Contrairement à ce que pensent la plupart des personnes, mêmes initiées, Djogbé ou Gbé-mèdji n’invoque souvent pas que le bonheur. Parfois, ce signe indiciel est, dans certaines circonstances, l’expression du malheur. Symplice Amagbégnon, grand prêtre de Fâ à Bohicon, apporte quelques clarifications pour situer les uns et les autres.
Rock Amadji (Correspondant Zou/Collines)
« Gbé-mèji » est le premier signe de la géomancie Fâ qui chapeaute tous les autres signes. Géniteur ou signe mère, Gbé-mdji s’est fusionné à la génitrice Fou-mèji, pour générer tous les quatorze autres signes que sont : Yèku-mèji, Woli-mèji, Di-mèji, Abla-mèji, Aklan-mèji, Loso-mèji, Wèlè-mèji, Gûda- medji, Sa-mèji, Lètè-mèji, Tûla-medji, Trupin-mèji, Ka-medji et Cè-medji. Gbé, le préfixe, est au début et Mèji à la fin. Les Mèji sont les dugan, c’est-à-dire les « signes mères », renseigne Simplice Amagbégnon, grand prêtre de Fâ. Selon les explications du grand Babalao, ‘’Gbé’’ en langue nationale fon, signifie la parole, le verbe. Or, ‘’Au commencement était la parole et la parole était Dieu’’, a-t-on appris des écritures saintes. Quand on parle du verbe, on parle de l’incantation, ce qui provoque la transformation sociale. A partir de l’incantation, on peut générer des faits sociaux. ‘’Gbé’’ dans une autre transformation de phonème peut traduire ‘’Gbè’’, c’est-à-dire la vie, le monde, le cosmos. Au vue de ces indications, ‘’Gbé’’ se rapporte au signe qui a généré le monde et tout ce qui y vit. Grâce à la parole, on a soufflé dans une motte de terre pour donner naissance à l’être humain. Ce signe embrasse alors beaucoup de choses en matière de chansons et d’incantations. ‘’Akpà kpà nu sin bo kpégué. So do kpa jô ma mu’’, ce qui signifie : la mer s’étend à perte de vue et lorsque les rochers font une clôture, la puissance du vent ne peut la détruire. En un mot, celui qui est né sous ce signe a une grande puissance. Un enfant qui naît sous « Gbé-mèji », ne peut plus partager la même entrée que son père sinon : ‘’Il risque de le précipiter’’. Il lui faut nécessairement créer une autre entrée. Il n’est donc pas superflu de connaître le signe de son enfant dans les trois mois qui suivent sa naissance. ‘’Ceci permet de savoir la conduite à tenir’’, justifie Amagbégnon. Souvent ignorant ces détails, les familles subissent et inscrivent tout sous le dos de la sorcellerie.
L’allégorie de Gbé-mèji
C’est l’histoire d’un tout petit oiseau, bavard, aux plumes grises, appelé ‘’Titigouéti’’ qui, un jour, décide de rivaliser avec l’éléphant (Ajinaku). Après quelques échanges, raconte notre Babalao, les deux animaux ont pris le pari devant le roi, Dada Sègbolissa (autre nom de Mawu) qui fixa le jour du combat. Ajinaku se mit à rire et rentra chez lui, attendant le jour J. Titigouéti, sachant bien qu’il ne dispose pas de ressources nécessaires lui permettant de remporter le combat, alla chez le Fâ qui lui recommanda le sacrifice des trois gourdes appelées ‘’Ata n’gué’’. Chacune de ces trois gourdes contiennent respectivement, le jus du kaolin blanc, rouge et des débris de fumée délayés dans l’eau. Au septième jour, le roi, devant une foule immense de curieux, lance les hostilités. Ainsi, pendant que le combat faisait rage, Titigouéti, avec ses trois gourdes, monta sur la tête de l’éléphant, qui se mit à rire et lança sa trompe pour l’attaquer. Titigouéti usa de la supercherie et évite les coups mortels de la trompe de l’éléphant. Il se cacha d’abord dans son oreille, puis se faufila subtilement entre ses deux yeux et atteignit enfin le sommet de son crâne. Ici, il cassa une à une les trois gourdes qu’il avait préparées auparavant. A travers le liquide noir, il fit croire au public que l’éléphant est en larme. Par le liquide rouge, il fit croire qu’il a mis à sang la tête du pachyderme, à grands coups de bec. Par le liquide blanc, il fit croire que sa cervelle est atteinte. Dans le but d’éviter le pire, le roi arrêta le combat et Titigouéti fut déclaré vainqueur. Tout joyeux, l’oiseau retourne voir son conseiller Fâ pour lui rendre hommage par le biais du rituel ‘’Fâ lilè’’. Lors de cette cérémonie du lavage du Fâ, il entonne la chanson : ‘’Titigouéti wè Kpà Ajinaku ! Gboungbo yégué ! Oyégué gbohoungbo’’. Ce qui veut dire que Titigouéti, si petit soit-il, a combattu l’éléphant au point d’en découdre définitivement avec lui.
