(Plusieurs millions Fcfa chaque mois et des distinctions)
Après 14 ans de travail acharné et le soutien de plusieurs structures et projets, Al Fani Sarl se dote enfin d’une unité de transformation de fruits respectant les normes. La promotrice, Aminatou Bagoudou, distinguée à maintes reprises, se dit très motivée à augmenter sa production et aller au-delà de son chiffre d’affaires mensuel d’environ trois millions de Fcfa.
Félicienne HOUESSOU
Lundi 11 avril 2022 à Vêdoko, il sonnait 11h 23 minutes lorsque notre équipe de douze jeunes activistes et journalistes, a fait son entrée au siège de Al Fani Sarl. L’équipe dirigée par le chargé des affaires extérieures de la Banque mondiale pour le Bénin et pour le Togo est allée à la rencontre de Aminatou Bagoudou, fondatrice et directrice générale de Al Fani Sarl, dans le cadre d’une mission de découverte et d’échanges que la Banque a initié au profit des jeunes béninois. Vêtus de blouse et de pantoufle de sécurité de laboratoire, les employés étaient très affairés. On peut voir deux grandes bassines bien remplies d’ananas, fraîchement découpés et prêt à passer au broyage. L’espace propre et carrelé était occupé par des appareils et installations diverses, des bouteilles de gaz et des bouteilles de jus de fruits. On peut citer le pasteurisateur d’une capacité de 400 litres, ce qui fait 20 cartons de 24 bouteilles de 33 Cl. En effet, Aminatou Bagoudou, est l’une des femmes entrepreneurs les plus en vue du Bénin, pays d’Afrique de l’Ouest. Forte d’une longue expérience et de son succès fulgurant dans le secteur, elle a enchaîné des subventions et distinctions pour agrandir son usine de production de jus de fruits frais dans le sud du pays, plus précisément à Cotonou. Des fruits tels que l’ananas, le baobab, la mangue, le gingembre, le tamarin… sont transformés par l’usine en jus naturel. Al Fani, entendre ‘’ le bonheur absolu’’, produit une diversité de jus sans sucre sauf le baobab qui reçoit un peu d’ajout de sucre.
Le processus de transformation
La fabrication du jus de fruits passe par plusieurs étapes. Ces dernières répondent à des normes et ont été étudiées dans le but de préserver la qualité du produit, notamment la conservation des différents nutriments qu’il contient, sa couleur et son goût. Après une sélection rigoureuse des fruits, ceux-ci sont lavés, pressés, pasteurisés et conditionnés en bouteille. Aminatou Bagoudou la spécialiste livre quelques secrets de fabrication sur le jus de l’ananas pain de sucre. Le processus démarre avec « la réception de l’ananas, le lavage, épluchage, le découpage, le broyage, l’extraction, le pressage, le filtrage manuel avec des tissus blancs et fins, la pré-cuisson à 65° qui se passe dans un pasteurisateur. Après la pré-cuisson, on essaie de filtrer à nouveau avant d’embouteiller et capsuler. Ensuite, on passe à la pasteurisation à 100° parce que cette étape sert en même temps dans la conservation des jus », explique-t-elle. L’étape de la pasteurisation est capitale et se fait avec précaution. Car, dira l’experte, « si vous pasteurisez mal, vous allez produire des bombes dangereuses pour la santé ». Passé cette étape, il faut rafraîchir pour permettre au jus d’être naturel même après deux années de conservation. La phase finale c’est l’étiquetage. « Il n’y a aucun produit additif, ni conservateur. Grace à la pasteurisation, le jus peut être conservé pendant 1 à 2 ans si le processus est bien suivi », rassure dame Aminatou Bagoudou.
Un savoir-faire reconnu
Mère de 7 enfants, Aminatou Bagoudou a dédié 30 années à s’occuper uniquement de son foyer, avant de se décider à faire la formation dans la transformation, au niveau d’une base d’appui des artisans à Cotonou. « J’ai fait la formation en agro alimentation et en cosmétique. Voyant les ananas et autres fruits pourrir aux bords des voies pendant leur abondance, j’ai décidé de m’orienter dans le secteur de l’alimentation », déclare la promotrice de Al Fani. Elle a démarré son entreprise par le yaourt et se faisait affectueusement appelée ‘’maman yaourt’’ avant d’investir dans les jus de fruit. Très vite, elle a été choisie par ses collègues, pour devenir présidente de l’association de l’agro-alimentation. Une autre corde à son arc, la production de l’amuse-bouche, communément appelé ‘’atchonmon’’. Un jour, alors qu’elle était en plein processus de production du ‘’atchonmon’’, elle dit recevoir un appel déterminant pour sa carrière. « Mon interlocuteur m’a demandé si je suis revendeuse ou bien si c’est moi-même qui produit les jus ? J’ai répondu que je les produis moi-même. Et il m’informe que j’ai été sélectionnée pour le trophée ‘’Grand oscar de mérite’’ », se rappelle dame Aminatou Bagoudou. Créé en 2009, le trophée des grands oscars a été initié pour reconnaître chaque année, les mérites des personnalités, des artistes, des entreprises et structures à caractère social au Bénin. Ce prix a récompensé de par le passé, plusieurs grands noms du Bénin, tels que, Ignace Don Métok, La Jamath Islamiat, Pigier Bénin, Roro Terminal, Copharbiotech, Ong valeurs d’Afrique, Léonce Houngbadji, Willy Mignon. Distinguée en 2011, Aminatou Bagoudou est entrée dans l’histoire pour son audace d’entreprendre, sa détermination et son amour pour le travail bien fait. « Ce trophée m’a beaucoup motivée. J’ai compris que si en travaillant à la main, dans ce petit coin, on a repéré et apprécié mon produit, l’avenir serait radieux si je persévère. C’était donc une forte motivation pour moi, car j’ai beaucoup d’idées novatrices mais le défaut de moyens financiers me décourageait déjà », assure-t-elle. Ce trophée ayant un effet catalyseur, elle s’est inscrite à l’association nationale des transformateurs. Là également, elle a été repérée pour bénéficier d’une subvention de cinq millions de Fcfa. « C’est avec cette somme que j’ai acheté un extracteur, un presse-jus et le travail a été plus agréable », se souvient-elle avec sourire. Les distinctions s’étant enchainées, Aminatou Bagoudou a reçu divers prix honorifiques, respectivement, en 2012, 2014 et 2016.
