En marge de l’atelier de sensibilisation des journalistes sur les chantiers de l’UEMOA, tenu du 9 au 13 septembre 2024, à Ouagadougou, Sidwaya a tendu son micro au Coordonnateur de la Plateforme des Médias de l’UEMOA, Léonard Dossou, par ailleurs directeur général du Groupe de presse L’économiste du Togo, du Bénin, du Mali, du Niger et du Sénégal. Dans cet entretien, M. Dossou aborde la problématique de la spécialisation, la place et le rôle du journalisme économique et financier dans le développement de nos Etats. Il y évoque également les facteurs explicatifs du faible développement des médias économiques et financiers en Afrique francophone, le partenariat entre la Plateforme et la Commission de l’UEMOA, la nécessité d’adopter une fiscalité spécifique applicable aux entreprises de presse.
Sidwaya (S) : Quel regard portez-vous sur le journaliste financier économique dans notre espace communautaire ?
Léonard Dossou (L.D.) : Le journaliste économique et financier dans notre espace fait son petit bonhomme de chemin. Mais, pour la petite expérience, le journalisme politique ou les médias orientés vers la politique occupent plus de place dans notre espace communautaire que le journaliste économique et financier.
Le journalisme économique et financier a beaucoup d’exigences, demande beaucoup de compétences, de moyens de fonctionnement. Un journaliste politique peut rester dans son bureau et produire un article. En journalisme économique, nous avons besoin de données, des chiffres fiables, de plus d’investigations pour mieux fournir des informations. Nous avons besoin de plus d’acteurs qui se forment dans ce genre de journalisme pour fournir des informations fiables aux populations et aux décideurs et cela demande plus de professionnalisme, plus de compétences.
S : Le journaliste économique et financier est-il essentiel pour le développement de nos pays ?
L. D. : Le journalisme économique et financier a un rôle très important à jouer pour accompagner les pouvoirs politiques, le secteur privé, l’entrepreneuriat… tout ce qui est développement dans nos pays. Le rôle des médias en général est l’accompagnement du développement de nos pays, mais plus encore pour le journaliste économique et financier, qui, avec la publication des données, des investigations, des productions dynamiques, a un grand rôle à jouer pour le développement de notre espace communautaire. Et cela à travers les avis, les analyses, le décryptage des rapports des institutions internationales sur la situation économique de notre espace communautaire.
S : Contrairement en Afrique anglophone, le journalisme économique et financier est peu développé dans les pays francophones. Qu’est-ce qui explique cet état de fait ?
L. D. : Le journalisme économique et financier est plus développé dans les pays anglophones que francophones. Dans ces pays, les médias économiques et financiers sont financés par de grands groupes financiers, de grandes entreprises, de grands holdings. Vous entendez parler de grands médias comme Financial Times aux Etats-Unis. Ils sont appuyés par de grands groupes financiers privés. Cet appui financier que les médias ont dans les pays anglophones, nous ne l’avons pas dans notre espace communautaire. Des pays comme le Ghana, le Kenya, le Nigéria sont des économies fortes, dynamiques, qui ont besoin de l’accompagnement des médias pour se développer. Nous invitons les acteurs économiques de nos pays à penser à une collaboration, à un partenariat avec le secteur des médias économiques et financiers pour inverser la donne dans notre espace communautaire.
S : Autrement, on peut dire que dans ces pays anglophones, les acteurs ont bien cerné très tôt l’importance des médias spécialisés…
L. D. : Evidemment. Quand je lançais l’économiste du Bénin, un directeur général qui n’est plus de ce monde m’a dit qu’un pays sans un média économique spécialisé ne connaitra pas le développement. C’est pour tout dire sur l’importance de ce type de média. Dans les pays anglophones, les acteurs économiques, le secteur privé ont bien compris que sans les médias économiques et financiers, le développement sera difficile. Ils ont perçu, le rôle de boosteur de développement économique et social que jouent les médias spécialisés en économie et finance. C’est pourquoi, ils mettent les moyens financiers et techniques pour les accompagner.
S : A Bloomberg, on considère le journalisme économique comme un bien public. Au regard de cette utilité publique, au-delà des journalistes et des rédactions, les Etats et les organisations régionales n’ont-ils pas un rôle à jouer dans le renforcent des capacités des journalistes en matière de traitement de l’information économique et financière pour ainsi les accompagner vers la spécialisation ?