Quelques traits caractéristiques
« Celui qui est né sous le signe Gbé-mèji est généralement audacieux et d’une grande autorité. On ne peut pas contrôler tous ses pouvoirs. Ce sont des gens impulsifs comme la mer. Bon guerrier ou lutteur, il est capable d’évincer tous ses concurrents dans tous les domaines. Riche, il connaîtra beaucoup de gloire et réussira dans tout ce qu’il entreprendra. « Il sera juste, honnête et très fort », précise le Babalo Amagbégnon. Il perdra une ou plusieurs filles. Et si c’est une femme, l’un de ses fils mourra. Il sera égoïste, mais d’une grande renommée. Il a les atouts qu’il faut pour se tirer de certaines situations délicates. S’agissant de son portrait physique, il doit avoir une taille moyenne, corps épais dans sa partie supérieure, un œil plus gros ou avec une tache, teint bronzé ou clair, dents petites, front moite. Au départ, il doit être une personne svelte qui plus tard sera obèse. Une morphologie qui pourrait être justifiée par le respect des interdits du Fâ. C’est des gens qui ne sont pas pauvres. Ils ont de grandes ouvertures, des opportunités. Mais attention ! Le Fâ prévient que cette ouverture peut être aussi un risque. Dans ce cas le Babalao ou devin fait des sacrifices propitiatoires pour conjurer le mauvais sort et renforcer les orifices du bonheur.
Les interdits
Au titre des interdits, la consommation de la viande de Tititgouéti, de l’éléphant, du chien, du léopard et du coq est fortement déconseillée à Gbé-mèji. Il doit également éviter de boire du vin de palme (Atan) ou de l’alcool. Il ne doit pas se laver avec l’eau de mer, ni se baigner dans l’océan au risque de se faire emporter par les vagues. Il ne doit pas être inquiet. ‘’Jôxon mon non sin so é, ado dé wè non ya wéa’’ (chant d’assurance). Selon cette chanson d’encouragement, quelle que soit la puissance du vent, il ne peut démolir les rochers formant une forteresse. En clair, le Fâvi est dans une forteresse et ne doit donc être inquiet. A ce signe correspond des divinités (dieux ou fétiches) précises auxquelles il faut vouer des cérémonies, prières ou sacrifices (vôssissas ou adras). Gbé-mèji doit alors invoquer les divinités Dan, Mamiwata, Tolègba, les Hoxo (Jumeaux), Sakpata ou toutes autres divinités qui régissent sa maison pour se maintenir.
Des illustrations
Trois cas pratiques ont été choisis par Simplice Amagbégnon pour mieux faire cerner les contours de Gbé-mèji. Lorsque vous consultez le Fâ (Adôgo Fâ) au sujet d’une femme enceinte et vous découvrez Gbé-mèji, cela n’augure pas un bon signe. A en croire ses propos, ce signe dans ce contexte, traduit une ouverture sur le mal. « Le Fâ dit : E non kè xô sô d’agbétawoyonu an. Nu win na xué kan na xué kon mi dé » (message incantatoire). Autrement dit, on ne peut pas ériger une charpente sur la mer. Ce serait impossible. On aura un déficit de bois et de lianes pour le faire. Il faut alors comprendre par là qu’au jour de l’accouchement on risque de perdre soit l’enfant, soit la mère ou les deux. Il va falloir alors prendre tôt toutes les dispositions nécessaires pour dénouer la situation délicate signalée à travers des sacrifices afin qu’à l’accouchement, on puisse récupérer l’enfant et sa mère. Au cas contraire, ce serait fatal pour la famille, la femme et ou l’enfant », explique Symplice Amagbégnon.
Dans le contexte d’un mariage en vue, Gbé-mèji annonce des perspectives heureuses. Cependant, des scènes de ménage pourraient perturber quelques fois la stabilité du futur foyer. Dans le couple, l’un chercherait à étaler son hégémonie sur l’autre. Ce serait là le point d’achoppement. Des sacrifices sont également indiqués pour calmer les ardeurs de la femme ou de l’homme et les esprits qui pourraient perturber l’harmonie du foyer. S’agissant de la création d’une entreprise, Gbé-mèji signale qu’elle est partie sous de bons auspices. Néanmoins, il faut des sacrifices des trois gourdes pour fermer les ouvertures de la négativité et amoindrir les chocs exogènes. Puisqu’à un moment donné, quelqu’un voudra s’accaparer de l’entreprise, ou dresser des blocages en vue d’empêcher son émergence. En résumé, Gbé-mèji est un très bon signe. Mais, il a des conséquences si l’on n’y prend pas garde. « Le Fâ est une science à la portée de tous. Ce n’est donc pas de la diablerie comme le font croire certains, ni une divinité comme les autres. Toutes les solutions à vos problèmes se trouvent dans le Fâ. Si nos parents ont vécu dans la paix, c’est grâce au Fâ. Que ceux qui y croient y retournent », a exhorté Simplice Amagbégnon.