Afin de mieux comprendre ce qui fonde les trop-perçus des agios bancaires, nous avons eu recours à l’expertise du Directeur du Cabinet consulting bancaire DLFR. Monsieur Dave Lafiadji explique dans cet entretien ce qu’il faut comprendre par « trop-perçus » des agios bancaires et comment ils surviennent. Il suggère des approches de résolution de ce problème qui envenime parfois les relations entre clients et banques, lorsque les deux parties franchissent la ligne du règlement à l’amiable.
Bonjour Monsieur, présentez-vous à nos lecteurs !
Je suis Dave Lafiadji, je suis le Directeur du Cabinet consulting bancaire DLFR qui est spécialisé dans l’assistance aux entreprises dans le domaine de la détection et de la coopération au profit des entreprises des trop-perçus d’agio bancaires, que les banques pourraient avoir opéré par inadvertance ou pour d’autres à leur détriment dans les exercices passés, cinq années passées selon les dispositifs de l’OHADA. Donc nous offrons ce service à toute entreprise que ce soit béninoise ou étrangère. D’ailleurs, nous avons déjà réalisé des missions aussi bien au Bénin qu’à l’étranger.
Comment les entreprises vous saisissent-elles ?
Très souvent, les entreprises qui ont ce genre de besoins, soit elles apprennent dans le réseau de l’offre que nous proposons aux entreprises dans ce domaine, ou bien nous-mêmes, sentant le besoin de certaines entreprises, nous nous approchons d’elles pour leur parler de nos services et de son utilité dans ce genre de situation. Si ces entreprises trouvent utile notre offre qui en réalité est souvent le cas, elles nous demandent de les assister dans ce domaine. Donc, voilà comment ça se passe, généralement les prises de contact avec les entreprises.
Est-ce par exploit d’huissier ?
Non ! Ici, il s’agit de compact d’entreprises. Nous avons une offre que nous faisons à une entreprise qui pourrait en avoir besoin ou qui pourrait la trouver utile à ses besoins et de là, nous convenons soit de travailler ensemble dans ce domaine-là. Ou bien si l’entreprise ne le juge pas très utile ou pas très intéressant à ses besoins, ce que nous lui proposons, c’est de nous dire que ça ne répond pas à ses besoins pour le moment.
Comment faites-vous pour faire connaître votre entreprise, votre expertise ?
Ah oui ! Nous sommes dans un domaine où on ne peut pas faire de la publicité à grand public. Pourquoi ? Parce que ce que nous faisons ne nous permet pas de traiter un grand nombre de clients dans un laps de temps. Nous ne pouvons traiter qu’une poignée de clients par mois ou par trimestre. Cela veut dire que faire une publicité grand public ne nous arrange pas. Lorsque nous sentons qu’une entreprise peut avoir besoin de ce genre de service, ou bien l’entreprise même, dans son réseau, apprend que l’offre existe sur le marché béninois, qu’un cabinet existe et est capable de l’assister dans la détection des trop perçus d’agios qui pourraient avoir été opérés effectivement dans les années passées à son détriment, l’entreprise nous approche ou nous l’approchons. Ça va dans les deux sens. Donc c’est comme les cabinets de profession libérale, on ne fait pas de publicité comme les entreprises commerciales de tous les jours.
Vous êtes le Directeur associé de DL Financial Research. Les trop-perçus des agios, qu’est-ce que c’est ?
D’abord, qu’est-ce que les agios ? Généralement, les agios comprennent deux éléments : les intérêts débiteurs perçus sur les crédits octroyés, crédits de trésorerie octroyés à un client. Deuxième élément, ce sont les frais et commissions liés aux opérations de crédits ou d’autres opérations bancaires. Donc, deux éléments principaux constituent ce que nous appelons les agios : les intérêts débiteurs et les commissions et frais.
Qu’est-ce qu’on entend par intérêts débiteurs et frais de commissions ?
Intérêts débiteurs, ce sont les intérêts perçus, les revenus perçus par la Banque qui octroie un crédit par caisse. La banque collecte les ressources auprès des déposants et remonnaie ces dépôts aux déposants. Par conséquent, pour rentabiliser cette opération, elle, à son tour, doit facturer le prêt de ces ressources à l’entreprise qui vient la solliciter.
