Dans le royaume de Danxomè, l’obligation est faite aux princes aspirants au trône ou au souverain d’enrichir le patrimoine culturel d’une création artistique pour immortaliser leur règne. Ainsi, de Houégbadja à Agoli-Agbo en passant par les chefs cantons, chacun a inventé et/ou amélioré un rythme. De ce fait, Agbadjassossi porte la griffe du roi Tégbéssou qui plus tard va être réhabilitée par le festival de Danxomè.
La colonisation a enrayé le riche patrimoine culturel et immatériel de Danxomè. Ne disposant plus de moyens de conservation, la monarchie perd le contenu de son répertoire de danses et chants cérémoniels au point où la génération actuelle n’en sait plus rien. Or qui perd ses traces, a perdu son identité. Blaise Ahanhanzo-Glèlè, le maire d’Abomey d’alors, conscient de cette réalité, à travers le festival de Danxomè (2003-2016), a épousseté quelques uns de ces rythmes dont ‘’Agbadjassossi’’, une invention du roi Tégbéssou. Cette percussion a été créée par ce souverain dans le but d’agrémenter son repos et d’accompagner le récital du palais royal. D’après les explications de Bah Nondichao, documentariste à la retraite, ‘’Agbadjassosi’’ est dérivé du rythme ‘’Agbadja’’ inventé par le roi Tégbéssou dans le but de marquer son règne d’une empreinte indélébile et d’enrichir le patrimoine culturel. Plus tard, il a été rénové. Son fils Kpengla y apporte donc du sien en vue de le rendre plus expressif. Ainsi, on y distingue plusieurs types d’Agbadja à savoir le ‘’Agbadja Glégbéton’’ dont l’animation est essentiellement laissée aux soins des hommes. Celui joué exclusivement par les femmes est appelé ‘’Agbadja Honmèton’’. En 1818, Guézo l’a adapté à sa taille. En y imprimant sa touche particulière, le souverain, au regard de sa géante taille, n’arrive pas à danser aisément le Agbadja Glégbéton en raison de sa rapidité et de sa cadence. Voulant aussi faire la promotion de ce rythme l’une de ses priorités au plan culturel, Guézo, reconnu pour la qualité de son timbre vocal et ayant la maîtrise des notes musicales, a tôt fait de façonner le rythme initial en retouchant sa chorégraphie et en atténuant ses cadences. Il devient alors Agbadja Adjogbo. En l’adaptant ainsi à sa corpulence, le 7ème roi de Danxomè l’a exécuté avec aisance et pour la toute première fois dans son palais princier à Agbangnizoun sous les ovations bien nourries de la foule. « C’est plus lent et plus facile à danser par rapport à l’autre », précise Bah Nondichao. Cette a fait du chemin pendant 40 ans. A l’issue de son intronisation, le roi Glèlè, en s’inscrivant dans la dynamique de la continuité et de la préservation de l’héritage culturel hérité de ses prédécesseurs, a gardé en l’état la danse Agbadja Adjogbo à la seule différence qu’il a confié l’orchestre à Dah Kintin qui en a fait ses choux gras.
La touche d’Agoli-Agbo
Le roi Agoli-Agbo, n’a pas fait piètre figure. En plus de ses nombreuses œuvres dans le domaine culturel, il a insufflé une nouvelle dynamique au rythme Agbadja Adjogbo laissé par son aïeul Guézo. D’après les informations reçues de notre documentariste à la retraite, le dernier roi occupant du trône de Danxomè n’a fondamentalement pas changé grand-chose au niveau de cette danse. En maintenant les autres aspects, il a introduit dans la chorégraphie la queue du cheval que manipulent les danseurs dans une harmonie de mouvements et de gestes coordonnés. L’apport de cet élément nouveau (queue de cheval) a changé la dénomination du rythme devenu ‘’Agbadjassossi’’. Il a été inventé par le souverain, dans le but de donner un récital, de conter des histoires, de révéler les merveilles et les victoires des rois. Agoli-Agbo a également créé ce rythme pour vénérer son père Glèlè. En fredonnant quelques extraits de cette danse pour se remémorer, Bah Nondichao a rappelé que la nouvelle création d’Agoli-Agbo ressemble à l’ancien rythme de Tégbessou.
Interdit aux femmes en menstrues
Un rythme qui a été recensé lors du festival international des cultures de Danxomè. Il poursuit en ajoutant qu’Agbadjassossi permet aux femmes de faire un récital sur un sujet précis. Il est sollicité lors des rituels au niveau de la collectivité, des cérémonies dites ‘’Ganmèvo’’ et les libations aux ancêtres. A cette occasion, les chansons sont sélectionnées en fonction de la nature du rituel pour lequel il est sollicité. Les chansons véhiculent des messages poignants pleins d’enseignements et sont souvent chantées par des femmes d’un certain âge pétries d’expériences. Selon les confidences de notre interlocuteur, ce rythme, avec l’accord du roi, peut aussi animer d’autres cérémonies ordinaires. C’est ce qui explique d’ailleurs sa présence, chaque année, à la cérémonie d’ouverture officielle de la fête internationale des cultures de Danxomè. Ce n’est donc pas un rythme populaire. Pour le jouer, il faut avoir deux tambours (un moyen et un petit). Il faut également une paire de gongs gémellaires majeurs communément appelé ‘’ Gankpanvi’’ en patois fon, un petit gong de rythme dit ‘’Gankokoé ‘’ et une paire de castagnettes (assan). Les instrumentistes, au nombre de six, sont souvent des hommes ayant la maîtrise du rythme. Les femmes, en binôme, s’occupent quant à elles du chœur. Leur timbre vocal produit naturellement une mélodie envoûtante qui fait même mouvoir le souverain du haut de son trône. Par respect à la sacralité de cette danse, l’ensemble des animateurs d’Agbadjassossi sont astreints à certains interdits. En effet, à 48heures de l’animation de ce rythme, chaque animateur doit s’abstenir d’assouvir son désir charnel. Aussi, les femmes en menstrues ne doivent pas s’y approcher. Autrement dit, il faut être sain avant de jouer Agbadjassossi. Sur les traces de ses aînés dans la royauté, le roi de Danxomè, sa Majesté Dédjalagni Agoli-Agbo a apporté du sang neuf à Agbadjassossi en dotant le club des moyens lui permettant de régénérer. Autrefois mis sous boisseau, cette percussion qui renaît de ses cendres s’aligne aujourd’hui au rang de celles qui sont réhabilitées.
Rock Amadji
(Correspondant Zou-Collines)