Du 05 au 06 mai 2022 a eu lieu à Lomé la première édition du Forum international de l’intermédiation, du numérique et de l’innovation (FONI). Il a consacré le lancement officiel des activités d’Afrik Créances et l’annonce de la mise en place du premier Guichet unique régional et un Fonds d’impulsion aux PME/PMI (GURFI). Dans cet entretien, Blaise Ahouantchédé, Président & CEO de Afrik Créances revient sur cette édition génèse et les grandes mutations à venir dans le système bancaire et de l’accès au financement des PME/PMI en Afrique. Lisez.
L’économiste du Bénin : Vous venez de boucler la première édition du FONI au terme de laquelle vous avez lancé Afrik Créances. Que retenir ?
Blaise Ahouantchédé : Merci déjà de l’opportunité que vous m’offrez de pouvoir parler du nouveau projet régional que je porte désormais. Je voudrais vous remercier pour tout ce que vous faites en matière de diffusion de l’information économique. De plus, vous venez du Bénin, mon pays natal et sincèrement, j’en suis vraiment touché. Le projet Afrik Créances est le fruit de plusieurs années de réflexion que des partenaires m’ont fait l’amitié d’en conduire les destinées dont le siège régional sera ici à Lomé avec un rayonnement sur dix à quinze pays les cinq prochaines années. On va démarrer fondamentalement avec quatre pays. Le Togo où il y aura une filiale, le Sénégal, la Côte-d’Ivoire et le Mali. Nous allons essayer de tester le modèle régional de ce nouveau concept ou modèle d’affaire sur ces premiers pays puis après, nous allons faire l’extension à d’autres en fonction des opportunités qui s’offriront.
Pourquoi une telle initiative et qu’est-ce qui l’a inspirée?
C’est une bonne question. Vous savez, nous sommes des observateurs avertis des problèmes auxquels sont confrontés aujourd’hui les États, les sociétés et les entreprises, je dirai de manière générale, les agents économiques. Le constat est clair. À partir des chiffres, on peut expliquer le bien-fondé d’une telle initiative. Quand vous prenez aujourd’hui le taux de bancarisation comparé aux pays développés, il reste relativement encore faible. Des efforts ont été fait parce que quand j’étais à la tête du GIM-Uemoa dans les années 2000, le taux de bancarisation tournait autour de 10% ; maintenant, il a progressé et se situerait à environ 30%. Dans les pays développés, ce taux avoisine les 99%. Le deuxième volet que je voudrais souligner, c’est le financement des PME/PMI, le financement des agents économiques, l’accès au crédit. Il y a aujourd’hui des efforts à faire pour accompagner ces acteurs économiques. Je fais partie des écoles qui pensent qu’on ne peut assurer un vrai financement de l’économie, que lorsqu’on attaque le secteur privé. C’est pour cela qu’après observation de toutes ces problématiques, nous avons décidé de la mise sur pied d’un nouveau projet avec un nouveau modèle d’affaire. Un projet axé sur l’intermédiation qui va entrer en relation avec les agents économiques pour apporter, si vous voulez, un appui aux banques et aux Etats dans leur processus de soutien au secteur privé et au financement de l’économie. C’est ça l’enjeu à l’étape actuelle.
Durant la cérémonie de lancement du projet, on vous a vu mobiliser, la fine fleur du secteur financier sous-régional. Aujourd’hui, qu’est-ce que vous leur apportez de plus à travers ce projet ?
La présence de tous ces acteurs, le parterre d’autorités et de participants venus des cinq coins du monde, montrent véritablement l’intérêt que porte ce projet. Nous sommes partis d’abord des termes de référence à travers lesquels nous avions planté le décor en dressant le diagnostic des sujets qui interpellent à la fois les autorités, les régulateurs, les institutions régionales, internationales, les États et les acteurs économiques. A partir de ce diagnostic, les gens étaient sensibles et se sont dit voilà un cadre d’échanges qui peut permettre un dialogue entre les régulateurs bancaires, financiers ou des télécommunications ainsi que d’autres régulateurs avec les consommateurs et également les agents économiques. Et vous avez vu que les thèmes qui ont été choisis répondaient véritablement aux préoccupations de nos populations et de nos entreprises.