L. D. : Ce grand rôle échoit surtout à l’Etat. N’oubliez pas que les médias sont appelés quatrième pouvoir. Comme les autres pouvoirs, les médias ont besoin d’être accompagnés, financés par l’Etat, d’être reconnus comme un acteur principal de développement. Malheureusement, dans notre espace communautaire, beaucoup d’Etats n’ont pas compris qu’il faut accompagner les médias, surtout spécialisés. Je remercie le président de la Commission de l’UEMOA (ndlr : Abdoulaye Diop) qui a vite compris qu’il faut accompagner les médias, renforcer leurs capacités afin qu’ils puissent jouer leur rôle dans l’information et la sensibilisation des populations, dans le processus d’intégration sous régionale, de réformes, de développement dans notre espace communautaire. Ce travail de renforcement des capacités est capital. Les médias dans nos pays n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour faire de grandes investigations, des enquêtes économiques, financières.
S : En lieu et place de cet accompagnement et de voir en les médias comme un acteur de développement, sous nos tropiques, les administrations publiques et privées ont de la méfiance vis-à-vis de la presse …
L. D. : C’est une erreur que les gens font. Dans nos pays, les gens n’ont pas encore la culture de la transparence. Quand vous ne faites pas les choses dans les règles de l’art, naturellement, vous aurez peur de la presse. Les cadres de nos administrations qui ont fait les pays occidentaux comme les Etats-Unis ont compris le sens de la collaboration qui doit exister avec les médias. Chacun joue son rôle pour le développement de nos pays. Et celui qui n’a rien à se reprocher ne peut pas avoir peur de collaborer avec les médias. Les médias aident souvent à dénouer certaines situations, à promouvoir les jeunes entrepreneurs, etc.
S : Que faire pour un journalisme économique et financier de qualité en Afrique francophone ?
L. D.: C’est d’abord de sensibiliser les différents acteurs, l’Etat, le secteur privé, les faîtières des médias de notre espace communautaire pour que les gens comprennent la nécessité de collaborer, de travailler avec les médias à travers le renforcement de leurs capacités, des formations régulières, la mise à disposition des informations. L’un des gros problèmes que nous avions est l’accès aux sources d’information. Mais, avec la collaboration que nous avons avec la Commission de l’UEMOA, cette difficulté est en train d’être résolue. Elle met gratuitement à notre disposition des rapports, des statistiques… Il faut donc sensibiliser les Etats, le secteur privé, les chambres de commerce, les différents patronats de nos différents pays pour qu’ils comprennent qu’ils ont besoin nous et vice-versa.
S : Au-delà de ces acteurs, la spécialisation est avant tout une question de volonté personnelle, celle du journaliste…
L. D. : Les journalistes sont des grands acteurs et chacun fait ses choix. En politique, il est plus facile de se faire de l’argent avec les politiciens qu’en économie. Nous avons suffisamment expérimenté les médias généralistes. Il nous faut maintenant des médias spécialisés pour mieux accompagner le développement de nos pays. Il nous faut des journalistes spécialisés en économie, finances, environnement, changement climatique, TIC… pour mieux traiter l’information, pour mieux éclairer la conscience des populations.
S : Vous êtes le coordonnateur de la Plateforme des médias de l’UEMOA. Présentez-nous cette plateforme et dites-nous ce qui a motivé sa création.
L. D. : C’est une association interprofessionnelle des médias de notre espace communautaire pour mieux accompagner les acteurs du développement social et économique dans l’UEMOA. Elle a été mise en place depuis juillet 2021 à Ouagadougou, à l’issue d’une assemblée générale constitutive. Elle est née de la volonté des médias d’avoir un accès aux sources d’information. La Commission et les différents organes de l’UMOA font beaucoup de réalisations, disposent de nombreux rapports qui ne sont pas bien exploités, donc peu connus. L’idée de la création de cette organisation remonte à 2019 à Abidjan, à l’issue de la conférence des chefs d’Etat. Nous avions trouvé qu’il était opportun de nous mettre ensemble en tant que médias spécialisés en économie et finance afin de mieux mutualiser nos compétences, nos talents, nos énergies. Depuis lors, chaque année, nous avions des rencontres d’échanges, de sensibilisation sur les grands chantiers de l’UEMOA. Aujourd’hui, la plateforme est en train d’être un véritable outil de développement de notre espace communautaire.
S : Quels sont les projets de la Plateforme ?
