Avec sa population galopante, la pauvreté qui ne cesse de s’accentuer et la corruption persistante, le Bénin semble avoir du mal à procurer à ses habitants un logement décent et abordable. Interview avecJean-Philippe Ado, spécialiste du logement au Centre for affordablehousing finance in Africa (CAHF) basé en Afrique du sud.
L’Economiste :Cotonou a l’air un peu moche, avec ses vieilles maisons maladroites et décolorées construites pour les fonctionnaires il y a longtemps qui subsistent mais lui donnent l’image d’une ville délabrée. Et la plupart de ces maisons sont surpeuplées et n’ont pas été rénovées dans le but de les ‘’moderniser’’. Comment expliquez-vous cette situation.
Jean-Philippe Ado : Cette situation est due à plusieurs facteurs, notamment la situation économique du pays qui a été plutôt instable ces quatre dernières années et le pouvoir d’achat des populations. En plus, la population béninoise connait une croissance constante de 3.7% par an, ce qui n’est pas le cas de la croissance économique sur une période donnée. Si nous nous limitons à la classe décrite dans votre question, il est essentiellement fait référence à des fonctionnaires, qui majoritairement font partie de la classe moyenne si nous pouvons le dire ainsi. Au Bénin, le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) est de 40 000 FCFA et le salaire d’un cadre moyen reste limité à 150 000 FCFA, selon les dernières informations disponibles. Le coûteexorbitant des matériaux de construction, qui n’est pas totalement accessible à une grande partie de la population, montre que les travaux de rénovation, en fonction de la classe sociale, peuvent être difficile à réaliser si l’on tient compte du salaire moyen et d’autres besoins présents dans un ménage. Bien sûr, nous n’excluons pas la possibilité de la propriété précaire (par l’absence de détention de titre de propriété) de certains ménages au rang des facteurs expliquant le phénomène des logements vétustes dans la capitale. Au contraire, malgré l’existence de cette réalité, nous pensons que cette cause serait plutôt une cause secondaire que principale vu le contexte socio-économique actuel au Bénin.
Bon nombre de maisons béninoises sont bondées et cela crée aussi des problèmes de santé.Et pourtant, selon le rapport du CAHF de 2018, la Bank of Africa Bénin avait lancé en 2012, en partenariat avec la Banque de l’habitat du Bénin (BHB), le prêt au logement, un nouveau produit spécifiquement destiné aux personnes cherchant un financement du logement à long terme. La durée de ce prêt devrait aller jusqu’à 20 ans, avec un taux d’intérêt aussi bas que 6,5% et est garantie par une hypothèque de premier ordre sur la maison pour laquelle le prêt est demandé. En principe, cela devrait donner la possibilité à beaucoup de gens d’avoir un logement abordable.
Le secteur financier au Bénin est essentiellement concentré autour des banques commerciales et il est vrai que celles-ci préfèrent adopter le modèle de financement traditionnel basé sur les demandeurs de prêts ou autres produits financiers justifiant d’une source de revenu stable. Cette tendance bien qu’étant justifiée par certaines raisons qui nous semblent importantes, n’est pas pour autant la meilleure, surtout dans le contexte de l’accès au logement abordable par une majorité de la population. Nous pensons que l’accès au logement abordable des populations à travers le continent (pas seulement au Benin) devrait être une priorité des politiques comme le sont l’éducation et la santé. Dans le contexte du Bénin, des efforts ont été faits et continuent d’être fait avec par exemple le programme de logements sociaux que vous avez mentionné plus haut. Cependant, la tendance formaliste des établissements bancaires au Bénin tend à restreindre considérablement le nombre de bénéficiaires de produits de financement du logement.
Parlons justement des gens dont une bonne partie tire son revenu du secteur informel mais qui malheureusement est exclue par les banques.
Ce genre de décision impacte négativement sur la portée de cette nouvelle politique mise en place vu que parmi les ménages demandeurs d’habitations tirent une bonne partie tire ses revenus du secteur informel. Nous croyons que l’analyse du secteur informel dans ce scenario dépend du but de la politique de financement du logement mise en place par les autorités béninoises. Selon que le but est de faciliter un plus grand accès au logement abordable à une frange importante de la population ou de justifier de la mise en place d’outil dans la lutte contre le déficit de logement dans le pays, la pertinence du secteur informel local peut être vite définie.
Le secteur informel du logement (tontines, microfinance, etc., comme indiqué dans l’Annuaire du CAHF de 2018) peut-il grandement contribuer à atténuer les problèmes de financement du logement au Bénin? Ces plateformes, qui paraissent limitées, peuvent-elles satisfaire leurs besoins?Peuvent-ils être pleinement satisfaits?
Le secteur de la microfinance au Bénin est en pleine expansion pour bien de raisons. Parmicelles-ci, l’une des plus pertinentes est la forte culture d’épargne encrée auprès des populations desservies par la microfinance. En décembre 2017, le secteur comptait 66 systèmes financiers décentralisés (SFD) comptant plus de 1.9 millions de clients pour un total de dépôts de près de 102.5 millions FCFA et un total d’encours de dettes d’environ 125.5 millions FCFA. Ces chiffres montrent une implication active des SFD dans la vie de ses populations. Cependant, ils ne déterminent pas avec certitude si oui ou non il pourra jouer un rôle majeur dans l’accès au logement des populations essentiellement exclues du système bancaire traditionnel. Il faudrait à notre avis, recueillir des données précises sur la capacité structurelle des SFD à intégrer et gérer des micros produits de financements (MFL) du logement, leur exposition au financement à long terme et la facilité d’accès des MFL par la clientèle à faible et moyen revenu. Par conséquent, la question du financement à long terme risque de se poser et jouer un rôle critique dans la satisfaction des emprunteurs qui ont décidé de s’orienter vers les SFD afin de réaliser leur rêve d’un jour devenir propriétaire.
Votre rapport dit que le marché du développement immobilier au Bénin est presque inexploité, offrant ainsi des opportunités aux développeurs et aux financiers. De quel genre d’intervention ce marché a-t-il besoin?
Nous pensons que le marché de l’immobilier présente des aspects favorables à la fois pour la clientèle, les constructeurs et les investisseurs. Toutefois, ces aspects nécessitent une attention particulière de la part de toutes les parties prenantes pour une croissance réelle du secteur. Des interventions particulières pourraient être faites à cet effet. Au niveau des constructeurs ou sociétés de construction immobilière (SCI) par exemple, elles pourraient se faire au niveau de l’outillage et du développement de techniques de constructions économiques et favorables à la spécificité de l’environnement. Augmenter la capacité de production et de livraison des SCI de sorte à ce qu’une partie essentielle de la couverture de la demande en logement abordable soit satisfaite par des entreprises locales, et permettent l’application réelle de la chaine de valeur économique du logement dans son marché local. Promouvoir une formation efficiente et à jour des besoins des populations permettraient de mieux connecter les SCI aux futurs propriétaires immobiliers. Au niveau des investisseurs ou des financiers, des interventions au niveau de la règlementation pourraient être faites afin de créer un cadre plus attractif et rentable, mais aussi durable et profitable à l’économie. Des actions au niveau du renforcement du cadre juridique au niveau du foncier et d’autres points critiques de ce secteur seraient possibles pour offrir une garantie plus stable des intérêts des différents acteurs.