(L’an 1 du Pdt de la Commission de l’Uemoa, Abdoulaye Diop,
282 milliards FCFA investis pour 68 projets)
Relance post-Covid, lutte contre le terrorisme, facilitation des échanges intra-africains, impact des coups d’État… Un an après son arrivée à la tête de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, le Sénégalais Abdoulaye Diop a dressé, dans une interview accordée à « Jeune Afrique », l’état de l’Union ainsi que les principaux chantiers entrepris. Interview.
Comment se porte l’Union ?
Abdoulaye Diop : Nos économies ont été résilientes grâce aux plans de riposte mis en place par les États, en parfaite synergie avec les institutions de l’Union. Le CREPMF [Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers] a permis de maintenir un bon fonctionnement du marché financier régional. Et notre espace communautaire s’en sort avec un taux de croissance positif (6,1 %) pour 2021, comparable à la moyenne des années précédant la crise sanitaire.
On peut donc dire que, depuis 2021, l’Union se remet progressivement des effets de la pandémie. Mais la crise sanitaire n’est pas finie et la crise sécuritaire semble s’aggraver… Conséquence : le déficit budgétaire a représenté 5,7 % du PIB en 2021. Et l’évolution des prix à la consommation nous préoccupe. Le taux d’inflation moyen a été de 2,1 % en 2020 et de 3,4 % en 2021, une évolution liée en partie à l’augmentation des prix des produits alimentaires. C’est la conséquence de la perturbation des circuits d’approvisionnement mais aussi de la crise sécuritaire (avec son cortège de déplacés internes qui ne peuvent plus vaquer à leurs activités) auxquelles il faut ajouter la flambée des prix mondiaux, qui affectent aussi fortement nos économies.
Quelles sont les perspectives pour 2022 ?
L’activité économique au sein de l’Union devrait garder son dynamisme avec un taux de croissance de 6,5 %. Quant au déficit budgétaire global, il devrait représenter 4,6 % du PIB. Mais ces perspectives restent assujetties à l’évolution de la crise sanitaire, des cours du pétrole, de l’environnement sécuritaire dans l’Union et des tensions géopolitiques dans le monde.
Quels sont les principaux défis que devra relever l’Uemoa ?
En premier lieu, la relance de nos économies, ainsi que l’approfondissement du marché commun, au vu de la faiblesse des échanges intracommunautaires, avec l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine [Zlecaf].
Quant au défi sécuritaire, hélas, il devient pesant. Notre région subit des attaques terroristes qui déstabilisent nos populations et ont des conséquences particulièrement terribles : pertes en vies humaines, innombrables blessés, déplacement massif de populations… Elles constituent une menace sérieuse pour les acquis socio-économiques de notre Union (en particulier le marché commun et la libre circulation des personnes et des biens) et favorise le développement de trafics (d’armes, d’êtres humains, etc.), ainsi que la cybercriminalité.
En quoi consiste le « CAP 2025 » ?
Ces défis ne pouvant être pris en charge au cours d’un seul mandat, nous avons voulu, dès notre prise de fonction en mai 2021, les décliner dans une vision claire : le Cadre d’actions prioritaires (CAP 2025), qui est adossé à des objectifs stratégiques et constitue une boussole pour notre collège de commissaires.
Nous avons par ailleurs défini des actions phares pour faire de la Commission une institution moderne et performante dans ses relations avec les États membres, avec les populations et avec tous les acteurs de la vie économique et sociale. Elles prennent en compte les nouveaux défis (économie numérique, développement du secteur privé et changement climatique), mais aussi la lutte contre la pauvreté et l’emploi des jeunes qui sont une priorité pour nos États. En plus des questions économiques, les questions sociales seront centrales dans nos actions.
Qu’en est-il du financement des projets intégrateurs ?
Actuellement, 68 projets intégrateurs sont en cours d’exécution dans nos huit États membres, tous financés par la Commission de l’Uemoa pour un montant global de près de 282 milliards de F CFA [environ 430 millions d’euros]. Ils concernent l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’environnement, l’énergie, l’aménagement du territoire communautaire et les transports.
