La filière patate douce au Bénin, bien qu’encore en développement, représente un potentiel majeur pour améliorer la sécurité alimentaire, diversifier les sources de revenus agricoles et soutenir l’industrialisation locale. Cependant, des réformes structurelles profondes sont nécessaires pour libérer pleinement son potentiel.
Par Aké MIDA
La patate douce occupe une place importante dans l’agriculture béninoise, en tant que troisième racine tuberculeuse produite après le manioc et l’igname. Selon les données de la Direction de la Statistique agricole (Dsa) du ministère en charge de l’Agriculture, la production nationale a atteint 77 477 tonnes pour la campagne 2023-2024, marquant une progression notable par rapport à 58 145 tonnes en 2017. Cependant, la production reste modeste en comparaison avec celle de cultures vivrières plus établies, telles que le manioc et l’igname.
La consommation de patate douce, encore faible (7 kg par an en moyenne), connaît une dynamique de croissance soutenue par une meilleure sensibilisation aux avantages nutritionnels de ce tubercule. La prise de conscience accrue de ses bienfaits pour la santé, en particulier en termes de richesse en vitamines A et C, contribue à l’intégration progressive de ce produit dans les régimes alimentaires, notamment dans les zones rurales. Les campagnes de sensibilisation, en particulier dans les écoles, jouent un rôle clé dans cette dynamique.
Si la majeure partie de la production est destinée à la consommation domestique, le commerce transfrontalier, notamment avec le Togo et le Nigeria, reste limité, en raison d’une chaîne de valeur mal structurée et d’une faible production de produits dérivés. Cela constitue une opportunité majeure pour le développement de cette filière.
Des progrès timides
Le rendement national de 7 735 kg/ha pour la campagne 2023-2024 est encore bien inférieur à la moyenne mondiale de 11,1 tonnes/ha, ce qui reflète la faiblesse du secteur. De plus, la superficie emblavée a légèrement diminué, passant de 10 597 hectares en 2022-2023 à 10 050 hectares en 2023-2024, selon les chiffres de la Dsa/Maep. Les départements du Sud, en particulier l’Atlantique et l’Ouémé, concentrent près de 40 % de la production nationale. Ce déséquilibre géographique limite la capacité de production. L’élargissement des zones de culture et l’amélioration des techniques agricoles s’avèrent urgents pour stabiliser et augmenter les rendements.
L’un des principaux obstacles demeure aussi le manque d’investissement dans la recherche et le développement, révèle une enquête menée par l’Observatoire du commerce, de l’industrie et des services (Ocis/Cci-Bénin) et récemment publiée (janvier 2025). Les variétés actuellement cultivées, riches en eau, se décomposent rapidement, entraînant des pertes post-récolte pouvant atteindre jusqu’à 30 %. Pour surmonter ce défi, il est essentiel de développer des variétés plus résistantes, adaptées aux conditions climatiques locales, avec des cycles de vie plus longs.
Transformation et chaîne de valeur
La transformation des produits dérivés de la patate douce au Bénin, bien que prometteuse, est encore à ses balbutiements. Quelques unités semi-industrielles investissent dans la production de farine, de chips, de gari, d’alcool alimentaire et pharmaceutique à base de patate douce, mais la filière souffre d’un manque de coordination et d’une absence d’organisation efficace. Le secteur a besoin d’une meilleure structuration pour créer des chaînes de valeur robustes et adaptées aux exigences des marchés d’exportation. Le conditionnement, la certification et l’amélioration des techniques de transformation sont essentiels pour garantir l’accès à ces marchés.
Le financement reste un frein majeur à la modernisation de la filière. Les producteurs et transformateurs, souvent contraints par des moyens limités, peinent à investir dans des équipements modernes et à améliorer leurs capacités, selon l’Ocis. Il est crucial de mettre en place des mécanismes de financement adaptés pour soutenir ces acteurs, notamment via des prêts à faible taux d’intérêt et des incitations fiscales. En outre, des programmes d’accompagnement technique pour former les producteurs à la gestion de la chaîne de valeur sont nécessaires pour garantir une meilleure compétitivité et durabilité de la filière.
Perspectives de développement
Avec un soutien accru à la recherche, une structuration de la chaîne de valeur, et un meilleur accès au financement, le Bénin pourrait non seulement répondre à la demande interne croissante mais aussi se positionner sur les marchés internationaux, soutient l’Ocis.
Le marché international de la patate douce, notamment en Europe et en Asie, est en pleine expansion, offrant ainsi des opportunités pour le Bénin de devenir un acteur clé de l’exportation de produits agricoles transformés. L’exportation de produits transformés à base de patate douce, tels que la farine ou les produits de pâtisserie, pourrait devenir une source de revenus supplémentaires pour les producteurs béninois.
L’adoption généralisée de variétés bio-fortifiées, enrichies en vitamine A, pourrait jouer un rôle essentiel dans la lutte contre la malnutrition dans les zones rurales et contribuer à la compétitivité des exportations béninoises. Ces variétés, soutenues par des organisations internationales, sont déjà progressivement adoptées par les agriculteurs locaux, mais nécessitent davantage de vulgarisation.
En unissant les efforts des acteurs publics, privés et des partenaires internationaux, le Bénin pourrait transformer ce secteur en un moteur clé du développement agricole et industriel, contribuant ainsi à la diversification des sources de revenus et à la stabilité économique du pays.
Evolution de la production nationale de patate douce de 2016 à 2024