Justement et les principales préoccupations étaient l’intermédiation, la réglementation, l’inclusion financière, la digitalisation pour ne citer que celles-là. Alors, quelle est la pertinence de ces sujets dans le contexte actuel?
Vous avez un bon œil Monsieur le Journaliste. Je l’ai dit et je parie sur un siècle que pendant encore cent ans, on va toujours entendre parler du tryptique « Intermédiation, Numérique et Innovation ». Nous sommes dans une nouvelle ère avec ce que j’appelle un espace de globalisation, avec tous les pays qui sont interconnectés, où aujourd’hui, nous avons dans un certain nombre de pays confrontés à des problématiques de financement et de développement qui affectent par effet domino d’autres pays. Donc nous sommes dans un monde vraiment inter-dépendant favorisé par les technologies. Ces thèmes-là ont été choisis pour concrètement essayer d’aborder des sujets à travers lesquels, nous pourrions accompagner utilement nos agents économiques et nos États. Je prends par exemple la question de l’intermédiation. C’est un sujet qui est d’actualité dans tous les pays du monde. De plus en plus, on trouve de nouveaux acteurs sur le marché qui ont plus d’agilité et utilisent efficacement la technologie pour accéder aux consommateurs ou aux agents économiques. Nous notons par exemple les questions liées à la digitalisation qui permettent de mettre en place des produits et services basés sur la technologie pour pouvoir satisfaire les consommateurs. Nous, dans notre positionnement comme je le dis, étant à cheval entre les agents économiques et les banques qui sont les partenaires directs de Afrik Créances, nous allons vraiment fournir une offre diversifiée et variée basée sur la technologie et faire en sorte que l’offre bancaire, l’offre financière des banques puisse être élargie vers des populations qui n’ont pas accès au crédit, des populations qui n’ont pas accès aux services financiers, des populations qui aujourd’hui ont besoin justement d’accompagnement. C’est d’ailleurs pour ça que lors de ce forum, j’avais parlé de la première initiative, de la mise en place du Guichet unique régional et un Fonds d’impulsion pour les PME/PMI sur lequel, nous allons travailler les prochaines années. Car c’est important qu’il y ait des instruments qui facilitent l’accès au financement dans un cadre d’intégration. C’est comme cela, me semble-t-il, que nous allons pouvoir appuyer les États dans leur quête de développement.
Afrik Créances se définit comme le premier hub de services financiers de la sous-région. Quels sont les moyens, atouts et opportunités…en un mot, votre force pour la réalisation de cette grande vision ?