L. D. : Je remercie le président Diop de la Commission de l’UEMOA qui a une oreille attentive par rapport à nos préoccupations. Nous lui sommes reconnaissants pour les sessions de renforcement de capacités que la Commission organise depuis quatre ans au profit des journalistes de notre espace. A court terme, c’est l’acquisition de l’agrément de notre Plateforme qui est en cours. D’ici, l’année prochaine, nous envisageons organiser un colloque sur la problématique de la contribution des médias au développement socioéconomique de notre espace communautaire. Ensuite, nous voulons renforcer la Plateforme à travers des formations au profit de ses membres, organisées en partenariat avec d’autres institutions de la sous-région comme la BOAD, la BRVM, la CCR-UEMOA, la CRRH – UEMOA, etc. L’objectif étant que nous soyons au cœur de l’information économique et financière dans notre sous-région.
S : Depuis sa création, votre Plateforme bénéficie de l’accompagnement de la Commission de l’UEMOA. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce partenariat qui vous lie à cette organisation sous régionale ?
L. D. : Le président et l’équipe de la direction de la communication de la Commission de l’UEMOA ont compris l’enjeu de cette collaboration avec les médias de tous les huit pays membres de l’Union, la nécessité de nouer ce partenariat avec la Plateforme. Depuis 2020, chaque année, nous avons une session de formation ou de sensibilisation sur les grands chantiers, projets, programmes de l’UEMOA. Près d’une quarantaine de journalistes des huit pays y participent. Ils ont compris qu’il n’y a pas d’intégration sans les médias. Ce sont les médias qui informent, sensibilisent les populations, travaillent à ce que le développement se concrétise sur le terrain.
La Commission et les différents organes et représentations nationales font beaucoup de choses qui sont peu connues des populations. Il n’y a pas de développement, d’intégration sous régionale sans l’implication des populations. Et les populations ne s’impliquent que si elles sont informées de ce qui se fait à leur profit.
S : Vous êtes à la tête du Groupe de presse L’économiste qui tient la route depuis des années. Quel est votre secret, quand on sait les difficultés (économiques, financières…) que traversent les entreprises de presse en Afrique ?
L. D. : Le groupe de presse L’économiste a fêté ses 10 ans en septembre 2022 à Cotonou. Le groupe est né en 2012. J’ai fait 10 ans dans l’un des plus grands médias du Bénin, Le Matinal, un média généraliste. J’ai constaté que tout le monde se ruait vers le journalisme politique. Je me suis demandé à savoir si nous pourrions contribuer efficacement au développement de notre pays, si tout le monde fait du journalisme politique. C’est ainsi que l’idée de créer un média spécialisé est né. Au début, l’initiative de la création d’un média spécialisé n’a pas été facile. J’ai dû vendre un de mes biens immobiliers.
Aujourd’hui, le groupe a grandi. En 2019, nous avons créé l’économiste du Togo à Lomé ; et les autres, L’économiste du Niger, du Sénégal et du Mali en 2020.
S : Un média est une entreprise comme toute autre qui a des charges fixes incompressibles à gérer. Certains ne comprennent pas cela et veulent communiquer gratuitement à travers les médias. Cet état d’esprit ne constitue-t-il pas un problème ?
L. D. : Malheureusement, beaucoup ne comprennent pas qu’une entreprise de presse est une entreprise en bonne et due forme et qu’il faut payer ses services pour l’aider à exister et à continuer à jouer son rôle social. Pire, la fiscalité dans nos Etats ne tient pas compte de l’important rôle que les médias jouent dans la société.
S : Vous êtes donc de ceux qui soutiennent qu’il faudrait appliquer une fiscalité différentielle, spécifique aux entreprises de presse ?
L. D. : En tant que 4e pouvoir, nous accompagnons l’Etat dans l’information, l’éducation des populations. Nous sommes d’accord que nous devons payer les impôts mais on ne doit pas mettre les médias sur le même pied d’égalité qu’une entreprise de fabrication de bonbons ou de beignets. Les médias sont la seule entreprise au monde dont le produit fini touche la conscience humaine. Le rôle que nous jouons en matière d’éducation des populations relève de la compétence régalienne de l’Etat. De ce fait, il nous faut une fiscalité adaptée, qui tient compte de notre rôle social. Je pense que c’est une problématique que nous allons poser au niveau de la Commission de l’UEMOA pour voir dans quelle mesure, elle peut nous aider à sensibiliser les Etats membres sur la nécessité d’améliorer cette fiscalité qui est aujourd’hui imposée aux médias et qui les tue !
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com