« Au 31 décembre 2024, vous pouvez dire merde aux poulets congelés importés. Ça ne viendra plus et nous allons faire nos fêtes avec nos propres poulets, nos pintades, nos canards, ce que nous avons élevé nous-mêmes ». Cette déclaration cinglante de Gaston Dossouhoui, ministre de l’Agriculture datant d’avril 2023 traduisait la volonté du gouvernement dans son ensemble de limiter sensiblement les achats de produits congelés pour l’émergence de l’offre locale. Plus d’un an et demi plus tard, c’est désormais chose faite. Officiellement depuis le début de l’année 2025, les importations de poulets congelés sont interdites. Avec cette décision, le Bénin rejoint la liste des pays de la sous-région où les restrictions sont appliquées. Ce club comprend également la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Nigeria. Si la mesure reste audacieuse, elle représente cependant un test pour les autorités et pour l’ensemble des parties prenantes de la filière avicole.
Une dépendance marquée aux importations et une filière encore à la traîne
Au Bénin, la viande de poulet est l’une des plus consommées. Que cela soit en milieu rural ou urbain, ce produit a conquis les ménages béninois avec son caractère abordable. Sur la dernière décennie, la demande en viande de poulet a connu une croissance importante avec l’urbanisation rapide et la croissance démographique.
Le pays a ainsi importé en 2023 plus de 86 000 tonnes de viande de poulet principalement sous forme congelée pour un coût d’environ 75 millions $ selon les données de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Ce volume a fait du pays, le second plus gros importateur d’Afrique de l’Ouest derrière le Ghana (231 024 tonnes) avec des marchandises principalement en provenance des pays de l’Union européenne dont les Pays-Bas.
S’il est vrai qu’une partie est réexportée de manière informelle vers le Nigéria où les achats sur le marché international sont proscrits depuis près de deux décennies, ce volume élevé des importations reste symptomatique d’une filière embryonnaire.
En effet, selon les données de la Direction de la statistique agricole (DSA), la production de viande de volaille a atteint 10 432 tonnes en 2023, soit un niveau trois fois moins élevé que l’offre en viande bovine et moins du quart des importations annuelles du pays.
Dans un tel contexte, l’enjeu est non seulement de produire en quantité suffisante pour répondre aux besoins de la population mais aussi à un moindre coût pour rendre la viande locale abordable pour les consommateurs.
Selon une étude réalisée par le Centre allemand pour le développement rural (SLE), « L‘impact des importations de poulet sur la filière avicole béninoise », publiée en 2021, le prix de la viande de poulet importé était en moyenne de 1 540 Fcfa/kg dans les grandes villes du Bénin, soit deux fois moins que la viande issue des élevages locaux.
Cette situation s’explique par plusieurs éléments comme les coûts prohibitifs de l’alimentation animale pour les éleveurs locaux. Ce facteur entre en effet à hauteur de 60 à 70 % dans les coûts totaux de production alors que la volaille importée depuis l’Europe bénéficie de subventions indirectes. D’un autre côté, les opérateurs locaux doivent également faire face à la hausse des coûts de produits phytosanitaires ainsi que des poussins d’un jour.
Des opportunités à saisir
Si les défis à saisir sont nombreux, cette mesure offre également plusieurs possibilités économiques pour attirer des investissements dans la filière avicole béninoise. Avec la fin des importations, les acteurs locaux pourront gagner en compétitivité et tirer profit des nouvelles perspectives de croissance sur un marché intérieur.
Alors que les prix locaux sont actuellement plus élevés que ceux des poulets importés, le poulet traditionnel possède plusieurs avantages. En effet, les consommateurs locaux continuent de plébisciter le poulet local en raison de son goût plus savoureux et son innocuité.
En effet, selon le SLE, la confiance des consommateurs est la plus élevée pour la production traditionnelle, tandis que près de trois quarts des consommateurs considèrent que la viande importée est la moins bonne en termes de sécurité sanitaire des aliments en raison des dysfonctionnements sur la chaîne du froid.
Par ailleurs, les investissements pour renforcer la disponibilité du produit toute l’année ainsi les efforts pour améliorer la commodité du poulet local seront importants pour gagner le cœur de nombreux consommateurs. Avec les changements alimentaires liés à l’urbanisation, les consommateurs préfèrent de plus en plus que le produit soit disponible sous forme déjà plumée, coupée en morceaux et prêt à cuire.
Actuellement, le poulet traditionnel n’est généralement disponible que sous forme de poulet vivant, alors que les produits de poulet importé sont toujours disponibles sous forme transformée. Il existe donc des opportunités d’investissements dans les équipements de transformation pour parvenir à répondre aux exigences de la classe moyenne.
Plus globalement, les expériences réussies en Côte d’Ivoire et au Sénégal montrent que les pays africains peuvent parvenir à substituer les importations grâce à une implication conjointe des pouvoirs publics et des acteurs privés à court et long terme.
Dans ces différents pays, la production locale protégée depuis près de 15 ans parvient aujourd’hui à satisfaire la demande avec des investissements massifs sur toute la chaîne de valeur avicole qui a permis l’émergence d’acteurs locaux comme la Sedima, leader au Sénégal et Coqivoire, numéro un en Côte d’Ivoire. Le Bénin a donc toutes les cartes pour transformer sa filière à l’image de ses voisins de l’UEMOA.