Pour réussir un tel projet, il faut avoir du capital humain. Ça c’est la première des choses. Tout le reste, c’est facile. Si nous avons des ressources humaines bien formées, capables de porter des projets transformateurs, des projets innovants comme celui d’Afrik Créances, le défi devient facile à relever. C’est pour cela que j’étais très content en voyant les étudiants du Centre de Formation Bancaire du Togo qui étaient là, j’ai saisi l’occasion pour attirer leur attention sur la nécessité d’approfondir véritablement leurs connaissances dans les domaines qui sont très demandés aujourd’hui. Afrik Créances mettra un accent particulier sur le capital humain et l’excellence. Je voudrais rappeler que les trois principaux domaines qui nous paraissent extrêmement importants sont : premièrement l’ingénierie financière où on a besoin des compétences, des gens qui sont pointus, qui maîtrisent des dossiers de structuration parce que dans les différents pans d’activités d’Afrik Créances, nous avons besoin de prendre en charge des projets complexes, de les analyser et de les rendre bancables puis les porter pour chercher du financement. C’est pour ça qu’on parle d’un guichet. C’est-à-dire que demain, au niveau de Afrik Créances, quand vous venez avec une idée, nous devons vous aider à la transformer en projet bancable et vous aider à obtenir le financement, constituer les garanties, aller vers les banques, mettre les banques en concurrence pour accélérer le processus de traitement : c’est ça ce qui fonde le modèle d’affaires de Afrik Créances. Je pense, de mon expérience dans la zone, que c’est la première fois qu’on initie de manière structurée, un tel volet de courtage en crédit. Le deuxième domaine, c’est celui de l’ingénierie informatique. Dans l’ingénierie informatique, nous allons nous appuyer sur les jeunes qui maîtrisent vraiment la technologie. Et le troisième domaine, c’est l’ingénierie juridique. Ce dernier se justifie par le fait qu’on développe une offre de recouvrement des créances où nous avons vraiment besoin d’éminents juristes pour s’en occuper. Donc notre premier atout, c’est d’abord le capital humain. Le deuxième atout, c’est que nous avons quand même une bonne connaissance de l’environnement. J’ai fait moi-même, un peu, le tour de la zone Uemoa, je dirai de l’Afrique pendant mes fonctions antérieures où j’ai discuté avec les populations pour comprendre leurs besoins. Je suis un homme de terrain. J’ai dû faire un certain nombre de diagnostics pour voir ce qu’il est possible d’apporter en termes de solutions à ces besoins de nos populations et de nos agents économiques. Ceci est très important quand vous initiez un projet de telle envergure à l’échelle de dix à quinze pays. Et pourquoi j’insiste là-dessus ? C’est parce que j’aurais dû faire un autre choix que de présider au destin de Afrik Créances. Mais je me suis dit qu’il faille laisser un héritage pour l’Afrique. Car personne ne viendra construire notre continent à notre place. Il n’y a que les Africains qui puissent le faire. Donc il faut un peu de sacrifice, un peu de détermination, et croire en ce que nous faisons. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est faire en sorte que l’on parle d’une Afrique qui gagne, d’une Afrique qui va loin dans un cadre d’intégration. Et l’intégration devient un atout important parce que nous avons des pays avec une population qui croît sans cesse. Ce n’est que dans un cadre intégré que nous pouvons profiter de tous ces instruments régionaux qui existent. Et là, nous pourrions avoir la masse critique qui nous permette de sécuriser et de rentabiliser nos initiatives. Donc le dernier atout, c’est vraiment la digitalisation. Ça, c’est incontournable. Quand je parle de digitalisation, elle regroupe la technologie, les innovations, et la modernisation. Voyons le cas du Bénin par exemple, je tiens vraiment à saluer le travail qui est fait, notamment l’administration intelligente qui produit des résultats impressionnants. Avant, pour pouvoir prendre son casier judiciaire, il fallait parfois se déplacer sur plusieurs centaines de kilomètres pour se rendre dans sa localité. Aujourd’hui, on peut l’obtenir en ligne en quelques minutes même si on est à l’étranger. La dernière fois, j’étais aux Etats-Unis et j’avais besoin de mon casier judiciaire. C’est en ligne que je l’ai obtenu en quelques minutes. Il faut saluer les efforts qui ont été faits par le gouvernement du Bénin. Aujourd’hui, ce que nous essayons de faire à travers Afrik Créances, c’est d’apporter notre modeste contribution, de par la connaissance que nous avons de l’environnement et de l’écosystème, pour soutenir non seulement les efforts des États mais également ceux des entreprises, notamment les PME/PMI, et donner une fenêtre aux populations pour accéder au crédit et puis aux services financiers à moindre coût.
Quels sont les autres objectifs que vise Afrik Créances à travers le FONI qui se veut un puissant outil mobilisateur des acteurs financiers à court, moyen et long terme?