Que devient le projet de boucle ferroviaire ?
En 2014, l’Uemoa s’est dotée d’un Programme d’actions prioritaires de développement du transport ferroviaire au sein duquel le projet régional de boucle ferroviaire Abidjan-Ouagadougou-Niamey-Cotonou-Lomé a été retenu comme une priorité. Notre Commission s’est fortement impliquée dans sa mise en œuvre. Elle s’est attelée à la réalisation d’actions importantes comme l’harmonisation des normes et des standards de conception, de construction, de réhabilitation et d’exploitation des réseaux ferroviaires communautaires. Elle s’est mobilisée pour le financement de certains tronçons, etc.
Mais la mise en œuvre de ce projet rencontre une série de difficultés liées notamment à l’existence de conventions de concession pour certaines lignes, dont quelques-unes font encore l’objet de litiges entre États et concessionnaires.
Par ailleurs, le coût relativement élevé des infrastructures ferroviaires pour une rentabilité diffuse à long terme, nécessite des montages financiers spécifiques. Ce qui ne facilite pas la prise en compte de ces projets dans les budgets des États. Pour nous, il s’agit donc de lever ces difficultés afin de faire aboutir ce projet, qui est important dans la marche de l’intégration régionale.
L’Uemoa a financé la construction de postes de contrôle juxtaposés (PCJ). A-t-elle permis de simplifier le passage des frontières ?
Ces postes ont permis d’harmoniser, de moderniser et de faciliter les opérations de passage aux frontières. Mais nous constatons que des tracasseries persistent sur les corridors routiers prioritaires de l’espace Uemoa – tracasseries sur lesquelles l’Observatoire des pratiques anormales que nous avons mis en place collecte des données.
Quelle réponse l’Uemoa peut-elle apporter pour minimiser l’impact de la crise sécuritaire au Sahel sur les zones frontalières ?
Je considère que la question sécuritaire est aujourd’hui l’un des principaux défis pour nos membres. Elle a été très tôt prise en main par les chefs d’État qui ont créé un Comité de haut niveau sur la paix et la sécurité, lequel oriente les actions de l’Union. Un accord-cadre en matière de sécurité et de renseignements entre nos États permet d’assurer une synergie d’action au niveau ministériel. En outre, des concertations sur la paix, la sécurité et le développement sont organisées dans les zones frontalières, dans le but de promouvoir une approche partagée et globale visant à renforcer l’action des collectivités territoriales.
Sous la houlette de la Commission, un cadre de concertation des commissions nationales de lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre de l’espace Uemoa a été mis en place. Cela permet de renforcer leurs capacités et de les rendre plus opérationnelles sur le terrain. Enfin, aux niveaux sous-régional et transrégional, la Commission travaille à renforcer les partenariats stratégiques avec le G5-Sahel, la Misahel et la Cedeao.
La résurgence des coups d’État constituent-ils selon vous un recul de la démocratie en Afrique de l’Ouest ?
Nous sommes profondément préoccupés par l’interruption des expériences démocratiques au Mali et au Burkina [la Guinée n’est pas membre de l’Uemoa]. Au-delà des spécificités de chaque pays, nous avons des valeurs et des principes communs et universels que nous devons préserver. Dans notre espace communautaire, beaucoup de sacrifices ont été consentis par nos populations pour les conquérir. Cela ne doit pas être vain.
Quels risques les coups d’État et transitions en cours font-ils planer sur l’économie ?
Les coups d’État et les sanctions qui en résultent ont forcément un impact sur la situation économique du pays concerné et sur celle de l’Union. J’espère que cette période sera de courte durée pour ne pas affecter sensiblement les performances des pays concernés et, partant, celles de toute l’Union. Au moment opportun, nous ferons évaluer la situation économique et financière, ce qui nous permettra de mieux apprécier l’impact global de ces sanctions.
Je formule le vœu que la situation dans ces pays puisse très rapidement revenir à la normale pour le bien-être des populations qui sont, hélas, celles qui souffrent le plus.
Source Jeune Afrique