Le prix d’une forte détermination
En 2008, lorsqu’elle s’est lancée, la promotrice de Al Fani Sarl était seule dans son entreprise. Elle a décidé de rentrer dans la production de jus de fruits avec 20 ananas. La première production a été donnée à déguster à des proches, même si ses derniers ne croyaient pas trop à l’avenir radieux que portaient ces jus de fruits. L’essentiel pour la jeune entrepreneure étant que le produit fini soit aimé et apprécié, elle a donc continué dans la production. « J’ai commencé en 2008 et tout se faisait à la main, j’avais juste une capsuleuse et la toile pour filtrer. Petit à petit, j’ai ajouté le baobab, le gingembre et le tamarin. Je suis passée respectivement à 40, 80 et 120 ananas », confie-t-elle. Pour la commercialisation, dame Aminatou Bagoudou a beaucoup misé sur la méthode du bouche-à-oreille. Sa position de présidente de l’association des transformateurs l’a beaucoup aidée car, elle confie profiter des rencontres et ateliers pour parler de ses produits. « Après 30 ans à être ménagère, je n’ai jamais pensé que dans ma vie je vais prendre l’avion. Aujourd’hui, j’ai connu le Sénégal, le Niger, le Burkina, la Mauritanie, la France… c’est le fruit de la persévérance, du travail bien fait, de l’amour de son travail », laisse-t-elle entendre avec une grande fierté.
Le rôle des structures d’appui à l’entreprenariat
Al Fani Sarl a bénéficié de l’accompagnement de plusieurs structures telles que l’Agence Nationale des Petites et Moyennes Entreprises (ANPME), TechnoServe, le Programme Cadre d’Appui à la Diversification Agricole (ProCAD) et Enabel. Dans sa mission de contribuer à l’élaboration de la politique nationale de développement des Petites et Moyennes Entreprises et de la mettre en œuvre, l’ANPME subventionnait des stands pour permettre à la société de participer à des foires, telles que, la foire de l’indépendance sur l’esplanade du stade de l’amitié. A ses côtés, le ProCAD a permis à la société, non, seulement de participer à la foire du Salon International de l’Artisanat de Ouagadougou (SIAO) au Burkina Faso. Egalement, grâce au ProCAD, Al Fani Sarl dispose aujourd’hui, d’une mini ligne de remplisseuse, de rinceuse et de capsuleuse. Notons que le ProCAD est le cadre de coordination des financements de la Banque mondiale dans le secteur agricole. Il a sous son portefeuille deux projets que sont le Projet d’Appui à la Diversification Agricole (PADA) et le Projet de Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO). Après la phase initiale qui a duré cinq ans, les deux projets ont bénéficié d’un financement additionnel pour la consolidation des acquis de cette phase. Les projets sous ProCAD ont pour vocation d’accompagner les bénéficiaires et ainsi contribuer à l’amélioration de la production agricole nationale.
Aminatou Bagoudou a également postulé à la compétition de plan d’affaires de TechnoServe qui est une organisation internationale à but non lucratif. Cette structure qui fait la promotion de solutions commerciales contre la pauvreté a sélectionné le plan d’affaires de Al Fani Sarl en 2015. L’entreprise a ainsi bénéficié d’un financement de 10 millions de Fcfa. « A cette enveloppe financière, j’ai ajouté un crédit de 5 millions pour arranger mon cadre de travail et acheter d’autres équipements », déclare la promotrice. La société a été également sélectionnée pour le projet Enabel qui est actuellement en train de lui construire un site suivant les normes à Houègbo. « Il n’y a pas d’espace ici au siège et tous les équipements ne sont pas dans la même pièce. Il y a même des équipements dehors que je ne peux pas encore utiliser à cause du manque d’espace. Avec Enabel, j’ai acheté deux parcelles et c’est ce cadre qui va abriter très prochainement mon unité de transformation », précise Aminatou Bagoudou. Après avoir travaillé pendant 5 ans sans équipements, elle évolue à grands pas vers une grande industrie de production de jus ‘’made in Benin’’. Avec un chiffre d’affaires d’environ 3 millions Fcfa, l’entrepreneure engagée, veut passer de 15 personnes employées à 25 employés afin d’aller à une étape supérieure de production. Les produits Al Fani se vendent en majorité dans la sous-région, le Niger, le Burkina, le Mali et parfois le Sénégal. Avec son usine en construction, l’entreprise compte aller plus loin et atteindre les autres pays de la région. A long terme, Aminatou Bagoudou entend faire face à la difficulté d’accès aux fruits en s’engageant dans la production des matières premières.