( Les structures comme l’ANPME interpelées )
Au Bénin, pour accompagner les startups à concrétiser leurs projets en entreprise, les centres d’incubation ne cessent de multiplier les actions devant conduire au succès souhaité. Dans ce nouveau numéro de la rubrique ‘’Entrepreneuriat et industrie », Abdel Aziz Assani, responsable de l’espace d’incubation « Btech Space », présente l’apport des incubateurs dans l’essor de l’entrepreneuriat béninois. Entretien.
L’économiste du Bénin : Comment présentez-vous Btech Space ?
Btech Space, c’est un espace de co-working. C’est un espace qui permet aux jeunes de travailler dans un environnement serein et dans un écosystème entrepreneurial pour avoir non seulement la disponibilité et l’espace, mais aussi pour confronter leurs idées avec d’autres personnes qui sont dans une démarche entrepreneuriale. C’est d’abord la motivation première de Btech Space. Mis à part cet espace de co-working, il y a un incubateur d’entreprises, c’est-à-dire des programmes qui permettent aux entreprises d’être accompagnées en termes de formation et en termes de recherche de financements.
Btech Space, pour répondre à quelle préoccupation ?
Moi-même je suis chef d’entreprise et j’ai eu à passer par un espace de co-working en France avant de créer mon entreprise. Je me suis rappelé que c’était agréable pour moi d’avoir un espace où j’avais la possibilité de quitter la maison, d’être accompagné par des gens et aussi d’échanger avec d’autres personnes qui avaient les mêmes idées que moi. Je l’ai fait à Lyon, je suis resté dans un espace d’incubation pendant deux (02) ans avant de créer ma première entreprise. Alors du coup, je me suis rappelé cela quand j’ai décidé de rentrer au Bénin. J’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice en créant un espace pour les jeunes qui ont envie d’entreprendre voilà pourquoi j’ai pensé à mettre en place un pareil espace.
De quoi est fait votre quotidien au niveau du centre d’incubation ?
Nous accueillons des jeunes avec qui nous discutons tout en leur présentant les possibilités qu’ils ont pour intégrer notre structure ainsi que les avantages qui vont avec. Par ailleurs, nous organisons des programmes de formation qui font partie du programme d’accompagnement. Notre particularité, nous ne sommes pas axé sur les domaines de la technologie, agroalimentaire ou agrobusiness. On accueille les jeunes dans tous les secteurs d’activités.
De manière pratique, comment ça se passe ? Selon quels critères sélectionnez-vous les jeunes entrepreneurs ?
Nous acceptons tout le monde. L’objectif premier est que les gens aient envie d’entreprendre, qu’ils aient un niveau scolaire ou pas. On a une petite contrainte qui en réalité n’en est pas une. On demande aux jeunes de payer 10.000 FCFA pour occuper l’espace qui est ouvert de 9 heures à 20 heures avec la connexion wifi, un accompagnateur, des coachs qui sont là pour les aider, les aiguillonner sur les questions éventuelles qu’ils auront. Donc ça coûte 10 mille FCFA pour un mois.
En termes d’accompagnement, on a trois sortes d’accompagnement. Le premier est le coaching pour tout le monde. C’est-à-dire qu’il y a des personnes ressources présentes à qui ils peuvent poser des questions auxquelles ils auront de réponse. Le deuxième niveau d’accompagnement est le programme d’incubation où ils sont dans un programme de formation sur diverses thématiques liées à l’entrepreneuriat, au management, à la communication, au graphisme, aux finances, etc. A partir de là, on les accompagne réellement à la mise en place de leur plan d’affaires, le business plan. Il y a maintenant un troisième niveau d’accompagnement qui est le développement. Ce volet s’adresse aussi bien aux startups naissantes qu’aux entreprises déjà existantes. C’est-à-dire des entreprises qui viennent d’être créées ou des entreprises qui existent déjà et qui ont besoin de lever des fonds que ce soit pour leur lancement ou pour un projet particulier. On a une dizaine de possibilités de levée de financements qui ne sont pas les mêmes choses selon les projets. Voilà les trois niveaux. Quand vous entrez à Btech Space, vous avez toutes les différentes possibilités de création d’activités. Notre objectif est de donner aux jeunes la capacité d’entreprendre.
Ce qu’on a constaté depuis 4 ans que nous existons, c’est qu’il y a énormément de personnes qui veulent entreprendre mais ils ont très peu de possibilité. Je dis souvent qu’une ville comme Cotonou doit comporter au minimum 100 incubateurs d’entreprises, vue sa capacité et sa taille.
Le bilan du parcours observé, comment l’analysez-vous ?
Il faut que des initiatives comme les nôtres soient encouragées aussi bien par les pouvoirs publics que par ceux qu’on peut appeler les décideurs économiques du privé. Parce que c’est très difficile aujourd’hui de voir des gens qui sont prêts à mettre de l’argent sur un projet quand bien-même ils ont de l’argent qui dorment en banque. Mais, l’Etat ne leur a pas facilité la tâche parce que non seulement les programmes étatiques n’ont pas permis de communiquer sur les avantages d’être un « business angel » (investisseur providentiel), comme quoi, si vous mettez de l’agent dans un projet, ça vous permet d’avoir des exonérations fiscales, comme ça se fait ailleurs. Au lieu de payer les impôts avec cet argent, vous le mettez dans une entreprise et vous payez vos impôts en aidant une entreprise à se créer et à créer de la richesse. Donc il y a une faible incitation des personnes qui ont de l’argent à aider d’autres.
