Les incendies au marché international de Dantokpa sont toujours monnaie courante malgré les mesures prises depuis des lustres. Les sources de ces incendies sont multiples et les responsabilités sont partagées.
La rédaction
« Chaque année il y a toujours des incendies dans le marché international du Bénin qu’est Dantokpa. C’est depuis notre indépendance en 1960 », confie Mama Yabo, une commerçante de pagnes, âgée de plus 60ans, rencontrée au marché Dantokpa. « J’ai été victime en 2015 où ma boutique a pris feu avant d’être éteint » ajoute, Mama Yabo. Ces propos de la commerçante semblent être justifiés par les deux récents incendies. En effet, dans la nuit du samedi 5 au dimanche 6 novembre 2022 un incendie est survenu au marché international Dantokpa. Le feu a consumé un magasin construit en matériaux définitifs et plusieurs lieux de stockage réalisés en tôle. Les flammes ont été maîtrisées suite à l’intervention d’une équipe de la compagnie départementale des sapeurs-pompiers du Littoral et des pompiers civils du Port autonome de Cotonou. Selon les témoins rencontrés sur les lieux, l’origine de l’incendie reste inconnue. D’importants dégâts matériels ont été enregistrés. Mais aucun cas de décès ou de blessés n’a été signalé.
Les épisodes d’incendie à Dantokpa
Les épisodes de feu touchent fréquemment le marché Dantokpa au Bénin chaque année. Pour preuve, un incendie a consumé plusieurs boutiques dans la soirée du samedi 21 mai 2022 au marché Dantokpa. L’incendie est parti d’une boutique vers 21 heures dans la zone « Hangamè’’ (dans les hangars, en français). Le feu s’est propagé à six (06) autres boutiques de vente de produits cosmétiques, selon Frissons Radio. Il a fallu près de 3 heures aux sapeurs-pompiers pour éteindre les flammes. Cet incendie a causé d’énormes dégâts matériels.
De plus, dans la nuit du vendredi 7 au samedi 8 mai 2021, un incendie a été enregistré dans ce grand marché du Bénin. Un court-circuit électrique serait à l’origine de ce énième incendie au marché international installé au bord la lagune de Cotonou. Le feu se serait déclenché après minuit et a atteint principalement le secteur du commerce de volailles. Les pertes sont considérables, selon les témoignages de quelques victimes. Pas de perte en vies humaines cependant.
Pour rappel, quelques semaines avant ce énième incendie, un autre avait été signalé dans l’après-midi du 4 avril 2021. Les dégâts étaient lourds car une cinquantaine de boutiques remplies de marchandises avaient été réduites en cendre. Ce sont des séries d’incendies qui ont été enregistrés au marché international Dantokpa depuis le cas de 2015.
Des visites du marché ont été organisées chaque année par les différents gouvernements mais hélas, le feu dicte toujours sa loi au marché Dantokpa. Pour preuve, suite à l’incendie survenu le 4 avril 2021 au grand marché Dantokpa, le mardi 20 avril 2021, le Ministre Alassane SEÏDOU accompagné des membres de son cabinet, du Directeur Général des Sociétés des Marchés Autonomes du Bénin (SOGEMA), Armand GANSÈ était aux côtés des sinistrés. A cette occasion le Ministre Alassane SEÏDOU, a fait savoir que « C’est un dossier qui préoccupe beaucoup le gouvernement et après études, les mesures adéquates seront prises pour reconstruire le marché », a-t-il confirmé. Par ailleurs, plusieurs causes expliquent les différents incendies. Pour certains, les causes majeures, sont, entre autres, les courts-circuits, l’essence de contrebande communément appelée « kpayo », les constructions en matériaux précaires. D’autres confient que les causes des incendies sont d’origines criminelles notamment la méchanceté humaine.
Les cambistes toujours dans l’informel à Dantokpa
Pour les opérations de change de devises au niveau du marché Dantokpa, les cambistes mènent toujours leurs activités à ciel ouvert sous les parasols ou parapluies. Des liasses de billets de FCFA, de Naira, de Cedi, de Dollars et de l’Euro, etc. sont exposés sur les petites tables. Cette pratique des cambistes est contraire aux textes en vigueur au Bénin. Car cela expose les responsables de change aux dangers notamment les braquages, les vols etc. Malgré les multiples sensibilisations organisées par la Direction générale du Trésor et de la Comptabilité du Ministère de l’Economie et des Finances en collaboration avec la Direction nationale de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la pratique a la peau dure chez les cambistes. Pour rappel, le marché des changes est un marché décentralisé qui n’a pas d’emplacement physique spécifique dans le marché Dantokpa où les cambistes peuvent acheter ou vendre les devises. Le marché des changes est un endroit où les acheteurs et les vendeurs s’échangent de la monnaie selon un taux de change déterminé. Le volume quotidien des transactions en devise a déjà atteint 6,6 billions USD en 2020 selon le rapport de la Banque des règlements internationaux.
Plus grand marché de l’Afrique de l’Ouest, vieux de près de 60 ans, (1963), le marché Dantokpa peine à se moderniser. En dépit des nombreux incendies enregistrés dans le marché (05 incendies en 2021), on s’étonne de l’inaction sur le plan organisationnel. A preuve, aucune disposition n’a été prise pour réagir promptement aux incendies. Selon les informations, le marché qui s’étend sur près de 20 hectares ne dispose pas d’un poteau d’incendie. Celui le plus porche est situé bien loin, précisément au carrefour 4 Thérapies et serait installé sur initiative privée.
