Conservateurs authentiques de la médecine traditionnelle, dans une certaine dimension, les marchés d’ossements d’animaux, au Bénin, résistent à la tendance planétaire de la sauvegarde des espèces fauniques. Bien qu’au service de tout un peuple, les dégâts silencieux de ce business deviennent saisissants.
Sylvestre TCHOMAKOU
Ancré dans la tradition béninoise depuis la nuit des temps, les « restes d’animaux morts » employés comme remèdes à tous types de maux, loin de s’effacer du quotidien des peuples avec l’arrivée des Européens en Afrique, continue de faire bon ménage avec la médecine moderne. Du Nord au Sud du Bénin, presque dans tous les marchés, ce business ne cesse de s’animer. Ici, il n’est point question d’ails, de poivre, de cube, de tomate ou de crin-crin, mais d’ossements d’oiseaux, d’une variété de cranes, de reptiles de tous genres ; sans oublier les espèces aquatiques ou marines qui y sont enregistrées. « Bôhi » ou encore « Noucoucou-himè » sont les appellations endogènes en langue « Fôn » de ce marché, pour signifier respectivement « marché de gris-gris » ou « marché d’animaux morts ». Ouverte, notamment à ceux en quête de guérison spirituelle ou corporelle, cette pharmacie traditionnelle, même si elle propose des dépouilles d’animaux ou « non » à sa clientèle disparate, se révèle être un business rentable pour ces commerçants tout particuliers en dépit des odeurs fétides qu’elle libère. « Les prix des ingrédients que nous avons dans ce marché varient. », développe Théophile Aïdohouè, revendeur d’os et divers dans le marché de Godomey Hlacomey. « Il y a par exemple la tête du boa qui est vendu à 2.000 f cfa, celle du vautour à 5.000 f cfa. Si vous voulez le complet du vautour, il faut prévoir 12.000 f cfa » explique-t-il, tout occupé à sévir un de ses clients qui, s’efforce en vain de marchander deux œufs de tortue marine pour lesquels il lui est proposé 3000 f cfa, soit 1500 f cfa l’unité. Qu’elles soient curatives, préventives ou encore destinées à des compositions devant attirer la chance, les variétés d’os, de plumes d’oiseaux, de mues de reptiles, de cornes, etc. ont un coût onéreux auquel n’arrivent pas à échapper les clients. Et la conséquence sur l’environnement n’est pas invisible.
La faune à l’épreuve de l’avidité humaine
Abandonnant pour la plupart leur métier de base au profit des étals de crânes d’animaux et d’autres types d’ossements, les acteurs de ce commerce sont formels sur la provenance de leurs produits. Selon les explications de Brice Tougan, un des revendeurs rencontrés au marché de Calavi-Tokpa, les carcasses exposées proviennent du Zou du Bénin (Bohicon, Abomey, etc.) dont il est natif; des Collines (Dassa, Savè, Manigri, etc.) et aussi du nord Bénin grâce aux chasseurs. Même s’il est vrai que les ossements mis en vente proviennent « d’animaux morts de mort naturelle », il en est de même que le braconnage est l’autre moyen dont usent leurs livreurs, et ce, en fonction de la demande. « Je commande mes produits depuis Abomey. Parfois, ce sont des produits de chasse qui me sont envoyés. », confie Théophile Aïdohouè, le surnommé Taofik. Il n’hésite non plus à faire savoir qu’intervenant dans plusieurs compositions à ingérer ou à inoculer, le vautour, en dépit de sa raréfaction, aux heures de pointe, subit un braconnage de la part de leurs livreurs chasseurs. Autant dire que le risque de la disparition totale de certaines espèces animales, même s’il est saisissant, ne semble point émousser l’ardeur de ceux-ci.
Quel héritage pour l’avenir ?
Dans un monde où les appels sont florissants quant à une nouvelle politique dans chaque Etat pour la sauvegarde de l’environnement, au risque de compter dans le passé certaines espèces de ses ressources faunistiques, le Bénin se doit d’accroître la veille. Certes, en leur qualité de témoins de la médecine traditionnelle, les marchés d’ossements d’animaux restent les lieux uniques pour trouver les remèdes prescrits par les guérisseurs. Cependant, face à l’avidité et à la démesure dans cette activité, à défaut de l’interdire, accroître les séances de sensibilisation à l’endroit de ces pratiquants ainsi que les chasseurs permettrait de limiter les dégâts. Aussi, vue l’avantage touristique qu’elle pourrait constituer, la création de zones de conservation et de protection de certaines espèces, notamment celles de plus en plus rares, n’est-elle pas envisageable ?