un million de tonnes par an et une exploitation annuelle avoisinant deux millions de tonnes de calcaire sur le gisement de Massè estimé à 17 500 000 tonnes en 2007 (Orientations et plan d’actions stratégique de développement du secteur minier en République du Bénin, Commission ad’ hoc Chargée de l’Elaboration d’un Plan Stratégique pour la Relance du Secteur Minier en République du Bénin, Cotonou, Septembre 2007).
La société SCB-LAFARGE est le second complexe cimentier exploitant un gisement de calcaire pour la fabrication de clinker. Elle est installée sur le plus grand gisement de calcaire du Bénin, estimé à 90 millions de tonnes bien qu’elle dispose d’installations de faible capacité.
Les deux autres cimenteries CIMBENIN et SCB Bouclier sont des usines de broyage de ciment qui importent du clinker de l’étranger et incorporent en moyenne 25% de calcaire (dit Ajout ciment). Ces usines avec une production moyenne autour de 500.000 Tonnes chacune, consomment en moyenne deux cent mille tonnes de calcaire extrait des gisements du Bénin.
Le secteur du ciment est très important et participe à l’essor industriel du Bénin à travers l’énergie qu’il consomme, les emplois générés et surtout la contribution fiscale. Toutefois, le secteur cimentier est à cheval entre le ministère de l’industrie et du commerce de par son activité industrielle de production et le ministère des mines et de l’eau en raison des ressources minières (calcaire, argile), ce qui ne simplifie pas la gouvernance dans le secteur. Malgré ce positionnement de premier rang dans le tissu industriel béninois, les associations faitières telles que le groupement des cimentiers, la fédération nationale des associations et groupements industriels du Bénin ne jouent aucun rôle dans le développement et la gouvernance de ce secteur hautement stratégique.
A votre avis, les inquiétudes relatives à l’épuisement des gisements de calcaire soulevées par le Gouvernement et les solutions préconisées vous paraissent-elles adéquates ?
En tant que Béninois, et averti des questions industrielles et spécialement des cimenteries pour y avoir travaillé une douzaine d’années, je ne peux que féliciter le Gouvernement pour cette vision et ce sens d’anticipation. N’oublions jamais que les ressources non renouvelables doivent être gérées et suivies de manière à garantir qu’il y en aura encore pour les générations futures. Les sociétés de ciment qui exploitent les gisements de calcaire sous concession de l’Etat devraient, de mon point de vue, être les premières à s’en préoccuper pour la pérennité de leurs activités. Cela relève du bon sens. La notion de développement durable est une notion essentielle dans les activités de transformation industrielle de ressources, notamment de ressources épuisables et non renouvelables. Il n’est pas rare de voir des campagnes de sensibilisation sur la gestion rationnelle de l’eau, des énergies fossiles, etc. J’ose espérer que les associations d’industriels feront de la pérennité des matières premières leur préoccupation et que nous pourrons faire des études, mener des recherches et développer de nouveaux concepts, procédés et produits de substitution permettant de garantir la disponibilité des ressources.
La création d’une société pour la maîtrise de l’exploitation des gisements de calcaire permettra sans doute la régulation du secteur avec la possibilité d’importation de clinker comme le font déjà CIMBENIN et SCB. Cette création garantira l’offre de ciment même en cas d’augmentation de la demande. Il serait effectivement regrettable de voir épuisées les ressources locales de calcaire dans la production du clinker et du ciment exportés à l’étranger d’ici à quelques années et que les générations à venir n’aient pas les mêmes chances que nous d’en trouver. L’enjeu est donc de taille et il faut une fois de plus saluer la clairvoyance de nos dirigeants.
Quelles conséquences pourrait avoir la décision du Gouvernement sur le prix du ciment dans l’avenir ?
Je crois que logiquement aucune… Il faut remarquer qu’il y aura bientôt une usine à l’arrêt pour cause de délocalisation durant quelques mois. C’est plutôt cette situation qui peut de facto induire une variation des coûts du ciment notamment si les autres cimenteries n’élèvent pas leur niveau de production pour équilibrer le marché. La décision du Gouvernement, sans perdre du temps pour les études et la construction de l’usine, devrait permettre d’endiguer sur l’inflation.
Quelle perspective pour le secteur cimentier du
Bénin ?
Tout porte à croire qu’il s’agit d’un secteur qui n’échappera pas aux réformes et qui, à coup sûr, sera mieux gouverné que par le passé. Je souhaite pour ma part, que les actions pour la maîtrise du secteur cimentier ne se limitent pas au suivi de la production de clinker. Je souhaite une actualisation des textes règlementaires qui régissent la fabrication du ciment en se passant des anciennes formulations pour la nouvelle nomenclature en se référant aux normes européennes. La sensibilisation des architectes pour le choix des matériaux de construction, la professionnalisation des ouvriers et maçons pour la rationalisation du ciment, etc doivent être des actions à envisager pour renforcer la décision du Gouvernement. Nos ressources en calcaire sont épuisables et non renouvelables. Le président Talon a vu juste.
Arsène K. FADO, Consultant Industriel Senior