Quand des cas d’incendie se déclenchent dans le marché, l’obstruction des allées, ne permet non plus d’atteindre aisément et à temps le lieu du drame. On a fréquemment pointé d’un doigt accusateur les infrastructures précaires et les installations électriques peu ou pas sécurisées ou encore le phénomène de l’essence de contrebande dite Kpayo mais on n’a jamais daigné reconnaître que le marché manque d’infrastructures d’accompagnement. Il ne s’agit pas uniquement de mesures contre les incendies ou pour y faire face promptement mais également d’unités de soins de santé, de garderie ou crèches…Le plan d’aménagement du marché à ce jour manque d’ambition et tout concourt à convaincre de ce qu’il s’agit d’un vulgaire centre de transactions.
Cela a de réels impacts sur les réactions face aux incendies et autres drame dans le marché. Les voies de circulation ne sont pas nettement dégagées. Elles sont tout le temps encombrées, ce qui rend difficile les interventions de pompiers et de la police en cas de sollicitation. Une source ayant requis l’anonymat a expliqué que pour plusieurs interventions, c’est souvent un parcours de combattant qu’il faut pour accéder au lieu du drame. Dans le ménage sur le trajet conduisant au lieu du drame, le degré de l’incendie prend de l’ampleur, et ceci, proportionnellement avec les dégâts. Des recoupements font état de ce que la Société de gestion des marchés autonomes, autorité administrative du marché a pris des initiatives pour renforcer la lutte contre les incendies en créant des bouches d’incendies et des points d’eau et de salubrité. Aussi, pour renforcer la sécurité, un détachement du Groupement des sapeurs-pompiers et un commissariat spécial sont mis en place dans le marché.
Mais toujours est-il que, la distance demeure et l’accès au lieu de drame nécessite qu’on dégage la voie pour accéder au théâtre de drame, ce qui généralement prend plus de temps et augmente le temps d’intervention pour circonscrire une flamme, et proportionnellement, accroît l’étendue des dégâts. C’est sans compter avec l’entêtement de certaines populations qui n’ont aucune attention pour les véhicules prioritaires également.
Mais cette situation aura servie de leçon. La preuve en est que la Zone économique spéciale en cours à Glo-Djigbé a été conçue avec une caserne de pompiers. C’est dire combien il est important, d’avoir la présence de cette unité sécuritaire dans un espace d’affaires.
Le challenge d’un marché moderne
A l’évidence de ce que la promiscuité, l’indiscipline de certains usagers, les installations électriques de fortune constituent un véritable terreau fertile aux incendies répétés (même s’il n’est pas à occulter les raisons endogènes), moderniser le marché Dantokpa qui s’étend sur une vingtaine d’hectares s’avère indispensable pour sauver l’activité des plus de 35.000 agents économiques qui s’y trouvent. Ce défi, le gouvernement du Président Patrice Talon l’a si bien assimilé. Conséquences, pour créer à la fois un cadre commercial confortable et sécurisé, et désengorger la ville de Cotonou, en Conseil des ministres le 18 octobre 2017, l’Etat béninois s’est engagé dans la construction d’une « plateforme alimentaire du Grand Nokoué ». Encore appelé « marché de gros », ce cadre commercial en cours de réalisation sur une superficie de 168ha 18a 6 dans la commune d’Abomey-Calavi (Zopah) à 1,5 Km de la Route inter-états 2, se veut ambitieux à la hauteur des défis. En effet, avec pour vocation de décongestionner le marché international de Dantokpa, le « marché de gros » qui fait partie des grands projets infrastructurels du gouvernement béninois accueillera essentiellement les grossistes ou professionnels du commerce de gros. Sur cette nouvelle plateforme qui s’appuie sur les insuffisances de Dantokpa, des services de police, de sapeur-pompier ainsi que de la douane sont intégrés. Ce qui devra permettre non seulement d’assurer la sécurité physique des personnes et des biens, mais aussi de faciliter l’obtention des documents administratifs aux agents économiques qui y seront déployés. Mis en œuvre dans un contexte où le marché Dantokpa a atteint le pic en matière d’usagers, d’accueil, cette plateforme, selon le ministre José Didier Tonato, sera le « marché de gros » le plus moderne de toute la sous-région. Dans l’esprit de se conformer aux différentes activités qui se mènent à Dantokpa, il est prévu un Mall et une galerie commerciale sur l’esplanade du stade Général Mathieu Kérékou pour accommoder le commerce moderne et le commerce noble concernant les cosmétiques, les bijoux et les textiles. Un ensemble de trois projets qui permettront d’ici quelques mois, le déménagement définitif du marché de Dantokpa. Même si ledit projet peine encore à être finalisé quand on sait que fin 2021 était la date avancée pour le concrétiser, plus que jamais, il est d’actualité dans les programmes du gouvernement qui, d’ailleurs, s’investit dans la rénovation des marchés urbains dont la capacité est multipliée par une fois et demie pour pouvoir accueillir les commerçants de détails.
Des impacts sur le développement local
Dans un contexte où, partout ailleurs, les appels se multiplient en faveur de la transformation des cités et villes d’Afrique en moteurs de la croissance économique et du développement social, l’initiative de transfert du marché Dantokpa se révèle être bénéfique à plusieurs points de vue. D’un coût global de 80 milliards de FCFA, ce projet, à n’en point douter, va accélérer l’urbanisation de la cité dortoir (Abomey-Calavi) et des villes environnantes en habitat comme en infrastructures routières. Ce qui, logiquement, réduirait la densité du trafic observé sur l’axe Calavi-Cotonou quand on sait qu’un nombre important d’agents économiques et/ou consommateurs, pour leurs activités ou achats, sont obligés de mettre le cap sur Tokpa chaque jour. Ceci pourrait également permettre une baisse du coût du transport des matières agricoles (en provenance du centre et du septentrion), et, peut-être, une baisse du prix des produits alimentaires. Une chose est certaine, le développement local en sort gagnant.