Le gouvernement de la République française a annoncé avoir concocté un projet qui mettrait fin aux accords avec les Etats de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) dans le cadre de la gestion du franc CFA. Au lendemain de cette nouvelle plusieurs interrogations agitent les esprits des uns et des autres. En vue d’apporter des éclaircissements à tous, l’inspecteur des impôts, juriste et expert en droit et gouvernance des systèmes financiers publics, Aymar Binassoua, s’est appesanti sur la question. A travers une contribution parvenue à notre rédaction, le cadre béninois a renseigné sur le processus du retrait, les étapes à suivre, les implications et les perspectives pour les pays de l’Uemoa et la France. Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite contribution.
Contribution de Aymar Binassoua
En saisissant le Parlement pour obtenir le vote de la Loi d’approbation de l’accord de coopération monétaire le Gouvernement français enclenche une importante étape dans la mise en œuvre des reformes annoncées en fin d’année à Abidjan au sujet de la coopération monétaire entre la France et les pays de l’UEMOA. Aymar BINASSOUA, Inspecteur des Impôts, Juriste, Expert en Droit et Gouvernance des systèmes financiers publics revient sur les implications du nouvel accord : Rôle du parlement français et des parlements nationaux de l’UEMOA, rôle des autorités monétaires de la zone euro, conséquences sur le projet de monnaie unique de la CEDEAO et nouvelles contraintes et enjeux pour les parties.
- Les conséquences du changement de dénomination sur la coopération monétaire entre la France et les pays de l’UEMOA
Le projet vise à entériner l’accord de coopération signé le 21 décembre 2019 qui suggère un changement de dénomination et d’autres évolutions non moins importantes des modalités de la coopération monétaire. Cela ne remet pas en cause l’idée de coopération monétaire existante depuis plusieurs décennies. Le franc CFA est une dénomination consacrée par les accords monétaires institués depuis 1945 entre la France et les anciennes colonies et confirmé en 1973 avec ces pays désormais réunis au sein de l’UMOA. L’accord de Décembre 2019 remplace celui de décembre 1973 et suggère entre autres que la monnaie utilisée le CFA, soit nommée « Eco ».
- Le fondement de la saisine du Parlement français sur la reforme de la monnaie commune de l’UEMOA
La démarche est constitutionnellement fondée. En effet, l’accord et les modifications inhérentes portent sur des aspects qui engagent la France avec d’autres pays. Or, selon la constitution française, un certain nombre d’accords internationaux notamment ceux qui engagent ses finances ne peuvent être ratifiés ou approuvés par les autorités compétentes que si elles y ont été autorisées par une Loi, ce qui implique l’intervention du parlement seul habileté à voter les Lois. Une décision en date du 23 novembre 1998, prise par le Conseil de l’Union qui est l’organe suprême de l’Union européenne, considère que la convertibilité illimitée dans le cadre des accords monétaire et garantie au profit du FCFA (renommée« Eco ») est un engagement budgétaire du Trésor français même si selon les assurances données par la France, les implications financières ne sont pas substantielles. C’est la procédure régulière qui commande que l’exécutif, qui est l’autorité politique disposant (de l’administration) du Trésor compétent pour instituer cet engagement budgétaire (par garantie envers les pays de l’UEMOA), puisse requérir l’accord du parlement.
- Les implications de la saisine du parlement Français
Ce qu’il faut retenir c’est qu’il s’agit d’une demande d’autorisation préalable pour permettre au gouvernement de ratifier ou approuver les réformes suggérées par le nouvel accord monétaire dont le changement de dénomination. Le parlement donne ou non son accord. Il ne s’agit pas pour le parlement de modifier les termes de l’accord ou de la convention, sauf à la rejeter ou la renvoyer en commission pour en discuter.
Si le vote du parlement est obtenu, le l’exécutif sous le contrôle du Président de la République sera autorisé à ratifier et mettre en œuvre l’accord avec l’intervention des Ministres en charge des finances et des affaires étrangères, techniquement concernés. Après cette autorisation il n’est pas exclu qu’interviennent d’autres textes sur les modalités techniques de la mise en œuvre des changements décidés. Bien évidemment le refus du parlement entraîne une impossibilité pour le gouvernement d’entériner la reforme.