Au titre du FONI, au départ, je pensais en faire un évènement chaque deux ans. Mais quand j’ai vu l’engouement hier, j’ai compris qu’on ne peut pas attendre deux ans. Beaucoup de choses vont passer. Il faudrait pendant les débuts tout au moins en faire un évènement annuel. Au vu des questions, de la qualité des intervenants, vraiment, le sujet intéresse les gens. Et quelqu’un m’a même fait la confidence, d’habitude pour ces événements, on voit les gens venir à l’ouverture et on ne les voit plus, c’est fini. Mais pendant deux jours, il y avait une attention particulière, des débats intéressants sur lesquels les gens sont restés concentrés. Ce qui a le plus retenu mon attention, c’est que les autorités étaient présentes à l’ouverture et à la clôture ; il y en avait aussi dans la salle qui venaient écouter les débats. C’était très touchant. La pertinence des problématiques évoquées a retenu toute mon attention.
Les régulateurs sont interpellés pour apporter des réponses. Aujourd’hui, moi je dis, si nous écoutons le marché, si le FONI peut permettre de réunir les acteurs, d’être un cadre fédérateur et d’échanges, nous pourrions relever les défis de développement. C’est ce que les pays développés ont réussi à faire. On parle des États-Unis d’Amérique mais les États-Unis d’Afrique doivent commencer à travers des initiatives du genre où les gens peuvent venir partager leurs expériences, et que les autorités, les acteurs puissent s’en saisir et créer le cadre qu’il faut pour faciliter les affaires. Ce n’est que ça, et c’est ce que le FONI compte faire. Donc à très moyen terme, l’année prochaine, les 4 et 5 mai 2023, on va faire le FONI ici même à Lomé. Vous me permettrez de penser au Bénin dans les années qui suivront. Je vous promets qu’on ira au Bénin et qu’on va placer le FONI sous l’autorité de son excellence le Président de la République Patrice Talon. Ça je vous le promets et je prendrai des dispositions dans ce sens. Un autre objectif pour Afrik Créances, maintenant que nous commençons notre activité, sera de mettre en place tous les process. Vous savez que moi j’aime quand les choses sont bien faites. Il faut prendre le temps de mettre en place les process et voir comment au cours du troisième trimestre, nous allons pouvoir ouvrir nos portes au public afin que les gens puissent venir voir les innovations de Afrik Créances. A moyen terme, il faut recruter les bonnes compétences, les talents qui vont travailler au sein de Afrik Créances. J’ai été très transparent à la clôture. J’ai dit qu’on veut les meilleurs, on ne veut pas de l’à-peu-près. On ne peut pas construire un projet d’une telle importance avec de l’à-peu-près. Je voudrais saluer au passage le travail remarquable que font les médias. Je veux parler des médias qui nous accompagnent, et sans trahir aucun secret, L’économiste du Bénin que dirige un grand Monsieur, Léonard Dossou. Aujourd’hui on a besoin des talents, des champions. Et je considère L’économiste du Bénin, aujourd’hui, comme un champion de l’information économique avec un positionnement qui est très clair. Tous les décideurs aujourd’hui, chaque matin, lisent le journal L’économiste. Moi, j’étais aux Etats-Unis mais je recevais régulièrement ce journal et je le lisais. C’est pour dire que l’Afrique doit fabriquer des champions. C’est ce que les États Unis font. Ils fabriquent des champions et ce sont ces champions-là qui drainent le pays. Donc à terme, Afrik Créances va se positionner comme un champion de l’intermédiation, et aider les gens. On va développer les différents pays, recruter les directeurs généraux de ces filiales et on va accompagner les différents États, les agents économiques conformément à la mission et la feuille de route que nous nous nous sommes tracées. Voilà donc un peu la mission les prochains mois et les prochaines années. Je pense qu’on ne va pas chômer, sutout que le domaine est très vaste.
Entretien réalisé par Léonard DOSSOU et transcrit par Bidossessi WANOU (Suite dans nos prochaines parutions)