Banques et secteur informel
Coopération difficile et défiance réciproque
Bon nombre d’entrepreneurs du secteur informel semblent avoir un manque de confiance envers les banques commerciales, parfois pour des raisons infondées. A cet effet, ils font confiance à des canaux informels. Le secteur informel contribue à peu près de 50% au Produit intérieur brut (PIB) béninois, selon la Banque mondiale.
Issa SIKITI DA SILVA
L’enquête menée auprès d’une vingtaine d’opérateurs économiques du secteur informel révèle des perceptions négatives sur les banques, la plupart d’entre elles semblent être basées sur de mythes et des rumeurs.
« Les banques sont faites pour les riches et les politiciens qui y vont déposer beaucoup d’argent. Nous, avec le peu qu’on se débrouille avec, les banques ne vont pas nous accepter », déclare Justine Gnaho, une vendeuse d’articles de féminins au marché de Dantokpa.
Personne ne sait d’où viennent les informations que Justine Gnaho possède sur les banques parce qu’elle semble n’avoir jamais mis les pieds dans une banque du pays pour s’informer. « C’est ce que les gens racontent par-ci par-là. Que ce soit vrai ou faux, moi je me sens à l’aise avec les tontines et les micro-financiers », a-t-elle ajouté.
Mohamed, le copropriétaire d’un cafeteria, a dit ceci : « Il parait que c’est compliqué pour ouvrir un compte bancaire au Bénin. Alors je préfère remettre mon argent à quelqu’un pour garder car je peux le récupérer à tout moment pour faire des affaires au lieu d’attendre debout le long d’une queue interminable dans des banques ».
On ne prête qu’aux riches
« Les banques prennent l’argent qu’on leur verse et le prêtent aux riches et aux grandes compagnies et après elles vous le remettent sans intérêt. C’est injuste. Et parfois quand tu vas là-bas pour retirer ton argent, par exemple 100 000 FCFA, on te dit qu’il n’y a pas assez d’argent, prenez seulement 50 000. Comment ça, mon propre argent ? », s’est interrogée Joséphine Houssou, une femme d’affaires.
« En plus, même si vous êtes leur client loyal et vous y versez régulièrement de l’argent, le jour où tu auras besoin d’emprunter de l’argent, elles vont vous fatiguer avec leurs conditions sophistiquées. Les banques ne font rien pour nous les commerçants informels, ce sont les micro-financiers qui nous aident», a-t-elle ajouté.
Liquidités abondantes
« Dans les pays en voie de développement, les banques ne participent pas — ou très peu — au financement des petites entreprises. Et cependant, en Afrique notamment, elles disposent de liquidités abondantes. C’est le secteur financier informel, les tontines qui financent la petite activité économique. C’est aussi le secteur semi-formel, qui se développe de plus en plus, avec les programmes d’appui aux entreprises et les formules de micro-crédit gérées par des caisses locales ou des organisations non gouvernementales », affirme Michel Lelart, un expert de l’Université d’Orléans dans son papier de recherche intitulé ‘’La Stratégie de la banque africaine face aux secteurs informel et semi-formel’’, publié en 2000.
Contre-attaques
Selon Michel Lelart, les raisons citées par les banques pour leur relation tendue avec le secteur informel sont les suivantes : « Les banques ont pour ambition légitime de faire du profit et de verser des dividendes à leurs actionnaires. Elles se doivent donc d’avoir une activité rentable et d’être rigoureuses dans le choix de leurs opérations ».
Les opérations de crédit avec les petites entreprises et micro-unités sont particulièrement trop risquées car les banques connaissent mal ses clients sur lesquels elle a peu d’informations. Les entreprises non seulement ne tiennent guère de comptabilité, elles n’ont pas aussi de notion précise de leurs résultats et ne trouvent pas facilement de garanties à offrir.
« Les relations avec les banques ne sont pas fondées sur les valeurs, la proximité et la solidarité, chères aux africains. Tous ces obstacles ont fini par entrainer une espèce de défiance réciproque qui rend difficile une telle coopération. Cependant, la confiance est ailleurs, dans l’informel, où les prêteurs et les emprunteurs entretiennent entre eux des relations très étroites et se connaissent parfaitement, donc ils n’ont pas besoin de s’engager par écrit ou de fournir des garanties », explique Michel Lelart.