- Le rôle des parlements nationaux des Etats de l’UEMOA
La procédure régulière veut que les parlements nationaux des pays de l’UEMOA soient consultés à leur tour, pour une prise d’effet régulière, pleine et entière des modifications intervenues dans l’accord de coopération.
En droit international, le principe de réciprocité implique que les stipulations d’un traité ne sont applicables qu’à condition qu’elles soient appliquées par l’autre partie. Or, l’application d’un traité par un Etat, requiert en principe l’intervention du parlement sous forme d’autorisation ou d’information conformément aux dispositions normatives de chaque pays. Je ne connais aucun pays de l’UEMOA qui s’exonère de cette règle de bon sens démocratique et normalement reprise par les textes constitutionnels de tous les Etats modernes.
- L’avènement de Eco dans le cadre de la poursuite de la coopération monétaire UEMOA/ France et les décisions de la CEDEAO relatives au projet de la monnaie unique « Eco » entre pays de la CEDEAO
Le changement de dénomination est un processus totalement différent du projet trentenaire de mise en place de la monnaie unique « Eco », projet de la CEDEAO. La démarche initiée par les pays de l’UEMOA en accord avec la France est toutefois considérée par les autres pays de la CEDEAO membres de la zone monétaire ouest africaine (WAMZ) comme une « action qui n’est pas conforme aux décisions » de la CEDEAO, selon les termes du communiqué publié le 16 janvier 2020.
Cela vient mettre à jour les voix de ceux qui pensent que la monnaie unique « Eco » de la CEDEAO s’inscrit désormais dans un horizon temporel lointain. D’ailleurs, sur le plan technique, des experts dont l’économiste Kakpo Nubukpo dans une analyse publiée dans le quotidien en ligne français. Le Point.fr/afrique, pensent que d’un point de vue théorique et empirique la CEDEAO comme l’UEMOA ne remplit pas les conditions d’une zone monétaire optimale. La prosopographie des pays qui la composent et la nature de leur relation ne permettraient pas de conclure que les caractéristiques institutionnelles, politiques et économiques sont réunies pour rendre l’utilisation d’une monnaie commune bénéfique pour chacun d’entre eux. Il faut donc espérer d’une part que la reforme soit soutenue par des mesures pour impulser une coopération monétaire bénéfique pour toutes les parties prenantes. Il faut également espérer d’autre part, que la CEDEAO travaille à poser les bases d’une zone monétaire satisfaisante.
- Le rôle de l’Union européenne dans le maintien du régime de change à parité fixe entre l’Euro et la monnaie utilisée par les pays de l’UEMOA
Dans la décision du 23 novembre 1998, le Conseil de l’Union (européenne) considère que rien dans les accords monétaires existants y compris la garantie donnée par la France, de la convertibilité à parité fixe ne peut être interprété comme impliquant l’obligation pour la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales de soutenir la convertibilité du CFA. Si à l’occasion, sa position de principe est que la France peut négocier et conclure des modifications des accords dans la mesure où la nature ou la portée de ces accords n’est pas changée, le Conseil s’interdit d’impliquer la BCE et les banques centrales nationales puisqu’il maintenait à l’occasion que les modifications qui interviendraient dans le cadre de la coopération monétaire, n’entraîneraient aucune obligation pour la BCE ou les banques centrales nationales.
- L’action concrète des autorités monétaires de l’Union européenne dans le processus actuel
En l’espèce, l’obligation d’information des organes de l’union par la France devrait suffire à l’exclusion d’une approbation ou d’une consultation. Si l’on s’en tient aux informations officielles, il apparaît que la reforme actuelle garde les éléments essentiels du système de coopération monétaire dont l’évolution aurait pu déterminer et impliquer plus activement ses organes, à savoir la parité fixe avec l’euro et la « libre convertibilité ». L’obligation prescrite par le Conseil de l’Union qui engage la France de requérir l’avis préalable et au besoin l’approbation des organes compétents de l’UE concerne plutôt toute modification substantielle notamment celle qui affecte les parties à l’accord et le principe de la libre convertibilité à parité fixe entre l’euro et le franc CFA (renommé Eco). Si nous admettons que nous ne sommes pas en présence d’une modification affectant la portée (à savoir la parité fixe avec l’euro et la « garantie de convertibilité illimitée »), la nature, les parties (les pays demeurent les mêmes), l’on devrait conclure que les autorités monétaires de la zone euro doivent être simplement avisées, puisque les limites qui devraient permettre d’aller au-delà ne sont pas franchies.
