Dans une Afrique de l’Ouest qui ressemble de plus en plus à un « désert d’information » où les dirigeants musellent la presse indépendante pour éviter qu’elle expose leurs méthodes dictatoriales, la corruption au sommet de l’État et les abus du pouvoir, les entreprises des médias sont asphyxiées et certaines sont au bord du précipice. Quant aux journalistes qu’elles emploient, ils sont aux abois car leur avenir s’assombrit au jour le jour et certains pensent déjà à émigrer pour éviter que le pouvoir les emprisonne sous des accusations fabriquées de toutes pièces.
Issa DA SILVA SIKITI
« On nous a clairement dit que si nous voulons survivre et continuer à opérer, nous devons nous ranger du côté du pouvoir et booster leur propagande. Sinon, aucune institution étatique ou paraétatique ne fera ses annonces dans notre média et c’est là d’où proviennent nos plus grands revenus. Je pense que le moment est venu de renvoyer tout le monde et mettre la clé sous la porte », s’est confié un chef d’entreprise de la région à L’Économiste du Bénin.
La crainte a gagné la plupart des salles de rédaction, forçant bon nombre des médias à appliquer l’autocensure pour ne pas tomber dans le piège tendu par les régimes dictatoriaux qui cherchent le moindre faux-pas pour crucifier ces entreprises et leurs journalistes, déjà meurtris par la crise économique, la pandémie de Covid-19 et l’insécurité croissante dans la région.
« Avant on publiait des tribunes politiques et économiques qui critiquaient les politiques du gouvernement en échange de quelque chose et ça c’est vraiment nécessaire pour équilibrer le reportage et réaffirmer notre indépendance et neutralité. Mais depuis un certain moment, les gens du pouvoir nous ont rappelé à l’ordre, insistant sur la nécessité de cesser de donner l’espace aux voix discordantes et aux soi-disant ennemis de la révolution. La lune de miel est vraiment terminée pour la presse libre dans cette région », a déploré un journaliste impayé pendant six mois, qui pense déjà à quitter le pays « définitivement » et s’y retourner que lorsque les prédateurs des médias disparaîtront en Afrique de l’Ouest.
Le continent des prédateurs ?
Cependant, à l’allure où vont les choses, à moins que ce journaliste aille s’installer dans les pays du Nord où la presse est libre et la liberté d’opinion est primordiale, il ne rencontrera que des prédateurs des médias sur son chemin partout il posera ses valises en Afrique car ils sont nombreux et prêts à envoyer leurs « détracteurs » en prison car « ils parlent un peu trop ».
Selon le dernier rapport du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ), en Afrique subsaharienne, le nombre de journalistes emprisonnés est passé de 31 en 2022 à 47 au 1er décembre 2023. L’Érythrée est devenue le septième pays qui emprisonne plus les journalistes au monde, avec 16 journalistes en détention. L’Éthiopie et le Cameroun se classent deuxième et troisième, avec respectivement huit et six journalistes incarcérés.