Frais et Commissions sont des revenus liés à l’opération de crédit ou qui sont facturés sous d’autres prestations par la banque. Le premier volet des opérations liées à l’opération de crédit, c’est que lorsque la banque vous octroie un prêt, une ligne de crédit, elle vous facture par exemple le standard de commission d’engagement. Cela veut dire qu’une fois la banque accepte de vous octroyer une ligne d’avance, de découvert, elle accepte de mettre à votre disposition de la trésorerie lorsque vous en aurez besoin, dans la limite approuvée. Cet engagement coûte de l’argent parce que c’est comme l’engagement de l’assureur. Donc la Banque s’engage à vous fournir de la trésorerie pour cet engagement qu’elle a pris et vous facture. Donc, çà, c’est une commission. Ça rentre dans les AGIO. Donc c’est lié à l’opération de crédit. Les Frais, lorsqu’on dit qu’on est titulaire d’un compte courant auprès d’une banque, on n’est pas allé demander un prêt mais on ouvre son compte pour pouvoir gérer sa trésorerie personnelle, ces revenus personnels. La banque qui garde ce compte, l’entretient, facture ses prestations. Ce qu’elle appelle frais de tenue de compte. Et c’est ça qui lui permet de vous fournir de relevés de compte chaque mois, de mettre de l’espèce dans sa caisse pour vos retraits ou pour prendre vos versements de fonds.
Que veut dire donc les trop-perçus ?
Les trop perçus, comme le thème même l’indique, c’est lorsqu’on perçoit au-delà de la limite. Mais la limite est définie par quoi ? Très souvent, chaque année, les banques publient leurs conditions de banques. C’est même réglementaire. Donc la banque dit voilà, les conditions pour telle prestation, tel service, octroi de crédit, ligne de découvert, ainsi de suite. Au moment où la banque accepte d’octroyer son concours aux clients, à l’entreprise, la banque prend le soin de consigner les termes et conditions de cette acceptation dans sa lettre d’offre. Les taux d’intérêts que la banque pratique sont aussi communiqués réglementairement à la Banque Centrale, périodiquement. Donc par rapport à chaque client, la Banque définit le taux auquel elle accepte de traiter avec le client. Le taux n’est pas le même pour les clients parce qu’ils ne présentent pas les mêmes risques à la banque. Plus le client est jugé à risque, plus la banque demande pour compenser ce risque. Plus le risque est faible, plus le taux d’intérêt est faible. Donc lorsque la lettre qui représente le contrat entre le client et la Banque est émise, le client la détient. Lorsque le client commence à utiliser les facilités qui lui sont offertes, la banque commence à percevoir les intérêts, les commissions et les frais prévus. Si au bout d’une période, on vérifie qu’à la fin du mois la banque a facturé tel montant d’intérêt débiteur sur l’utilisation de la ligne de crédits octroyé, est-ce que le montant prélevé correspond au taux convenu, appliqué au montant utilisé ? C’est qu’on vérifie. La banque s’assure qu’elle perçoit pleinement ce qu’elle a prévu, ce qui est légitime. Il revient aussi au client de s’assurer qu’il n’a pas payé plus que ce qui est prévu. Lorsqu’il constate, ou son conseil constate que le montant prélevé dépasse ce que la banque aurait dû prélever, c’est là où survient le phénomène de trop-perçu. Donc, la banque a perçu au-delà, et naturellement, ça donne lieu à une réclamation que le client présente à sa banque.
Il faut reconnaître également que ce phénomène n’est pas à »sens unique », c’est-à-dire que, les banques, aussi, de temps à autre, constatent des moins-perçus d’agios. A la différence que, les banques détectent elles-mêmes la quasi-totalité des cas de moins-perçus d’agios qu’elles procèdent aussitôt à régulariser en leur propre faveur, tout naturellement, alors que l’entreprise, ayant fait l’objet de trop-perçus d’agios n’a pas cet avantage de »se faire justice » spontanément…
Qu’est-ce qui fondent les trop-perçus ?
En toute chose, il n’y a pas de perfection. Tel que nous avons observé le phénomène, les trop perçus surviennent du fait de deux ou trois raisons que je vais appeler erreur d’inadvertance. C’est-à-dire, l’erreur a été commise involontairement par la banque. Il y a aussi l’erreur d’interprétation de textes où, les textes régissant la perception de certains frais ou certaines commissions ont été lus peut-être trop favorables à la banque. Et lorsqu’une source externe vient, elle peut trouver à redire et trouver qu’il faut recadrer les choses. Ça, ce sont les erreurs d’interprétations des textes réglementaires. Il y a aussi ce que nous appelons des facturations susceptibles de donner lieu à des contestations. C’est-à-dire que la banque facture, mais c’est trop juste à la limite. Ce qu’on doit aussi retenir, c’est que ce n’est pas parce qu’il y a trop perçu d’agios. On doit pouvoir le prouver au regard des textes règlementaires, au regard de la pratique bancaire.