- L’évolution des rapports entre la France et les Etats au plan monétaire
La coopération se poursuit désormais sans nom du franc CFA mais sous un autre nom (Eco), sans la présence de représentants français dans les instances techniques de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et sans l’obligation pour la BCEAO de placer 50 % de ses réserves au Trésor français.
Ces éléments qualifiés d’irritants politiques sont supprimés pour les besoins de l’aggiornamento. Ils étaient considérés comme les indices apparents qui alimentent les critiques scabreuses soupçonnant une subordination des pays membres de l’UEMOA.
- La fermeture des comptes d’opération
La suppression du compte d’opération met fin à des dépôts coûteux pour la France mais qui sont extrêmement généreux pour les banques centrales africaines. En effet, par un concours de conjoncture relativement récent, les intérêts des comptes d’opération sont servis par la France à la BCEAO, au taux de 0,75 %. Selon des techniciens cités par le journal en ligne allemand Deutsche Welle (DW), cette rémunération libérale est bien supérieure au taux auquel la BCEAO pourrait se financer sur les marchés. Par cette action la France ne versera certainement plus la rémunération généreuse qu’elle versait aux banques centrales. Les informations sur le nouvel accord et surtout sur les actes additionnels qui viendront en préciser les contours, permettront de tirer toutes les conséquences de cette clôture de compte.
- Les conséquences du retrait de représentants français au sein des instances notamment le Conseil d’administration et le comité de politique monétaire de la BCEAO ainsi qu’à la Commission bancaire de l’UEMOA
Le Gouvernement français dans le compte rendu du conseil des ministres du 20 mai 2020 indique sur son site officiel gouvernement.fr qu’en remplacement de la présence physique de ses représentants, de nouveaux mécanismes sont prévus pour suivre et maîtriser le risque financier qu’il continuera à prendre dans le cadre du soutien apporté par sa garantie. Sans être présent il institue en concert avec la BCEAO un cadre de Reporting, sur des éléments d’informations financières, les évolutions monétaires, l’évolution des réserves, lui permettant d’avoir le même niveau d’informations qu’avant, en sus de rencontres informelles avec les différentes autorités et institutions de l’Union. Toujours selon le communiqué officiel, le rôle de la France tend à se transformer pour devenir un simple garant financier, hors présence physique. Le Conseil d’Etat français dans une décision en 2012, indiquait que la mission de garant auprès de Banque centrale africaine participe d’une fonction dont l’exercice présente pour le compte de l’Etat français un intérêt particulier pour l’économie. Si les modalités de la mission de garant financier se transforment par le nouvel accord, cette mission d’intérêt particulier pour le Conseil d’Etat français ne disparaît pas. Nous passons donc d’un garant in situ à « un simple garant financier » qui désormais définit et met en œuvre des moyens de maîtrise de son risque en tant que garant désormais ex situ.
- L’avenir de la coopération monétaire France/UMOA
La mise à disposition des informations les plus exhaustives sur l’accord, permettra de mieux apprécier la situation. L’on ne sait encore rien par exemple du devenir de l’entretien de la circulation fiduciaire, qui, selon le site français d’information Médiapart à travers les écrits de la journaliste Fanny Pigeaud et de l’économiste Samba Sylla rapportant les propos tenus le 12 février 2020 devant les députés français par des experts du Trésor et de la Banque de France, comprend pour les pays de l’UEMOA, l’achat de signes monétaires, leur transport, assurance, soit environ 45 millions de dollars (27 milliards de fcfa environ) de prestations par an à la charge de la BCEAO et facturés par la Banque de France. L’on manque également d’information concernant l’impact du nouvel accord sur la gestion des réserves d’or qui, -selon le rapport PEFA 2017, de l’évaluation Pays Côte d’Ivoire sur la Gestion des Finances Publiques, financée par l’Union européenne, sont comptabilisées au bilan de la BCEAO alors que 90% de ces réserves sont en dépôt physique dans les coffres de la Banque de France.
Photo : Aymar Binassoua
Légende : Aymar Binassoua