La deuxième chose qu’on a constatée, c’est la frilosité des banques de la place à suivre et à accompagner les entreprises. D’ailleurs, les banques au Bénin ne s’intéressent pas trop aux entreprises parce qu’elles ne font pas de démarches vers celles-ci. S’il arrive à certaines entreprises de décrocher de financement, c’est avec des taux d’intérêts exorbitants compris entre 10 et 20%. Alors qu’ailleurs, pour une startup, ce sont des prêts à 0%, au maximum 3%. L’Etat et les structures doivent se pencher sur ça pour proposer des solutions durables parce qu’on ne peut pas vouloir aider une entreprise et mettre des taux exorbitants. L’autre chose est que l’Etat doit considérer les structures qui sont en contact permanent avec les entrepreneurs. Quand je vois des structures comme Sèmè City, ce sont des structures qui font leur travail. Mais Sèmè City doit aussi travailler avec les incubateurs et non se substituer aux incubateurs parce que les incubateurs sont déjà sur place et travaillent. Sèmè City a de l’argent public et concurrence les incubateurs qui n’ont pas de l’argent public. Du coup, ça biaise le travail. Sèmè City doit pouvoir être partenaire des incubateurs en place. Et au lieu de mener des programmes directement avec les autres, il doit mener des programmes avec les incubateurs qui existent déjà. Il y a énormément de jeunes qui veulent créer de la richesse.
Des projets à court, moyen et à long terme ?
On a bien de projets à court, moyen et long terme. On a engagé des partenariats avec l’université d’Abomey-Calavi en occurrence le Centre de Formation en entrepreneuriat et en volontariat avec qui on a un partenariat dynamique. Désormais, Btech Space travaille avec les jeunes pour qu’ils aient la vision académique et universitaire de l’entrepreneuriat. Ils viennent aussi chez nous pour toucher du doigt la réalité du travaille. On a aussi un partenariat avec le Haut Commissariat des béninois de l’étranger pour permettre aux Béninois qui sont hors du pays, de commencer à investir en créant leurs entreprises au pays. Déjà il y a des Béninois qui sont aux Etats Unis, en France, au Canada qui ont lancé leur startup par Btech Space. On est en train de formaliser un partenariat avec d’autres organisations. Je ne vais pas aussi oublier le programme « Boss lady » qui est un programme pour accompagner les femmes dans l’entrepreneuriat.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de vos activités ?
Il faut noter que les jeunes malgré le prix dérisoire de 10.000 FCFA par mois, n’arrivent pas à payer. Sur 100 jeunes qui viennent, à peine 10 arrivent à payer. Ne pouvant pas renvoyer le reste, on est obligé de faire avec l’ensemble. On ne leur en veut pas, c’est le climat financier qui est ainsi. Ce qui fait qu’on est obligé d’augmenter notre besoin en fonds de roulement et aussi de créer d’autres activités rémunératrices de revenus pour la structure parce qu’on n’a pas d’accompagnement particulier.
Combien de jeunes ont pu bénéficier de vos services depuis 2016 ?
De 2016 à 2020, nous comptons près de 500 jeunes inscrits. Parmi ceux-ci, il y a une cinquantaine qui a suivi le programme de formation, et, il y a une quinzaine qui a fait partie du programme de levée de fonds.
Quelle politique entrepreneuriale proposez-vous pour le développement des startups béninoises ?
Aujourd’hui, deux problématiques sont évidentes. S’il n’y a pas de l’argent, il n’y a pas de création d’entreprise. Il faut donc mettre en place un fonds qui pourrait faire des prêts à taux zéro pour ces jeunes, parce que les banques ne sont pas là, ni pour les entreprises ni pour les startups. Evidemment, pour attribuer des financements aux postulants, il faut tenir compte des filières et que les jeunes soient suivis par de vrais incubateurs. L’autre problématique est celle de l’industrie de la transformation. 90% des produits que les jeunes veulent fabriquer ici ont besoin de machines qui sont achetées en Chine. C’est un gros problème. Les jeunes ont besoin de machines alors que ces machines ne sont pas sur la place. Donc l’Etat doit aider cette frange de la population qu’on appelle « génies des procédés » à mettre en place des machines pour faire des emballages, pour faire de la combustion. On a besoin de développer le génie des procédés et du machinisme au Bénin. La révolution entrepreneuriale ne que peut passer par là. Un exemple simple. On a du sable de verrerie au Bénin mais les gens pour embouteiller leurs produits sont obligés de commander des bouteilles à l’extérieur. Cela ne facilite pas la tâche aux entrepreneurs. C’est pour ça que je dis que les structures comme l’ANPME et autres ne font pas encore leur boulot. Ce sont eux qui doivent prendre à cœur ce travail et, mettre en place des structures pour que nos jeunes arrêtent de commander des bouteilles en Europe et en Chine. On doit pouvoir produire ça au Bénin. Pour faire la révolution de la transformation de nos produits, il faut pouvoir faire la révolution du génie des procédés, de la création des machines. 99% des startups qui ont réussi, c’est parce que leurs parents ont sorti des fonds pour les pousser. Si ces parents n’existaient pas, il n’existera pas de startup.