Il existe d’autres facteurs. Par exemple, les facteurs techniques. Comme cela avait été le cas lorsque la décision de la BCEAO relative à la date de valeur des opérations de versement et de retrait d’espèces était entrée en vigueur le 2 décembre 2010 et qu’il n’avait pas été possible à toutes les banques de s’y conformer dès le départ car la nouvelle disposition réglementaire nécessitait de petites retouches à l’application informatique exploitée par chaque banque pour tenir compte de la nouvelle règle. Il est évident que les entreprises domiciliées dans les banques qui n’avaient pas pu basculer aussitôt dans la nouvelle date de valeur avaient subi des pertes de valeur sur les opérations de versement et de retrait d’espèces effectuées pendant la période de non-conformité. La contrepartie de cette perte pour l’entreprise se constate en trop-perçus d’intérêts débiteurs opérés, peut-être involontairement, par la banque concernée, si l’entreprise utilisait des concours en compte courant à ce moment-là. Je pense aussi que l’asymétrie de la relation entre banque et client est souvent de nature à inciter la partie en position de force à grignoter sur l’autre partie des avantages financiers au-delà de ce qui lui revient de droit. Il faut beaucoup de discipline corporatiste et de professionnalisme pour résister à de telles tentations…
Et qui fait cet arbitrage ?
Entre la banque et son client, il y a beaucoup de problèmes qu’on arrive à résoudre à l’amiable. C’est lorsque les deux parties n’arrivent pas à s’entendre sur des faits irréfutables, ça donne lieu à des litiges, ce qu’on ne souhaite pas. Parce que les litiges coûtent trop chers et ça envenime les relations entre la banque et ses clients. On devrait éviter les litiges autant que faire se peut.
Quel est le modèle économique des banques commerciales ?
Le modèle économique des banques commerciales repose sur la génération de revenus à partir des opérations de crédits, de prestations offertes à la clientèle. La tenue de compte courant est une prestation. Lorsque vous allez à la banque et vous demandez qu’elle vous certifie un chèque, c’est une prestation. Par exemple lorsque l’entrepreneur décroche un marché, on lui demande la caution de soumission, d’avance de démarrage, etc., ce sont les banques qui sont habilitées à offrir ces prestations ; et elles perçoivent des commissions sur ces prestations. Ces différents produits rentrent dans le modèle économique conçu par la banque pour pouvoir rentabiliser ces opérations et pouvoir continuer à exister. Donc, cela nous ramène à la problématique de trop-perçus.
Puisque la banque a l’obligation de maximiser ces revenus à partir des différents produits qu’elle propose, ce n’est pas exclu qu’il y ait la tentation de tirer trop sur certaines lignes, et quand on y prend pas garde, on peut tomber facilement sous le coup de perception de trop-perçu d’agios. Chaque entreprise a son modèle économique. N’importe quelle entreprise qui ne génère pas à partir de sa machine économique, est vouée à la disparition. La Banque ne souhaitant pas disparaître, cherche à maximiser et à continuer à générer de nouvelles sources de revenus. Mais principalement, les sources importantes de revenus sont celles générées par les opérations de crédits qui sont essentiellement des intérêts débiteurs, les commissions générées sur les opérations comme certifications de chèques, émissions de supports, etc. font partie des revenus aidant la banque à pouvoir couvrir ses charges et générer de profits pour ses actionnaires pour continuer à survivre et à grandir.
Comment les banques réagissent-elles face aux réclamations ?
La perspective du client ne sera pas identique à celle de la Banque. Pour nos observations à nous, très souvent, les banques donnent l’impression d’être offusquées par les réclamations malgré les slogans élégants que les banques véhiculent : « L’intérêt du client est au cœur de nos préoccupations », « le client est notre première priorité ». Lorsqu’il s’agit de réclamations, ces slogans ne se traduisent pas en réalité. Celui qui dit que le client est roi, doit pouvoir accueillir le client et sa réclamation. Souvent, on constate que les réclamations pourrissent les relations avec les banques. C’est à couteaux tirés pour faire les réclamations. Ça ne devrait pas être le cas. Les banques devraient faire l’effort pour donner suite. Si la réclamation n’est pas fondée, on devrait pouvoir le démontrer au client dans un délai raisonnable. Si c’est fondé, il faut l’accorder. Ça fait partie de ce qui fait la réputation d’une banque.
Notre intervention auprès du client (entreprise) dans ce cas pourrait éviter à celui-ci de se retrouver dans une procédure où le juge ordonne la désignation d’un expert de justice, option parfois coûteuse pour les deux parties en procès, d’une part, et contraignante, en particulier, pour la banque, obligée alors à donner à une partie externe libre accès à son système informatique, d’autre part.
Avez-vous déjà assisté à ces genres de situation ?
Oui ! C’est parce que j’assiste à ces genres de situation aux côtés des clients que je le dis. La plupart des banques accueille avec fraîcheur, les réclamations. Pour moi, ça correspond au service après-vente. Lorsque vous vendez des produits, si le client n’est pas satisfait, il revient et vous répondez à ses préoccupations.
Les banques parviennent-elles à résoudre les conflits liés aux agios ?
On constate devant les tribunaux, que les banques ne parviennent pas à encadrer à 100% ce genre de problème. Très souvent, ce que nous constatons, c’est que lorsque la banque arrête le compte du client, derrière, il y a des agios contestables qui souvent gonflent le solde communiqué, et avec lequel le client n’est pas d’accord. Mais on ne doit pas dire que les banques échouent à 100% sur la ligne parce qu’elles arrivent à résoudre à l’amiable quelques dossiers. Je crois que c’est aux banques même de se prononcer sur leurs expériences dans ce domaine. Comment elles vivent ce phénomène ?
Quelle est la politique de la BCEAO en la matière ?
La BCEAO est l’institut d’émission et son rôle est de réglementer, d’assurer la supervision de la régulation du système bancaire. La BCEAO, à ce que nous sachions, encadre pleinement le système. C’est-à-dire, les règlementations pour encadrer le système bancaire sont émises au fur et à mesure pour répondre aux exigences règlementaires internationales, aux conjonctures nationales, sous régionales et j’en suis sûr, pour tenir compte des aspirations, des objectifs commerciaux des banques de rentabiliser leurs opérations ; tout en protégeant le consommateur, le client. Donc, ce rôle d’arbitre comme je le vois, est pleinement joué par la BCEAO. Mais je constate que la BCEAO ne joue pas l’interventionnisme. C’est-à-dire qu’elle n’intervient pas entre les opérations qui opposent la banque à son client puisque d’autres institutions de l’Etat et associations professionnelles sont là pour s’en occuper. En dehors de la zone, il y a d’autres banques centrales qui sont plus activistes mais en tenant compte de leur environnement, de leur politique économique qui n’est pas identique à celle de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA). Dans les cas que j’évoque, les Banques Centrales définissent le délai dans lequel les banques doivent répondre et vider les dossiers de réclamations. Faute de quoi, le client est autorisé à saisir la Banque Centrale en guichet spécial créé à cet effet. Evidemment, les banques n’aiment pas qu’on les dénonce à la Banque Centrale, donc, elles s’activent pour répondre dans le délai défini.
Est-ce que n’importe quelle entreprise peut saisir la BCEAO en cas de conflit avec sa banque ?
Non je ne crois pas. C’est pourquoi je dis que la BCEAO n’a pas vocation à intervenir dans ce genre d’affaires entre banque et client. Les tribunaux sont là pour s’en occuper. La BCEAO se focalise sur son rôle de régulateur, de superviseur.
Qu’avez-vous à dire pour conclure cet entretien ?
Je vous remercie pour l’occasion que vous m’offrez pour parler de ce sujet pour informer le public sur cette problématique que tout le monde constate d’ailleurs. Certains ne savent pas comment s’y prendre. Je crois que L’économiste du Bénin joue un rôle très appréciable en portant ce genre de sujet à la connaissance du public. Je sais que le développement fait suscitera des interrogations, des demandes de compléments d’informations de la part des gens qui souhaitent apprendre davantage sur le sujet. Je saisis aussi l’occasion pour féliciter les banques pour ce qu’elles font pour le pays, le secteur économique.
Transcription : Sylvestre TCHOMAKOU